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affiche Carnet de festival  48e Festival du Cinéma américain de Deauville - partie 1

Carnet de festival 48e Festival du Cinéma américain de Deauville - partie 1

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Genre : Festival Cinéma

L'Actu

C’est la soirée d’ouverture. Silencieux, j’observe comme Diogène de mon tonneau, la valse des apparences. Le long défilé des robes de soirée aux couleurs noire et blanche peintes par un artiste ignorant l’arc-en-ciel. Quelques touches de vert et de bleu. Pas de couleurs éclatantes pour briser l’ennui et la nuit. Deux mondes se croisent dans un dialogue muet, celui d’un enfant du faubourg Montmartre, petit Poulbot devenu vieillard assoiffé de cinéma et celui des paillettes. Deux mondes qui n’ont que la toile blanche pour se faire leur cinéma. C’est l’ouverture sobre. Un maire, une ambassadrice et la pellicule open. Une jeune femme, pleine de grâce, descend les escaliers. Lucy Boynton, nouvelle image d’un Hollywood en mutation comme ce 48e Festival du Cinéma américain de Deauville. Elle présente  Call Jane, une fresque sur le droit à l’avortement remis en cause au pays qui n’est plus un rêve, l’Amérique. Ainsi s’achève un premier jour sur la grève ; les vagues s’échouent pour revenir pleurer dans l’océan et de nouveau mourir à nos pieds. La nuit et les étoiles, petites lueurs dans le ciel, épousent les lumières de la ville. Demain est toujours un autre jour.


 Il y aura des jours et une lune argent dans le ciel.
Le soleil dessine, sur le visage d'une jeune hôtesse, une auréole de madone dans ses cheveux bruns comme la terre des paysans de Poussin. J’aimerais juste un instant être Léonard de Vinci pour réinventer La Joconde, Fra Angelico pour en capturer toute la grâce. Je ne suis qu’une veille ombre qui se meurt dans le courant, oubliant ses vingt ans. Je ne suis que le passager des nuits sombres quand défilent des vies, des chaos d'existence dans un maelström de premier soupir pour une nouvelle naissance. La jeunesse s'empare des écrans noirs pour chanter l'espérance des jours nouveaux.


Le soleil pointe son nez, un oiseau se lance dans un récital matinal. C'est une belle journée pour se laisser porter par la brise jusqu'à la toile blanche. Un sourire, un bonjour pour commencer ces beaux jours qui s'annoncent riches en découvertes. Premier film de la compétition 1-800-Ho-Nite. Trois potes et un téléphone rose, une nuit pour apprendre que la vie n'est pas un rêve. Il n'est pas nécessaire de grandir trop vite, mais parfois le temps d'une nuit file comme le rouet des contes une tapisserie de malheurs. Au petit jour, il faudra accepter de prendre une route ou se perdre à jamais.


A peine le temps de prendre ses marques en salle de presse et déjà de nouveau l'écran s'illumine d'une autre fragrance. Un jeune couple débarque en Roumanie pour rejouer Fenêtre sur cour. Le cinéma peut raconter les mêmes histoires, puiser dans le grenier des souvenirs pour danser avec Hitchcock. Watcher ne nous surprend pas et porte ses qualités comme ses défauts pour un premier long qui devra encore apprendre de ses maîtres.



48 festivals du Cinéma américain de Deauville, c'est aussi des documentaires pour mieux comprendre cette Amérique qui nous faisait tant rêver autrefois. C'est aussi explorer des univers comme celui de Léonard Cohen, Hallelujah les mots de Léonard Cohen. Une simple chanson s'élance et, dans l'arc-en-ciel de la vie, cherche à ses pieds un autre trésor, celui de l'âme. Elle échappe à son géniteur, prend vie et devient l'hymne de la quête. Une chanson peut changer les portes de la perception. La rencontre, le lendemain, avec le réalisateur et la réalisatrice de ce récit filmé à quatre mains confirme notre choc émotionnel. Tout à coup, le mystère s'éclaire. Pourquoi une chanson s'accroche en nous, voyage jusqu'au tréfonds de l'âme. Comment un chanteur semble porter nos espoirs, nos désirs de nous dépasser pour grandir et toucher le néant.



C'est le début de la soirée, le jour voit poindre la nuit et les lumières s'évanouissent dans le creux des vagues. C'est encore l'enfance dans le dernier film de James Gray, Armageddon Time, un peu, beaucoup la sienne. C'est encore un passage avec la mort en toile de fond et l'espérance de jours meilleurs pour ceux venu d'ailleurs. A peine le temps d'un souffle, comme la brise qui caresse la nuit pleine de mystère. Une tour pour Guillaume Nicloux devient un essai sur la problématique des cités et la régression de l'homme jusqu'au premier feu perçant la nuit, comme les phares de la voiture nous ramenant au logis. Demain est toujours un autre jour. 



C'est un dimanche comme un autre. La foule des pénitents vient chercher, dans la petite église, sa dose de pardon. Les chevaux s'élancent le long de la plage, éclaboussant le vide. Au loin l'horizon touche le ciel. Carnet de festival, carnet de vacances, Aftersun nous offre un beau film de vacances comme ces diapos des soirées entre amis. Ces moments idylliques pour certains, si chiants pour d'autres, les avis sont partagés. On s'emballe pour ces dernières vacances avant quoi, la mort, le néant d'une enfant devenue adulte et réalisatrice. Je me dis que mes vacances de cet été feraient un bon film !


Dual, un film de clonage, sympathique mais quand on revient sur sa décision, que faire du double ? La compétition ne nous offre pas de grande émotion pour l'instant, pas de grand huit. Un tour de manège ordinaire dans une vie du même acabit. La soirée se termine par un bel hommage à un acteur que nous aimons bien, Jesse Einsenberg. Il nous propose sa première réalisation, When You Finish Saving The World, une mère et son fils qui finiront par se comprendre dans une mise en scène épurée et simple, mais riche en émotion. De nouveau traverser la nuit, regarder les étoiles pour se rappeler combien nous sommes insignifiants dans le chant du cosmos. Demain est toujours un autre jour.


La pluie ne chante pas encore sur les toits des maisons, les goélands espèrent une miette de civilisation pour ne plus pêcher. Je longe la côte, bercé par les vagues et les rares nuages dessinant de drôles de formes dans le ciel bleu. La compétition s’installe sur les planches pour nous emporter loin dans le cœur des réserves. War Pony, comment trouver sa place dans un monde moderne loin des racines. Les jeunes générations zonent, s'adaptent, parfois renouent avec le vieux temps et finissent par se perdre. Deux jeunes Lakotas se confrontent au monde moderne, à la désillusion, à l'absence de famille, à la tentative d'en construire une. Pas loin, le monde des Blancs n'offre pas de meilleure opportunité. Restent la drogue, l'alcool, le rêve et des femmes solides.


Deuxième film de la compétition, Scrap nous entraine de l'autre côté des grands studios. A Los Angeles, Beth peine à reconstruire sa vie. Nous rencontrons la réalisatrice bien plus tard dans la journée pour un entretien plus approfondi sur le film et ses enjeux.


Nous découvrons deux films de genre, Blood, une version particulière sur le vampirisme sans grande surprise. (C'est la journée des bonnes surprises après War Pony). Le deuxième, c'est At  The Gates d'Augustus Meleo Bernstein, un huis clos sous forme de Panic Room avec en fond l'émigration. Le réalisateur s'empare du film de genre pour jouer avec le spectateur et livrer un message au passage. Le lendemain nous rencontrerons Augustus Meleo Bernstein dans le salon d’un hôtel de luxe pour une interview profonde et fabuleuse.


Pour l'instant, nous ressentons, et les films confirmeront, cette impression d'un regard sur la jeunesse américaine des réserves aux quartiers chauds des banlieues. Une jeunesse prisonnière d'un rêve qui s’est fracturé avec le temps laissant des blessures profondes. Le temps de l'espérance laisse la place à celui d'une réalité difficile pour construire, reconstruire sa vie. La violence n'est pas une solution pour forcer la vie à nous sourire. Toutes ces vies nouvelles qui s'élancent pour embraser l'horizon ne rêvent plus. Elles tiennent la barre d'un navire aux portes de la tempête qui arrive. Les happy ends s'offrent des tronches de lendemains de solitude amers. Demain est toujours un autre jour.

Patrick Van Langhenhoven

Crédit Photo Michel Haumont