La vie de Liliane ressemble à une ombre passante, un fantôme accroché à la succession des jours en attente d’autre chose qui ne viendra pas. Depuis longtemps elle n’a plus rien à dire, à offrir à son mari. Ils ne sont pas loin de ressembler à des inconnus, le fil de leur connivence a-t-il existé un jour ? Une nuit un coup de fil bouscule le cœur de Liliane, ouvre un nouvel espace, libère les digues du silence. Là-bas, ailleurs, son fils est mort en Chine dans la province du Sichuan. En butte à l’administration et au rapatriement du corps, elle n’hésite pas et décide de partir. Son mari ne l’accompagnera pas, une seule phrase suffit à sa maigre tentative de rattraper le temps perdu. « Je dois y aller seule, tu n’as jamais rien fait pour ton fils, il n’y a pas de raison de changer ».
Elle pose ses bagages à Shanghai pour une première escale, nouer le fil d’Ariane qui dans le labyrinthe de la douleur la conduira vers son fils. Baragouinant comme un enfant deux trois mots de chinois appris dans un livre, un anglais approximatif, elle se lance sur la route. C’est au cœur d’un petit village oublié de la province du Sichuan qu’elle débarque, de moins en moins fantôme, de plus en plus vivante. Je ne sais pas comment j'ai fait pour mettre au monde un enfant pareil. Moi je n'ai jamais fait que des mauvais choix. C’est bien le rocher sur lequel elle a bâti son existence et qui finit par devenir une île.
Aujourd’hui, elle descend de la montagne, revient au cœur des vivants à travers ce fils mort. Elle trouve auprès d’un banquier en retraite l’aide nécessaire pour se confronter à l’administration. Une chanson de Brel, nouveau fil dans ce labyrinthe des douleurs, la rapproche des amis de son fils. Elle en apprendra plus sur elle-même. La mort de la chair de sa chair la ramène au monde des vivants. Désormais il lui reste à choisir sa route, à ne plus être esclave du temps, à ne plus accepter, à décider !
La mort plane, mais elle nous rappelle combien elle est la vie. Le film parle d’une femme, passante anonyme dans une vie qui ne lui appartient pas. Elle la subit comme d’autres le poids du chagrin. Nous nous demandons si un jour elle prit une décision par elle-même, pour elle-même. Étouffée par son mari, sa raideur, son autorité, lui volèrent celui qui pouvait enfin la libérer. La mort et le chagrin, la douleur insurmontable d’une mère ouvre une porte intérieure et débloque un fleuve prisonnier. Elle est d’abord soumission face aux tracasseries administratives, elle ne se révolte pas, avance pas à pas. Elle suit, inconsciente, une voie qui s’ouvre devant elle et la conduit vers sa destinée. En cela elle rejoint la fin du film, empreint de Taoïsme. L’accident a fait de son fils un fantôme qui ne pourra pas se reposer si la terre et l’âme ne renouent pas ensemble. La cérémonie est aussi pour elle.
On lui à volé son âme, elle la reprend et sa vie avec. À la fin du voyage, elle prend en main son destin et lui insuffle un autre but. Plus qu’un voyage, c’est un éveil. Le point de vue du réalisateur n’est pas dans la confrontation avec le pays, la mort et la famille. Il se situe sur l’éveil, la route est intérieure, les lieux, les êtres en sont le passage, les chakras qui s’ouvrent pour qu’enfin Liliane devienne elle-même. Là-bas elle trouve la sérénité et l’harmonie que son mari lui avait volées. Partir ou rester, à quoi bon revenir quand son âme est ailleurs et qu'ici demeure le vide. Le vide et le plein ne s’opposent pas, ils forment un tout comme le Yin et le Yang. En ce sens, Voyage en Chine est un film empli de l’esprit du Tao. C’est bien ce « un » séparé qui doit retrouver sa forme originelle quand le monde n’était pas planète, la terre océan, mais « un » au balbutiement du monde.
La progression est douce, des photos, des objets, des confidences, des gens surtout qui à chaque passage marquent une nouvelle entrée, une porte à franchir. La caméra joue d’abord de la transparence, Yolande Moreau est vue à travers des vitres, sans doute pour accentuer cet aspect de fantôme. Le pavillon est un univers restreint, enfermant les personnages dans leur petite vie banale, prisonnière. Shanghai marque un début où l’horizon s’ouvre un peu, les rues, souvent les places, l’appartement du fils plus ouvert, plus vide. Enfin dans le Sichuan il s’ouvre sur les montagnes et l’horizon, l’espace devient presque infini. La montagne est à l’image de l’homme, tous deux ancrés entre ciel et terre. Yolande Moreau compose un personnage inoubliable, dans une prestation magnifique.
Nous comprenons le réalisateur : « Sa présence m’a accompagné tout au long de l’écriture, avant même d’avoir eu son accord. » Et d’ajouter : « Et le film ne se serait pas fait si elle avait dit non ». Zoltan Mayer saisit avec justesse, les visages, les paysages, l’œil du photographe se soucie du cadre et de la poésie du Tao. Vous ne manquerez pas ce voyage intérieur reflété par le miroir des paysages extérieurs avec justesse.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Voyage en Chine
Réalisation : Zoltan Mayer
Scénario : Zoltan Mayer
Musique : Benoît Hillebrant et Valérie Deloof
Photographie : George Lechaptois
Montage : Camille Toubkis
Costumes : Dorothée Lissac et Dodo Gu Yeli
Décors : Daphné Deboiasne
Producteur : Carole Scotta
Producteur exécutif : Natacha Devillers et Julie Billy
Producteur associé : Simon Arnal-Szlovak et Caroline Benjo
Production : Haut et Court et France 3 Cinéma
Distribution : Haut et Court
Genre : Drame
Durée : 96 minutes
Distribution
Yolande Moreau : Liliane
Qu Jing Jing : Danjie
Ling Dong Fu : Chao
Liu Ling Zi : Li Shu Lan
Dong Qing : Ruo Yu
Yang Yilin : Yun
André Willms : Richard
Li Chenwei : Maître Sanchen
Geneviève Casile : la patiente à l'hôpital
Camille Japy : une fonctionnaire
Sophie Chen : Mlle Yang