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affiche Animal Totem

Animal Totem

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Genre : Ciné région

L'Actu

Animal Totem
Genre : Comédie
Pays : France  
Durée : 1h29
Réalisateur : Benoît Delépine                                                                                                                         
Acteurs : Samir Guesmi, Olivier Rabourdin, Solène Rigot


Le papillon et l’abeille

Avec Animal Totem, conte minimaliste et radical, Benoît Delépine, souvent associé à Gustave Kervern dans l’esprit des spectateurs, livre un film personnel et attachant. Personnel ? Oui, car d’une certaine façon, à travers l’histoire de Darius (Samir Guesmi), c’est un portrait de lui qu’il dresse. Il faut dire que le film est né d’un combat écologique que Delépine a mené (avec d’autres) contre une usine chimique d’enrobage de goudron, dans la région où il habite. Mais, au-delà de ces circonstances, il s’agit pour lui d’évoquer le monde de son enfance : celui de la Picardie où il a vécu auprès d’un père agriculteur, où la nature tenait encore une place de choix et où il a forgé ses goûts.

Car, de goût, il est aussi question dans Animal Totem. Goûts cinématographiques quand Delépine s’amuse – volontairement ou involontairement – à citer Jackie Brown (Tarantino) et sa séquence initiale dans le hall d’aéroport, Une histoire simple (Lynch) et son voyage en tondeuse autoportée ou Il était une fois dans l’Ouest (Leone) et la cultissime séquence de la mouche. Goût littéraire quand il reproduit à l’identique la posture (et les « deux trous rouges au côté droit ») du jeune soldat dans « Le Dormeur du val » (Rimbaud).


Un voyageur errant ou un maître yogi ?
Toutefois, ne prenons pas ces citations pour des coquetteries. Au contraire, leur présence est l’expression de la mélancolie qui étreint le cinéaste et, au-delà, quiconque voit l’état du monde. En effet, en suivant Darius durant son périple, Delépine fait le tableau d’une France dorénavant enlaidie par ses aéroports internationaux, ses zones pavillonnaires anonymes, ses villes nouvelles trop vite vieillies, ses champs pollués. Pire encore, on voit une société soumise à la vitesse et obsédée par la ligne droite, le plus court chemin d’un point à un autre ! Un moyen de transport résume à lui seul cette réalité : l’avion qui, dès les premières images, file droit dans le ciel vers son point d’atterrissage. L’homme lui-même semble être voué à l’errance perpétuelle au point que Darius apparaisse dans un premier temps comme le prototype de l’individu moderne : solitaire, sanglé dans un costume sombre et relié à une valise devenue le prolongement de lui-même. Un voyageur errant, en quelque sorte…

Heureusement, il n’en est rien. Les premières paroles que Darius échange avec un conducteur qui manque de le renverser l’attestent, notamment lorsqu’il évoque sa préférence (savoureux jeu de mots !) pour le « grand véhicule », autrement dit l’enseignement de Bouddha ! Tout s’éclaire alors : loin d’être le commercial ou l’administrateur BCBG qu’on avait imaginé de prime abord, Darius est un sage dont l’accomplissement sur terre passe nécessairement par la somme de ses actions. D’où son choix de respecter son environnement et de protéger les animaux, vus moins comme de potentiels nuisibles que comme de possibles réincarnations. C’est dans cette perspective que les choix du cinéaste se comprennent : le format du film (un extraordinaire 3 :55) met en avant le paysage tout en ramenant l’humain à sa juste (et presque ridicule) proportion ; les plans animaliers décentrent le point de vue et donnent à la mouche, à l’oiseau ou à la grenouille un droit de regard sur le vivant.
Une œuvre de combat

Yogi, Don Quichotte, Monsieur Hulot : Darius – auquel Samir Guesmi prête son corps longiligne – est un peu tous ces personnages. Comme eux, il pratique l’art du décalage ; comme eux, il appartient à cette catégorie des « hommes lents » dont l’art de vivre défie la modernité tapageuse tout en combattant la tyrannie des puissants. Du reste, ce n’est pas un hasard si Darius fait un bout de chemin avec Coli (Solène Rigot), la jeune marginale écolo, adepte de la « reprise individuelle » chère aux anarchistes. Avec elle, il entrevoit une forme de résistance et une réponse politique à ses propres interrogations.

De fait, dans la lignée de ses films précédents, Delépine fait œuvre de combat. Pour cela, il n’hésite pas à convoquer la guerre de 1870, à travers le « Dormeur du val », et à reprendre les codes du western : le format cinématographique qui privilégie les vastes étendues ; la référence au totem ; le tir à l’arc ou à la carabine ; le carnage des animaux – les cerfs remplaçant ici les bisons. Sans doute ne sommes-nous plus au temps des guerres franco-allemandes ou des luttes entre Blancs et Indiens ; pour autant, la paix n’existe toujours pas. Au contraire, les Ripauillac (Olivier Rabourdin) continuent à imposer leurs desiderata aux plus faibles, à exterminer les espèces ou à éliminer leurs opposants. Le racisme est leur loi et le mépris leur règle. Pour eux, comme le prouve le décor final, la société reste une arène où ils continuent à exercer leur pouvoir, voire à exécuter les laissés-pour-compte sans une once de pitié. Au contraire, ils s’amusent du mano a mano entre eux et leurs adversaires.

C’est donc d’autant plus réjouissant de voir Darius reprendre le précepte de Mohammad Ali : « voler comme un papillon, piquer comme une abeille ». À l’instar du boxeur américain et de ses vrais animaux-totem, il opte pour les déplacements en zigzags et attend le moment propice pour porter son coup fatal. Il est à la fois capable de voleter avec grâce et de frapper avec le maximum de précision. Ses gestes en sont les illustrations les plus évidentes. Darius joue-t-il au billard ? La boule sinue sur le tapis vert jusqu’au trou de la victoire ; un coup de feu est-il tiré ? La balle ricoche de mur en mur avant d’atteindre sa cible. Dans l’affaire, les spectateurs ne sont pas oubliés : le cinéaste (papillon et abeille lui aussi !) les invite à se promener, à leur tour, dans l’immensité des plans et à suivre les arabesques du personnage pour arriver enfin à la scène finale. Il les conduit – sur un rythme presque primesautier – à ce moment à la fois tragique, farcesque et jubilatoire où Darius perce le crâne de son ennemi. Le chasseur est alors devenu chassé et le picador, piqué… La révolution est en marche.

Yannick Lemarié




Fiche technique

 Titre original : Animal Totem
    Réalisation : Benoît Delépine
    Scénario : Benoît Delépine
    Musique : Sébastien Tellier
    Photographie : Hugues Poulain et Thomas Labourasse
    Son : Mathias Leone, Martin Delzescaux et Titouan Dumesnil
    Montage : Soline Guyonneau
    Décorateur : Noémie Lettoli
    Costumes : Sylvie Dermigny et Sonia Evain
    Production : Toufik Ayadi et Christophe Barral
    Sociétés de production : SRAB Films
    Sociétés de distribution : Ad Vitam Distribution
    Pays de production : France
    Langue originale : français
    Format : couleur
    Genre : Comédie
    Durée : 89 minutes
    Dates de sortie : 10 décembre 2025 (en salles)

Distribution

    Samir Guesmi : Darius
    Olivier Rabourdin : Philippe Ripauillac
    Solène Rigot : Coli
    Pierre Lottin : le garde du corps
    Patrick Bouchitey : le poète
    Harpo Guit : le jeune policier
    Gérard Boucaron : le chasseur
    Jonas Dinal : Tiger King
    Jean-Charles Valladont : le moniteur de tir à l'arc