Genre : Interview
Un village Français revient à partir du 1er octobre tous les mardis à 20h45 sur France 3 pour sa saison 5 se déroulant en 1943. A cette occasion, Ciné Région a pu rencontrer l'équipe de tournage et les comédiens. Cette nouvelle saison qui offre un tournant à la série, amenant son lot de nouveaux personnages, saura vous surprendre et vous tenir en haleine jusqu'au bout. Les 6 premiers épisodes ont été réalisés par Jean-Marc Brondolo, et les six suivants par Jean-Philippe Amar. Sans plus attendre voici l'interview de Jean-Marc Brondolo qui avec son franc parler s'est prêté bien volontiers au jeu des questions-réponses.
Ciné Région: La série vit un nouveau souffle avec tous ces nouveaux personnages, il y en a une vingtaine ?
Jean-Marc Brondolo: Il y a plein de nouveaux personnages, moi j'en ai compté une douzaine.
CR: Vous en aviez marre des anciens?
JMB: Moi non, il faudrait demander à Frédéric Krivine (ndlr: le créateur de la série), il a rajeuni le casting. C'est totalement nouveau, les personnages sont des jeunes réfractaires d'une vingtaine d'années qui vont refuser d'aller au STO et qui vont "déserter" pour se retrouver en pleine campagne à essayer de survivre et qui vont rencontrer d'autres personnes, des résistants et qui vont se retrouver ensemble. Donc voilà, c'est un souffle nouveau, ce sont des personnages nouveaux. 42 démarrait sur quelque chose de très fort, c'était sur le train de juifs qui quittait l'école, là c'est une saison qui démarre tout à fait autrement mais qui a sa personnalité.
CR: C'est une contrainte de tourner totalement en forêt?
JMB: Oui et non, c'est à dire, oui parce qu'on est en pleine campagne, non parce qu'il faisait super beau. Si vous posez la question à Jean-Philippe Amar ou même aux comédiens, je crois qu'ils ont vraiment galéré sur la suite, ils ont eut une météo absolument horrible, donc là c'était plus dur que lorsqu'il fait 30 degrés. Mais bon voilà, il fallait qu'on tourne un mois au milieu de rien, uniquement avec les acteurs.
CR: Le fait qu'il y ait plusieurs réalisateurs sur une même saison, comment cela se prépare-t-il?
JMB: On est un peu habitués maintenant, en général il y a toujours deux réalisateurs par saison. Moi c'est la première fois que je faisais les six premiers. Il y a des avantages et des inconvénients dans les deux cas. L'avantage d'ouvrir une saison c'est d'installer les choses, d'installer la nouvelle saison. Pour ceux qui ont un peu d'égo c'est souvent les épisodes qui passent en projection dans les festivals. En revanche, quand on fait les six derniers, scénaristiquement c'est souvent plus intéressant parce qu'on est dans la résolution, alors que dans les six premiers on est dans l'installation.
CR: Concernant les personnages, il y en a sur lesquels on a pas de doute sur leur devenir et puis d'autres sur lesquels on se dit qu'ils peuvent y échapper, c'est le cas par exemple de Servier où on se dit que lui ce serait très bien de le voir continuer dans l'administration après la guerre.
JMB: Cette nouvelle saison c'est un peu le virage. J'ai l'impression que tout ce qu'ont semé les personnages auparavant, sont en train de récolter là à partir de maintenant tout ça. C'est-à- dire que les gens qui ont résistés, qui ont soufferts, perdant des êtres chers ? etc. sont proches du but, de la victoire, parce que même Heinrich le dit: "-On a perdu la guerre" et tous ceux qui ont choisi le mauvais camp sont en train de se rendre compte qu'ils ont fait le mauvais choix et sont en train de le payer. Il y en a qui vont tout d'un coup se rétracter et trouver des subterfuges pour pouvoir éventuellement trouver des circonstances atténuantes pour s'en sortir. Je pense que vous allez être surpris par l'avenir de certains personnages. Pas de tous, il y en a qui vont mourir, il y a beaucoup de morts dans celle-là (ndlr: saison 5), des personnages bien aimés en plus. Mais il n'empêche que pendant la guerre apparemment, même des enfoirés s'en sont sortis. il y aura des retournements dans ce sens là, il y aura des procès pour certains, il y aura des injustices. Frédéric Krivine tient absolument à être fidèle à la réalité et pas forcément que le héros s'en sorte ou que le salaud meure.
CR: Il y a des personnages sur lesquels vous avez senti que c'était plus compliqué de leur donner cette ambigüité qu'ils ont à peu près tous, parce que Marchetti est à la fois humain et monstrueux, mais il y en a deux où l'on voit précisément ce qu'ils sont: Chassagne et Heinrich Müller.
JMB: Dans une série comme dans un film, même dans les contes pour enfants, il faut qu'il y ait un méchant, alors cette saison ce n’est pas Marchetti le méchant, ce n'est même pas Müller, c'est vraiment Chassagne. Parce qu'au bout d'un moment vous vous dites, c'est logique, Müller est Allemand, c'est l'occupant, il y a une logique qu'il soit comme il est, même s'il exagère un peu en tout cas on peut le comprendre. Les collabos, on ne les comprend pas, il n'ont aucune raison. Mais en même temps, Marchetti lui a un côté humain, il a traversé des choses un peu compliqués, enfin tout est compliqué dans sa tête, et il est amoureux et il a un enfant. On aurait pour lui une empathie dans cette saison là et surtout l'empathie se crée parce que pour le coup on déteste Chassagne. Le vrai méchant de la saison, c'est lui. Voila, je pense que la psychologie des personnages est assez simple à comprendre. Après pour que tous ensemble on essaie de traduire les choses, cela nous prends un peu plus de temps. Pour les séquences avec Eliane, la petite juive, on cherchait comment les tourner. C'est un rapport particulier et on se disait: -Est-ce qu'on les tourne de manière particulière? C'est- à- dire forcément de ne pas faire comme on fait dans toutes les séquences. J'avais dit à Nicolas Gob pour la séquence où il lui caresse le ventre, la touche etc.. , je me suis dit "et si on essayait de faire un plan séquence? De faire une seule scène, un seul plan." La séquence était minutée à 3 minutes et on l'a faite en 3 minutes. Mais en 3 minutes c'était grotesque, c'était purement et simplement vulgaire, il n'y avait pas d'ambigüité, les gestes prenaient un autre sens. Donc je lui ai dit de prendre son temps, la scène fait quasiment le double et ça prend un autre sens. Mais on n’est plus dans la série à ce moment là. Est-ce qu'on prend le risque de faire comme ça? Après il ne faut pas revenir en d'autres plans plus serrés en disant qu'on fait ça au montage, on a un enjeu, un parti pris qu'il faut respecter. Après les gens aiment ou n'aiment pas, ça marche, ça marche pas, c'est autre chose. Dans des moments particuliers et nouveaux pour les personnages, il faut essayer de les marquer un petit peu. Parce qu'ils (ndlr: les comédiens) ont tous l'impression de connaître leur personnage, c'est normal ça fait 5 ans qu'ils le font. On leur dit souvent, vous connaissez le personnage mais vous ne savez pas ce qu'ils vont vivre. Et ce qu'ils sont en train de vivre, c'est la première fois que vous le vivez, donc non vous ne les connaissez pas. On ne se connait pas dans telle ou telle situation.
CR: Cette saison semble avoir une plus grande cohérence que la précédente, est-ce que c'était voulu ainsi?
JMB: Oui parce qu'il y a un nouveau fil rouge avec les maquisards. Le fait qu'il y ait des gens qui disparaissent, le fait qu'Heinrich reconnaisse qu'il a perdu la guerre… ça crée des nouvelles choses dans une série. Il y a une scission qui est en train de se créer au niveau des personnages qui est toujours intéressante et puis il y a la naissance de ce genre de personnages, les maquisards, parce qu'au début Antoine, en caricaturant un peu, c'est un petit con qui vit chez son beau-frère, il est couvé par sa sœur, il est choyé, tout va bien pour lui, il mange bien, il a du boulot, la vie est plutôt agréable pour lui. Finalement il s'emmerde, il ne sait pas comment gagner sa liberté, il sent qu'il n’est pas bien mais en même temps en période de guerre, on est mieux au chaud. Et puis à travers d'un concours de circonstances, en l'occurrence Claude, il va se retrouver embringuer dans ce qu'il n'avait pas prévu. Et c'est grâce à tout ça qu'il va devenir ce qu'il va devenir. Il y a un côté quête initiatique, il manquait de liberté, il ne savait pas comment la trouver, il va devenir un homme de par un mensonge de Claude, il se retrouve embringué dans un truc auquel il va prendre goût à la merde dans laquelle il est. Il va se découvrir un instinct de chef, de résistant, de héros. Donc c'était un peu ça l'idée de cette saison, là, à travers ce personnage, qu'il symbolise tous ces gens qui ont fait ça. Parce que dans un groupe on ne peut pas cumuler les douze mecs de la même façon, alors il y en a un qui doit symboliser tous les autres. Donc en même temps, naissance de nouveaux personnages et mort d'autres.
CR: Comment travaillez-vous le suspens dans la série? C'est très "cliffhanger" à la fin des épisodes, est-ce que c'est voulu comme tel?
JMB: C'est-à -dire qu'il y a un travail d'écriture qui est plutôt de qualité, ça nous aide vachement quand même d'avoir des bons textes, des bons dialogues, des bonnes séquences. Après il faut les incarner, évidemment .On discute beaucoup avec eux (ndlr les scénaristes), ils nous expliquent le sens des scènes, on pose des questions, on s'envoie des mails, on a 3 mois de préparation, on a le temps de se poser des questions même si on n’a pas toujours les textes en temps et en heure, on ne peut pas toujours être d'accord mais il y a un dialogue. Quand on arrive en tournage, les acteurs ont lu le scénario, on se pose des questions, après tout ce qui est "cliffhanger", tout ce qui est intrigues et suspens, c'est écrit, il faut l'incarner. Ce qui n'est pas simple, on peut se planter, on peut louper des scènes mais en général, c'est plutôt bien calibré. Un village français est plutôt bien écrit.
CR: Est-ce que la ligne directrice de la série est déjà prévue jusque 1945 ou cela s'écrit petit à petit, saison par saison?
JMB: C'est prévu, Frédéric Krivine peut vous dire ce qu'il va se passer en 1944 et prévoit à 80% de ce qu'il se passera en 1945, après décortiquer les douze épisodes il ne pourra peut-être pas mais il sait où vont les personnages. Il sait qui meurt, qui s'en sort. Il est prévu 44 et il y aura 45, après une fois que la guerre sera terminée il sera intéressant de voir ce qu'il se passe au sein des collabos entre autres.
CR: Et c'est avec cette saison là que l’on verra jusqu'où on peut se permettre d'aller, est-ce que la chaîne acceptera?
JMB: j'ai l'impression que pour le village, on est assez libre. Après le principe de parler de collaboration passive, c'est ce qu'il manquait au cinéma en France. C'est aussi pour ça que j'ai fait cette série. Je me dis "qu'est-ce qu'on aurait fait à leur place? " Moi je pense que j'aurais été sans le vouloir un collaborateur passif, quelqu'un qui souhaite la paix est déjà un collaborateur, parce que souhaiter la paix ça veut dire s'arranger avec l'occupant. Donc je ne peux pas en vouloir aux gens qui souhaitaient la paix en temps de guerre, ça parait logique, donc tous ces gens là ont collaboré, après il y a deux genres de collaboration, il y a ces gens là, ceux qui vont gagner un peu d'argent là-dessus, comme le personnage de Thierry Godard qui n'est pas un mauvais bougre ni dans la vie, ni dans la série, mais ils ne font pas de mal. Et il y a des gens qui balancent, qui dénoncent, comme Servier. Servier qui est un type qui a peur et qui préfère être un peu lâche, qui collabore. Après on monte d'un cran, il y a Marchetti qui à un moment donné a une ligne directrice et est à chaque fois victime de sentiments et d'émotions. Et encore au dessus, vous avez Chassagne. Dans la collaboration vous avez différentes strates, et moi ce qui m'a vraiment intéressé c'est de raconter la strate d'en bas et me dire: "Qu'est-ce qu'on aurait fait nous?"
Propos recueillis par Thomas Maniquaire