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affiche Winter Sleep

Winter Sleep

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Un film de Nuri Bilge Ceylan ,
Avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbağ,

Genre : Drame psychologique
Durée : 3h16
Turquie

En Bref

 C’est un hôtel perdu au cœur de la steppe en Cappadoce, qui signifie le pays des beaux chevaux. C’est ici, à l’approche du sommeil de l’hiver, que s’ouvrent les blessures et douleurs trop longtemps portées dans le creux de l’âme. Aydin, comédien retiré du monde, écrit entre deux éditos pour une feuille de chou local une monumentale histoire du théâtre turc. Neda, sa sœur, tente de récupérer d’un divorce qui la confine à la réclusion dans ce no man’s land. Nihal, sa femme, avec qui il ne partage plus la même couche, s’occupe des écoles du village.

Loin des troubles du monde, des aléas de la vie, Aydin s’occupe de l’art et de la pensée, laissant le quotidien à son homme de main Hidayet. Cet équilibre, où chacun joue comme les comédiens de la pièce une partie de la farce humaine, vole en éclat avec un jet de pierre sur la vitre d’une voiture. Dans l’ombre d’un bureau entre les ténèbres et la lumière, les paroles portent les blessures et ravivent les mensonges que l’on se fait à soi même. Plus question de porter les masques de la divine comédie, l’âme s’ouvre sous la force de l’ouragan soutenu par les mots de l’autre. Tout se joue entre les conversations feutrées aux couleurs des peintures des frères le Nain, où le silence soulève la tempête intérieure et accentue les non-dits. La course d’un cheval libre dans la steppe, un soir de beuverie et la mort d’un lapin en disent plus sur la symbolique des mots.


« Pendant qu'on est occupé à faire des projets, la vie passe. Une vie toute tracée n'a pas d'intérêt ».

Plusieurs nouvelles de Tchekhov, mais nous pourrions aussi rajouter tout son théâtre, La Cerisaie en particulier, composent cette histoire. La base semble emprunter à la nouvelle Ma femme. Le film touche au plus profond de notre nature humaine et n’épargne rien en creusant jusqu’à l’âme. L’orgueil, l’honneur, poussés jusqu'à la folie, emportent une majorité des personnages. Ainsi  à la fin le geste d’Ismail, le locataire endetté, refusant de payer ses dettes ressemble à l’un des personnages de L’Idiot de Dostoïevski. C’est l’honneur déchu, brisé d’un père. Il explique le geste de l’enfant et son refus à s’excuser. Poussé par le frère Iman au moment du pardon en baisant la main d’Aydin, le gosse s’évanouit. L’honneur est plus fort que la faute ou la honte. Il nous laisse croire que l’âme de la steppe de la Cappadoce Turc aurait beaucoup à voir avec l’âme russe ? Est ce la symbolique d’un cheval capturé qu’il finit par libérer comme si on ne pouvait retenir notre âme ou celle de région ?

Le film se construit autour d’un huis-clos, souvent dans le bureau d’Aydin, où les mots prennent toute leur force et viennent s’ouvrir comme autant de vérités sur notre propre vie intérieure.Nous retrouvons le grand cinéma, celui qui vous laisse vide à la sortie de la salle par le poids de son discours. Pas étonnant donc de rappeler Bergman, Bresson, et bien d’autres que rejoint Nuri Bilge Ceylan. Une belle leçon de champ et contrechamp, comme Verlaine pourrions-nous dire  et qui n'est chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait un autre. Il est renforcé par l’utilisation de la couleur et de la lumière rappelant parfois les peintres du 17ème siècle, les frères Le Nain dans leur Nativité, Rubens et bien d’autres encore. Les mots prennent tous leur sens, renforcés par la respiration, les silences remplaçant ici les longs panoramiques contemplatifs des paysages des films précédents. De la même façon, ils sont indissociables du tout, marque de fabrique du réalisateur.

Dans cette joute verbale, ils appuient la réflexion sur l’humanité brisée des personnages, tombant comme un silence dans une symphonie. La musique, cette sonate de Schubert, est aussi variation sur un même thème aux couleurs différentes. Le film se joue aussi dans les petits riens prenant toute leur ampleur si le spectateur sait les écouter, les saisir. Un regard, un geste, une larme complètent le chant global. On prend le temps de saisir l’espace de la tension dans une joute verbale, de la tension à l’explosion. Dans ces moments que ce soit sur le bien et le mal, ne pas s’opposer à ce dernier, l’art, la pauvreté et bien d’autres sujets que le film ne se contente pas d’effleurer, mais de creuser jusqu’à la moelle. Une discussion sur la qualité de l'écriture de l'artiste et la renommée, Internet et ses fans clubs où chacun peut jouer les fats. La misère et la pauvreté sont-elles la volonté de Dieu ?  Certains sont-ils venus sur terre pour supporter ce fardeau ? Ne devons-nous rien faire contre, est-ce une mise à l'épreuve ? Ne pas s'opposer au mal, une question complexe qui soulève une discussion profonde et intéressante. La longue joute finale entre Aydin et sa jeune femme nous interroge sur le couple.

Le film touche à l’universalité comme l’œuvre de Tchekhov, Shakespeare, Racine, Molière, c’est la marque des grands auteurs. Nous soulignerons les affiches dans le bureau, Cléopâtre, Caligula, et le nom de l’hôtel, Othello, ils renvoient à l’image que donne Aydin. Dans le bureau les masques que nous  portons, ceux de l'acteur quand il joue et de la vie, quand nous jouons un autre film. La question reste de savoir quand  sommes-nous sans masque, fidèles à notre image sans reflet dans le miroir. À la fin, libérant le cheval sauvage, est-ce l'Anatolie, la Turquie ou sa femme qu'il libère ou tout cela à la fois ? Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce film don les 3h16 passent comme la vie, fragile, oscillant entre tempête et bonheur et cet hiver qui approche où l’ours sommeille. Pour finir juste un petit mot sur les paysages qui tracent sur la ligne du discours des espaces infinis où le regard et l’âme semblent se perdre, poussant la réflexion sur le sens de l’existence. Il s’agit bien de cette question universelle en fin de compte, notre place ici et maintenant dans le souffle du temps.

Patrick Van Langhenhoven

Note du support : n/a
Support vidéo : Format 16/9 compatible 4/3, Format cinéma respecté 2.40, Format DVD-9
Langues Audio : Turc Dolby Digital 5.1
Sous-titres : Français
Edition : Mémento films

Bonus uniquement


Bandes-annonces
Documentaire sur le tournage (140' - VOST)
Winter Sleep à Cannes (11')
Galerie de photos

    Titre original : Kış Uykusu
    Titre international : Winter Sleep
    Titre français : Winter Sleep
    Réalisation : Nuri Bilge Ceylan
    Scénario : Nuri Bilge Ceylan et Ebru Ceylan
    Photographie : Gökhan Tiryaki
    Montage : Nuri Bilge Ceylan
    Production : Zeynep Özbatur Atakan
    Sociétés de production3 : NBC Film, Memento Films, Arte France Cinéma4, Bredok Film Production
    Pays d'origine5 : Turquie, Allemagne, France
    Langue originale : turc
    Format : couleur - 2.35 : 1
    Genre : Drame
    Durée : 196 minutes
    
Distribution

    Haluk Bilginer : Aydın
    Demet Akbağ : Necla
    Melisa Sözen : Nihal
    Ayberk Pekcan : Hidayet
    Tamer Levent : Suavi
    Nejat İşler : İsmail

    Serhat Kılıç : Hamdi