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affiche Jeanne Moreau partie 1

Jeanne Moreau partie 1

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Genre : Interview

L'Actu

Ciné Région : A un certain moment, votre personnage dit dans le film « Personne ne m’a jamais dit ce que je dois faire ». Votre  personnage a un franc parlé, qui n’a besoin de  personne.  Il ne vous ressemble pas un peu ?

Jeanne Moreau : Non, moi j’interprète le personnage. Mais  si vous trouvez des équivalences, je n’ai pas pensé à moi. C’est un personnage, une femme qui est une exilée et dont la vie et le passé, le peu qu’elle nous en révèle, montre bien qu’elle était seule dans la vie, que sa mère était morte, elle est parti pour un pays étranger, et elle a pris cette décision toute seule.

CR : Vous devez recevoir des tombereaux de propositions, alors pourquoi ce film ?

JM : Je ne reçois pas des tombereaux de proposition, non. J’ai fait ce film, parce que j’ai rencontré Ilmar, on a échangé beaucoup de mails. On a eu un échange très intense. Et ça m’a plus de travailler avec lui. L’histoire m’a intéressé, j’aime bien quand quelque chose m’entraine ailleurs. J’ai découvert l’histoire de l’Estonie, qui est un pays que je ne connais pas du tout. Je ne savais pas qu’à une époque beaucoup de gens venaient en Europe,  à l’époque à laquelle elle est venue, quand elle était jeune, en pensant  qu’à Paris, en France on pouvait trouver une vie plus aisée, plus facile, des emplois, etc. Et puis qu’après, quand elle a eu l’idée vague de revenir, c’était impossible puisqu’il y avait eu l’invasion russe. Donc ça m’a plu l’histoire de cette femme, qui avait le désir de devenir actrice, de devenir célèbre, et qui en fait est devenue une peu une femme entretenue. Jusqu’au moment où elle a rencontré un monsieur qui était très aisé et qui a fini par l’épouser. Quand on la rencontre elle est veuve. D’ailleurs elle en parle brièvement à un moment donné. Puis elle a rencontré le personnage de Patrick Pineau qui est devenu son amant. Elle le dit à un moment donné « mon mari est lui sont les deux amours de ma vie ». Ils se sont séparés mais le lien était profond. Lui a eu des maîtresses, elle a eu d’autres amants ; et puis se sentant vieillir, fragile, sans ami sans rien, elle est devenue très possessive. Et il a profité un peu de son argent parce qu’elle l’a bien voulu, elle lui a fait don de ce café restaurant. Mais c’est une arme à double tranchant car elle s’en sert aussi comme d’un moyen de pression. Pas trop, heureusement.

CR : Ilmar Raag, le personnage que joue Jeanne Moreau agit comme un point fixe dans le film. Tout l’univers tourne autour. L’autre point, c’est cette Estonienne qui vient à Paris. C’est un film avec Jeanne Moreau, mais ne serait-ce pas aussi un film pour Jeanne Moreau ? Quand vous l’avez conçu, l’avez-vous fait en pensant déjà à Jeanne ?

Ilmar Raag : C’est très difficile de répondre parce que c’est une histoire assez personnelle. Au début il y a celle de ma mère, qui est venue à Paris. Je connaissais aussi le prototype du personnage de Frida, celui d’une Estonienne à Paris, qui n’était pas tout à fait comme Jeanne. Deuxièmement quand on terminé le scénario, ici en France, en discutant avec mes producteurs, ils m’ont demandé qui pourrait jouer Frida. Je ne connaissais pas beaucoup d’actrices de cette génération, et Jeanne me venait en premier à l’esprit. Je leur  répondais que j’aimerais bien Jeanne Moreau, en pensant « elle est trop grande, oublions ce n’est pas possible ». Donc on a passé presque deux ans, en réécrivant le scénario, à  penser  à d’autres actrices. Au  terme de ces deux ans, notre directrice de casting nous a demandé « pourquoi on vous vous mentez ? Vous savez très bien qu’il n’y a qu’une seule actrice qui pourra parfaitement jouer Frida ». C’est elle qui nous a fait comprendre que finalement cela pourrait quand même être Jeanne pour ce rôle, qu’on n’avait rien à perdre et que nous devions tenter notre chance. Presque deux jours plus tard, à neuf heures trente elle a téléphoné à notre production pour nous dire que l’histoire était intéressante et qu’on pouvait en discuter. J’ai été tout de suite ravi

CR : Jeanne Moreau, quelles étaient les questions que vous vous posiez à la lecture du scénario ?

JM : Je ne me posais pas de question, je voulais lui poser des questions à lui, parce que j’allais m’abandonner à lui ! C’est lui qui allait décider.

CR : Quel genre de questions lui posiez-vous ?

JM : Je voulais savoir quel homme il était, sa sensibilité. Ce ne sont pas des histoires qu’on arrive à communiquer. Je suis fascinée, les années passent, vous passez votre temps à voir des gens de cinéma, à leur poser des questions et vous êtes toujours aussi curieux. Donc il y a là un mystère. Et pour moi il y a un mystère que je n’arrive pas non plus à découvrir. Parce que quand j’arrive sur un plateau, l’équipe c’est fondamental, mais c’est sa présence à lui, le metteur en scène, qui importe ; donc je ne quitte pas le plateau. Très rarement.

IR : C’était vraiment réciproque, parce que pendant ces rendez-vous, j’ai scruté comment Jeanne comprenais Frida. J’aime pouvoir faire confiance à mes acteurs, et j’aime aussi qu’ils apportent de leur expérience et connaissance du monde. Pour moi c’est Jeanne qui a finalisé le personnage de Frida.

Interview réalisé par Patrick Van Langhenhoven