Cine-Region.fr
affiche Alice Winocour - réalisatrice de Maryland

Alice Winocour - réalisatrice de Maryland

___

Genre : Interview

L'Actu

Ciné Région : Comment avez-vous eu l’idée de Maryland ?

Alice Winocour : J’ai rencontré pas mal de soldats qui rentraient d’Afghanistan et qui me parlaient des troubles qu’ils avaient, leur angoisse et leur difficulté à appréhender le monde réel. C’est ce qui m’a inspiré directement le personnage de Vincent. J’ai imaginé quelqu’un qui avait cette sorte de fragilité, projeté dans un monde avec des hommes politiques véreux, des trafiquants d’armes, dans cette atmosphère brumeuse et opaque. Je trouvais ça intéressant de faire planer cette menace au dessus de leur tête et on ne sait pas si c’est l’effet de la paranoïa de Vincent ou si c’est réellement le cas. Je voulais conserver ce doute qui pour moi est un ingrédient principal du thriller paranoïaque. D’ailleurs, à l’origine, dès mes premiers moments d’écriture, je cherchais à faire un film sensoriel, très physique, que l’on soit littéralement dans la peau du personnage principal.

C.R : Dans votre travail en général et en référence à Augustine, vous avez beaucoup la problématique du corps ?

A.W : J’ai une sorte de fascination dans mon travail pour les disfonctionnements physiques, en tout cas le corps qui échappe et qu’on ne peut pas contrôler. Effectivement dans Augustine, c’étaient ces énormes crises d’hystérie qui étaient la révolte du corps lorsqu’on est contraint au calme. Ce qui me fascine, c’est quand il n’existe pas de mot pour décrire ce qu’on ressent et finalement c’est le corps qui parle. On peut dire que Vincent est une sorte d’hystérique masculin mais en face, on a son corps qui exprime toutes ses angoisses.

C.R : Il doit sentir aussi qu’il n’a pas les mots…

A.W : Oui, c’est son corps qui parle. En fait, le syndrome de stress post-traumatique s’applique à des gens qui ont été confrontés à la mort ou qui ont vu la mort de personnes proches. A travers ça, je voulais faire un film d’action, d’être dans une représentation de la violence quasi-documentaire, très brute et réelle. Comme le film d’action est un terrain généralement réservé aux hommes, je voulais aussi affirmer avec ce film qu’il n’y a pas de domaine réservé aux hommes et que les femmes peuvent réaliser tout type de film.

Après je voulais aussi raconter une histoire d’amour un peu étrange comme dans mon premier film. Une histoire d’amour entre deux mondes complètement opposés. Une rencontre humaine entre deux solitudes.

C.R : Et comment s’est déroulé le choix des acteurs ?

A.W : J’ai vraiment écrit le rôle de Vincent pour Matthias Schoenaerts. Je trouvais qu’il avait en lui une sorte d’animalité qui correspondait au personnage après l’avoir vu dans Bull Head et dans le film de Jacques Audiard. Après, puisqu’il a déjà une condition physique de soldat d’élite, on a recherché plus spécifiquement cet état borderline pour lequel il fallait que dans ses yeux, il y ait quelque chose de cassé. Matthias n’a presque pas dormi pendant le tournage, il ne dormait que deux heures par nuit donc il était vraiment dans une sorte de violence très forte. Après, j’ai beaucoup aimé travailler avec Diane qui a ce côté hitchcockien et froid au premier abord mais qui a en même temps quelque chose de très émotionnel qui convenait au personnage.

C.R : La maison tient elle aussi un rôle très important dans le film.

A.W : On rentre dans la tête de Vincent et dans sa névrose avec ces caméras, ce côté complètement névrotique à vouloir en permanence tout contrôler pour être sûr que tout va bien. C’est comme si son fantasme paranoïaque se réalisait. Après, concernant le nom de la villa et le titre du film, il existe une vraie villa dans le sud de la France qui s’appelle Maryland. Et puis je trouvais ça intéressant par opposition à Wonderland, je voulais que ça appuie cette ambiance un peu marécageuse. Au départ, ca commence un peu comme un film documentaire puisque j’ai souhaité être au plus prêt du travail d’un agent de sécurité dans une villa et d’ailleurs, dans l’équipe de sécurité, il y a un vrai sniper. Et plus on avance dans le film, plus on bascule dans le fantastique, dans le cauchemar comme si Vincent se baladait dans son propre rêve.

C.R : Et le rôle de Paul Hamy joue lui aussi un personnage important, notamment vis-à-vis d’elle, il incarne quelqu’un de moins menaçant avec lequel elle se lâche…

A.W : Oui mais je voulais que cette scène entre eux dans la cuisine soit quand même chargée de tension. Je voulais qu’on sente que ça pouvait déraper à tout moment. Cette femme vulnérable seule dans cette grande maison avec ces deux hommes, ce n’est pas rassurant. On se demande à un moment s’ils vont se battre tous les deux ou s’ils vont l’agresser ; je cherchais ce trouble ambigu. Chez Paul, je trouvais qu’il y avait une sorte de gémellité avec Matthias et j’aimais bien cette idée qu’il pouvait être comme son petit frère qui le protège.

C.R : La menace vient évidemment de l’extérieur mais on a aussi l’impression qu’elle vient de l’intérieur de lui. On sent qu’il est menaçant à la fois pour les autres mais aussi pour lui-même.

A.W : Oui, c’est aussi un point commun avec mon premier film. Longtemps, on m’avait dit pour Augustine que je ne pouvais pas raconter l’histoire du point de vue de l’hystérique puisqu’on m’avait dit qu’on ne sera pas en empathie avec elle. Et je défendais en disant que ce qui lui fait peur à cette femme, c’est son corps. Elle a peur d’elle-même et lorsqu’elle voit tout à coup sa main bouger, elle n’a plus de contrôle sur ses mouvements. Pour moi, c’est la même chose avec Vincent, mais c’est ça aussi qui est vertigineux pour des soldats, c’est qu’ils travaillent leur corps depuis qu’ils ont 16 ans comme une machine et sont tellement habitués à ce qu’elle leur réponde à la minute. Alors quand ils sont confrontés à leur corps qui leur échappe, ils sont complètement perdus et c’est extrêmement déroutant. Comme ils ne peuvent pas spécialement exprimer leur détresse, ils angoissent très vite. Il y a vraiment cette idée du personnage qui est dans le brouillard et qui va revenir à la vie à la fin avec toute cette histoire et ce danger.

C.R : En même temps, à la fin, on se demande s’il n’est pas encore en train de rêver…

A.W : Oui alors ça dépend si on est optimiste ou non. Mais j’aimais bien que cette scène finale se situe dans un espèce de “no man’s land“ où on ne sait pas si c’est un fantasme ou la réalité. De mon point de vue, c’est la réalité parce que je suis très romantique et que je trouve que dans le fond, le film est très romantique, d’un romantisme noir mais puissant. La collaboration avec Gesafflestein appuie d’ailleurs avec cette techno très sombre, ultra violente qui prend toute sa puissance dans le cadre de cette relation amoureuse. Par ailleurs, il est venu composer sur le tournage pendant quatre jours et ensuite j’avais tout le temps sa musique dans mon casque sur le tournage, parfois même pendant les prises et aussi le soir quand je rentrais du tournage, le matin quand je me réveillais, j’étais complètement imprégnée de sa musique. Elle me mettait dans un état émotionnel qui m’a aidé à trouver la justesse du ton.

C.R : Les acteurs et l’équipe écoutaient la musique également ?

A.W : Non, il n’y avait que moi. Par contre, il y avait aussi une forme d’immersion puisqu’on a tourné dans la continuité, je ne voulais pas que la relation puisse évoluer entre les deux comédiens. On était tous dans cette maison, il y avait véritablement des orages, il y avait un côté cataclysmique autour de nous avec Matthias qui était vraiment dans cette ultra violence, c’était un peu chaotique mais dans le bon sens.

Interview réalisée et retranscrite par Eve Brousse