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Interview João Pedro Rodrigues

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Genre : Interview

L'Actu

 Interview du réalisateur João Pedro Rodrigues L’ornithologue

 CR : Qu’est-ce qui vous donne envie d’aller plus loin dans cette autobiographie fantasmée de Saint Antoine de Padoue ?

 João Pedro Rodrigues : Je ne le vois pas comme une autobiographie. C’est un film personnel comme tous mes autres films. Il y a des traits autobiographiques dans le sens où je voulais être ornithologue quand j’étais enfant. J’ai étudié la biologie avant le cinéma. Ce n’est pas mon histoire. Je ne pense pas que le cinéma serve de thérapie non plus. C’est une fiction qui se base très librement sur l’histoire de Saint Antoine de Lisbonne. Il s’appelait Fernando. Il nait à Lisbonne et meurt 40 ans après à Padoue, entre le XIIe et XIIIe siècle. C’est d’abord une figure mythologique parce qu’il n’existe pas vraiment de témoin de l’époque. L’histoire de sa vie, c’est celle de plusieurs voyages qu’il effectue comme missionnaire. Il était proche de Saint François. Pour écrire le film, je me suis basé très librement sur des événements du mythe. L’histoire de sa vie est plutôt une suite de miracles où tout est un peu fantaisiste et mythologique. Je me suis permis et même amusé à reprendre certains épisodes, à les transformer, les moderniser. D’une certaine façon, le récit se déroule maintenant, pas au Moyen Age. J’avais le désir de retourner à une image originale, parce que pendant la dictature, jusqu’en 1974 au Portugal, sa biographie a beaucoup été redite et réécrite.

Cr : C’est une figure comme celle de Jeanne D’Arc pour nous, qui peut être récupérée ?

J.P.R : C’était une autre époque, notre régime fasciste n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. Le Portugal était un pays très renfermé suivant la volonté du dictateur Somoza. C’est pourquoi plein d’intellectuels se sont enfuis. Nous vivons dans un monde complètement différent. C’est plutôt l’idée que la figure principale n’était pas Saint Antoine mais la religion catholique en général.

Cr : C’était un des piliers avec un certain obscurantisme, comme Franco avec l’Espagne ?

J.P.R. : Oui c’est un peu la même chose. Mussolini, c’était différent même s’il était plus athée. C’était plutôt retourner vers ces hommes, les Franciscains, qui étaient plus proches de la nature, les premiers écologistes si l’on veut.  

Cr : Comme Saint François qui parle aux animaux. Saint Antoine parle aux oiseaux, d’où leur présence qui n’est pas innocente.

J.P.R : Saint François est plus connu pour parler aux oiseaux et Saint Antoine aux poissons.

Cr : Dans l’imaginaire symbolique, l’oiseau n’est pas une figure innocente. Vous commencez par un rapace et terminez par des cigognes. L’aigle illustre l’idée de s’envoler pour atteindre une certaine spiritualité. C’est l’oiseau de Zeus, Jupiter. C’est voulu, c’est calculé ? Nous avons l’impression que toute la symbolique est déjà pensée à l’écriture. 

J.P.R : Je préfère penser qu’il commence comme un documentaire animalier, je dirais. J’essaye que toute la symbolique qui existe dans le film ne soit pas trop prenante. C’est une fiction qui évolue au fur et à mesure que le film évolue lui-même. Je n’aime pas quand elle prend trop de place, quand elle remplace le fil de la narration. J’essaye, même s’il existe beaucoup d’éléments mythologiques, qui peuvent être symboliques. Au départ les oiseaux sont des oiseaux. Il y a des rapaces, des cigognes, des hiboux. Après, il existe une symbolique autour de cela, car ce ne sont pas que des animaux. Ils sont chargés de tous ces symboles. 

CR : Pourquoi cette passion des oiseaux ?

J.P.R : Mon père m’a donné des jumelles quand j’avais huit ans. J’étais un peu solitaire et j’aimais bien aller dans la campagne observer les oiseaux. J’ai fini par faire des études de biologie que je n’ai pas finies pour passer au cinéma.

Cr : J’aime observer les rapaces. J’aime l’aspect de leur vol, mais aussi le côté contemplatif, spirituel. Nous sommes bien d’accord que dans le film, nous retrouvons cet aspect pour ceux qui, comme moi, sont à l’affut. Il peut se voir comme un voyage initiatique.

J.P.R : Je pense que la nature est plus importante que la religion dans le film. C’est pour cela que de nombreux hommes, pas seulement dans la religion catholique, se retirent dans la nature pour retrouver une certaine vérité. Il voulait être plus proche de quelque chose de surnaturel, une certaine transcendance. Il y a aussi cela dans le parcours de ce personnage. Au départ c’est un personnage qui fait une chose précise. Il observe les oiseaux et a un accident. Mon idée était de faire un western, après il existe plusieurs couches dans le film. On peut les voir ou les ignorer.

Cr : C’est un moyen de casser les codes narratifs du film de survie ?

J.P.R : Oui, je l’ai réalisé après The revenant. C’est un film que je n’aime pas vraiment.

Cr : J’aime bien les deux. On trouve des points communs, comme la manière de capter la nature par exemple.

J.P.R : Je préfère l’original le Convoi sauvage de Richard Sarafian. Même si The revenant est très impressionnant, il y a un côté numérique qui me déplait.

Cr : Il est aussi contemplatif, comme vous, mais d’une autre façon. Il est plus sur le haut des arbres et vous au ras du sol. Il part de la rivière, symbole de la renaissance, de passage des vivants et des morts, comme vous.

J.P.R : Je préfère la regarder comme une rivière. Je préfère que ce soit les autres qui les voient ? Je préfère rester réaliste.

Cr : Pourtant vous placez la réalité dans le fantasme et l’onirisme.

J.P.R : Oui, mais j’essaie d’arriver à l’onirisme par des choses très réelles. C’est pour cela que le glissement dans le film s’exécute petit à petit. J’espère que l’on ne s’en aperçoit pas. Il se produit de façon souterraine et c’est plutôt cela qui m’intéresse. Je souhaite que, lorsque l’on regarde le film, on ne se sente pas ailleurs. Je tiens beaucoup à l’aspect aventures du film.

Cr : C’est ce que j’aime bien dans ce film. J’aime autant un onirisme improbable que celui comme le vôtre touchant à la réalité.

J.P.R : Je cherche un invraisemblable vraisemblable…

Cr : C’est quand même une quête mystique et spirituelle ? Après, on peut y mettre tout ce que l’on veut, Dieu ou pas.

J.P.R : Oui, il ne se métamorphose pas en Saint Antoine de façon innocente à la fin. Mais je choisis de ne pas trop expliquer. Ce qui m’intéresse peut-être plus, c’est retravailler un personnage populaire au Portugal. Il fait partie par sa présence de notre quotidien. Il existe des images de Saint Antoine partout, et pas qu’au Portugal. Je ne suis pas religieux moi-même, et j’ai découvert qu’il était le Saint le plus vénéré et connu au monde. Ça m’intéresse de penser à cette figure aujourd’hui à travers mon regard. C’est retravailler cette idée d’un mythe appartenant à la culture portugaise et aussi me réapproprier d’autres mythes de cette culture. C’est la cérémonie animiste qui existe dans des endroits reculés. On ne connait pas très bien l’origine de cette fête des garçons. Elle remonte sans doute à des temps préchrétiens. Cette langue qu’il parle était presque perdue pendant la dictature, interdite. Elle survivait dans les villages perdus du nord du pays. Cela m’intéresse de prendre tous ces éléments pour essayer de créer une nouvelle mythologie qui serait celle du film et la mienne. Toutes ces mythologies coexistent, elles existent, elles survivent. Le fait qu’elles soient encore vivantes, c’est cela qui m’intéresse de les utiliser comme outils de fiction.

Cr : Est-ce que cela veut dire qu’elles furent préservées pour ne pas perdre le sens premier du monde ?

J.P.R : Elles ont failli disparaître pendant le siècle dernier, mais elles ont survécu parce qu’elles faisaient partie de la culture des gens. C’est très lié aux gens et à quelque chose de populaire. J’aime à penser que le cinéma continue à être un art populaire, un art un peu de foires. Je crois beaucoup à ce rapport et à ce pouvoir du cinéma, de toucher un public différent.

Cr : Il peut être un outil d’éveil, votre film pourrait en être un, de dénonciation par rapport à une dictature ou des faits de société. C’est un de ces rôles que vous lui donnez ? C’est deux rôles différents et vous travaillez sur les deux.

J.P.R : je ne pense pas que mes films soient activistes, dans ce sens-là ou que le message soit la première lecture. On peut peut-être lire des choses à plusieurs niveaux. Mon idée par exemple, souvent dans les magasins on me classe dans le rayon gay. Cela m’énerve un peu. Ce sont les histoires que je souhaite raconter. Je n’ai jamais voulu être un cinéaste gay. Ce n’est pas mon rôle de me classer, je veux être inclassable. Le cinéma d’auteur a peut-être plus de liberté que dans une structure industrielle du cinéma. Il existe des cinéastes qui s’enferment dans des univers qui se répètent. J’ai cette horreur de penser que je me répète. Quand les films sont trop ciblés dans une catégorie, gay, black, femme, souvent c’est comme une excuse pour faire du mauvais cinéma. Il n’existe pas une pensée de cinéma.

CR : Comme Rara l’histoire d’une jeune fille qui devient adolescente au cœur d’un couple de lesbiennes. C’est d’abord l’histoire d’une jeune fille qui passe une étape importante de sa vie.

J.P.R : je ne l’ai pas vu, mais je suis d’accord avec vous.

Cr : Cette catégorisation empêche l’accès à des gens qui sont en quête ou autre. Ce qui m’interpelle dans votre film, c’est que l’on retrouve le cheminement de sa quête du contemplatif, de l’homme au sein de la nature, etc. Du coup il serait privé dans la recherche de ses réponses.

J.P.R : Vous dites cela par rapport au classement dans un rayon gay. C’est complètement hors moi. Je n’y peux rien. J’espère que les gens sont curieux. Parce que moi aussi, je vois tout genre de film. Après, j’aime ou je n’aime pas, mais je suis curieux. C’est comme lire, même si les gens lisent de moins en moins, mais bon.

Interview réalisé et retranscrit par Patrick Van Langhenhoven corrigé par Françoise Poul