Genre : Festival Cinéma
39 Festival du cinéma Méditerranéen de Montpellier du 20 au 28 octobre
Des fidélités et du jeune cinéma algérien
En évoquant l’affiche de cette nouvelle édition – un an avant la 40ème, ça ne rajeunit personne – qui représente un jeune garçon prêt à se mettre en marche mais sur les mains, la présidente Aurélie Filippetti en souligne le côté « enfantin, ludique, la tête à l’envers » pour annoncer un festival jeune et festif. On se gardera d’accoler au principal pays invité, l’Algérie, les mêmes termes, mais on s’attendra donc, aux côtés des drames collectifs, des crises et guerres en cours, à trouver un bon poids de légèreté. C’est un bon signe et il ne faudra pas décevoir cette belle affiche.
A sa place, qui est la plus politique, l’ancienne ministre de la Culture remercie abondamment les partenaires institutionnels du festival : « Rien n’est plus important aujourd’hui que d’être soutenu par les collectivités. L’engagement public dans la culture n’est pas partout à ce niveau. D’autant qu’il n’est assorti ici d’aucune ingérence dans le travail de programmation ». Franchement, bravo.
Une programmation qui a toujours un très bel appétit (quelque 215 films présentés, peu de festivals peuvent se prévaloir d’une telle offre), une diversité toujours fondée sur le rapport passé/présent et une cinéphilie qui n’exclut pas le cinéma grand public honnête. Voilà pour l’esprit général, mis en place il y a fort longtemps et jamais vraiment remis en cause.
Renonçant, allez savoir pourquoi, à présenter dans le détail cette solide programmation, le directeur Christophe Leparc choisit lors de la conférence de presse de mettre en avant l’idée d’une fête du cinéma étendue à la ville. « Pour que la fête soit réussie, il faut que le plus grand nombre puisse y participer » et le festival hésite de moins en moins à sortir du Corum. En relation avec l’association Travelling, avec l’université Paul Valéry, avec le musée Fabre (chouette, un documentaire sur Soulages en avant première), la Panacée (où Dominique Cabrera donnera lecture d’un de ses scénarios avec des jeunes comédiens de l’ENSAD), la Médiathèque Fellini (où la traditionnelle saison du documentaire suivra), la Cinémathèque de Toulouse (elle reprendra une partie de la programmation de Cinemed à partir de la 40e édition) et encore plus naturellement avec tous les cinémas de la ville, le festival sera aussi accompagné par la Chambre de Commerce et d’Industrie qui devrait engager les marchands du centre ville à se sentir concernés par la manifestation. On rêve de vitrines décorées d’images de cinéma, comme à Cannes ou à Deauville. Un travail d’animation culturelle qui justifie sans doute aujourd’hui dans l’organigramme du festival un poste de médiateur culturel (en l’occurrence Charlélie Jardin).
Parce qu’ils y
ont été bien reçus, parce que leurs films – courts ou longs – y ont été montrés
dans de bonnes conditions devant un vrai public, de nombreux réalisateurs
(trices) reviennent au festival. On peut parler de fidélité partagée. C’est
évidemment le cas avec Nabil Ayouch le franco-marocain invité pour la cinquième
fois dont le film « Razzia » fera l’ouverture (la première fois c’était en 2002
avec « Une minute de soleil en moins » présenté en compétition longs-métrages),
avec Dominique Cabrera qui vient pour la troisième fois ou encore Merzak
Allouache, lui aussi attendu pour la cinquième fois et dont on se demande s’il
ne fait pas partie de l’équipe du festival ! Il aura d’ailleurs deux casquettes
pour cette édition. Avec la rétrospective qui lui est consacrée, on verra un
auteur têtu et attentif à la société algérienne, à ce qui la meut et/ou la
bloque, et avec un coup de projecteur sur le jeune cinéma algérien on verra en
lui une forme d’exemplarité : lui qui pourrait se satisfaire d’un confort de
cinéaste vivant en France et qui a fait le choix de tourner encore et encore en
Algérie, où les difficultés poussent comme des champignons (Car c’est une chose
de montrer l’Algérie en Algérie et une autre de la montrer en tournant au
Maroc).
On ajoutera au rang des fidèles le regretté Manuel Pradal, enlevé bien trop
jeune à l’affection du festival et des siens, et bien sûr sa propre cinéaste de
sœur, Laure Pradal dont on verra « Hors les murs », documentaire présenté dans
la section « Regard d’Occitanie ».
Un cinéma aux forceps
Le cinéma algérien
aujourd’hui est un cinéma bicéphale. Avec d’un côté des productions
convenablement financées mais qui ne passent guère qu’à la télé et sont, pour
la plupart selon un mot d’une grande franchise de Christophe Leparc, de «
sombres bouses ». Avec de l’autre côté une jeunesse qui après les années noires
a très envie d’en découdre avec l’outil cinéma. Cette génération, qui sait
créer ses propres solidarités et a des choses à dire, en passe par la
débrouille et n’attend pas d’avoir pour faire. Cela donne beaucoup de
courts-métrages dont l’économie est plus modeste, des moyens métrages aussi et
puis, aux forceps, des longs -métrages qui voient parfois le jour dans des
grands festivals. « Quand un film arrive à Cannes », remarque Christophe
Leparc, « les autorités algériennes sont bien obligées de reconnaître que le
film existe. Et il peut éventuellement y avoir alors un soutien a posteriori.
Ca commence à bouger en Algérie et il y a des remises en cause publiques des
financements du cinéma ».
Pour l’heure, la solution passe souvent par des coproductions étrangères, c’est
le cas avec le film de Sofia Djama, « Les Bienheureux », que le festival
accueille en compétition et dont le montage financier réunit la France, la
Belgique et le Qatar.
Seize films seront présentés pour illustrer la réalité de cette jeune garde du
cinéma algérien, un très passionnant pendant à la rétrospective consacrée à
Merzak Allouache couvrant quarante ans d’activité, entre l’immarcescible « Omar
Gatlato » (1976) et « Enquête au paradis » (2016). Ne pas manquer la master
class du « maître », le lundi 23 à 16h30, ni la table ronde autour de ce jeune
cinéma algérien le mercredi 25 octobre à 17h.
Intégrale Cabrera
C’est en accompagnant l’intégrale de son œuvre protéiforme que Dominique Cabrera revient à Cinemed. Tête chercheuse – des autres et d’elle-même- et personnalité attachante d’un cinéma transméditerranéen, cette cinéaste se passionne depuis toujours et de façon constante pour deux grandes thématiques majeures : les relations entre la France et le Maghreb et les mille et un visages de la fracture sociale en France. Par la fiction – courte ou longue – par le documentaire ou l’essai cinématographique, elle introduit toujours sa propre réflexion sur le cinéma, et parfois, une forme élégante d’autoportrait. Vingt-quatre films à voir ou revoir depuis « J’ai droit à la parole » (1981), et deux rendez-vous particuliers : master class le 26 et lecture de « Nejma, fille de Harkis » avec des étudiants de l’ENSAD le 27.
La face «
ciné-club » du festival sera comme souvent un souvenir d’Espagne et d’Italie.
Avec le cinéaste madrilène Fernando Trueba pour qui la musique ne compte pas
pour du beurre (on lui doit un dictionnaire du Latin Jazz) et dont on verra 9
films, ce sera aussi une façon de rendre hommage à Jean Rochefort, nimbé d’un
magnifique noir et blanc dans « L’Artiste et son modèle ».
Avec Alberto Lattuada, qui fut l’assistant de Mario Soldati, une sélection bien
alléchante encore en 10 longs-métrages, et qui montre bien comment, bien que
fidèle voire obsessionnel avec certains de ses thèmes (la solitude, l’appel de
la chair), ce cinéphile milanais s’adapte aux successives évolutions du cinéma
italien. Une exposition accompagnera cette rétrospective salutaire.
Encore jeunes mais expérimentés, Eric Toledano et Olivier Nakache, dont on peut déjà voir « Le Sens de la fête » en salles, représentent sans doute aujourd’hui l’idée d’un cinéma populaire de très bonne facture et jamais anodin. Il sera évidemment intéressant de revoir entre autres leur deuxième film, « Les petits souliers », court-métrage qui fut présenté à Cinemed en compétition en 1999. Une rencontre publique est organisée le 24.
Si la compétition des longs métrages reste quantitativement modeste avec 9 films, elle est bien complétée par la variété des 11 avant-premières proposées et ventilées entre Dioagonal, Rabelais, Utopia et Corum.
Pour ceux qu’intéressent particulièrement la question syrienne, à noter deux documentaires en compétition, « Radio Kobanî » de Reber Dosky et « A memory in Khaki » d’Alfoz Tanjour.
Enfin, si
Laetitia Casta et Isabelle Adjani croisées à Cinemed l’an dernier n’ont pas
vraiment d’équivalent cette année (à ce propos, la présidente Aurélie
Filippetti ne semble pas savoir que le mot « paillettes » possède une fonction
de running gag au festival), on devrait néanmoins croiser du beau monde.
A commencer par l’excellente Aure Atika (qui entre nous mériterait une bien
meilleure filmographie) dont on est sûr qu’elle conduira les débats du jury
avec justesse et bienveillance.
Jean-François BOURGEOT
Photos : l’affiche du festival, Nabil Ayouch, Merzak Allouache, Aure Atika, la conférence de Presse avec Christophe Leparc, Philippe Saurel et Aurélie Filippetti (Eric Catarina) et photo cinemed.