Le slogan de la bande-annonce « Le premier
film de super héros français, garanti sans effets numériques » éveillait
en nous l’attention autant qu’il suscitait la curiosité. Après s’être imposé
comme l’une des figures de proue du court-métrage (Petits Pas et De sortie,
récompensés notamment), Thomas Salvador s’est lancé avec audace dans le milieu
du long.
Ce super-héros, interprété par ses soins, n’en est pas vraiment un, ou alors, un
pas comme les autres. Tel un crocodile sans écailles, au contact de l’eau, ses
capacités comme sa force sont décuplées. Avec une intrigue intimiste et légère,
les Marvel et DC Comics n’auraient pas trouvé leur place dans ce format d’une
folle liberté, déroutant par sa singularité.
Les superhéros sont habituellement habités par une quête, une volonté d’aider une cause perdue, à laquelle eux seuls ont les moyens de répondre. C’est une figure rassembleuse s’imposant généralement avec grandiloquence, où les touches d’intime sont en périphérie même du film. Le retournement à la française fonctionne très bien, quoiqu’on ait pu penser auparavant, avec l’intime du superhéros comme terreau de ses actions fantastiques.
La cause même de sa fuite n’est pas volontaire et n’a d’essence que dans l’amitié et l’amour. Isolé et solitaire, antihéros moderne contemporain, son collègue par sa joie de vivre apporte une présence amicale dans sa vie. Sa vie ne se résumait qu’à son plaisir coupable, dissimulé par peur : nager pour favoriser l’expression de sa pleine puissance inhumaine. Après l’amitié, place à l’amour. Avec une lenteur dans l’action et une rapidité dans le temps, le spectateur est plongé avec délicatesse dans l’œuvre. Le film avance sans trop le vouloir, se laissant porter par le sens du courant, l’air de rien, comme Vincent dans un ruisseau.
Il y a pourtant dans ce film fantastique, une part de réalisme. Ces pins du sud au bord de l’eau rappellent l’ambiance de L’inconnu du lac de Guiraudie, quand le ton contrebalance tout et est comparable à celui de La fille du 14 juillet de Peretjatko. Peut-être moins déjanté, il brille par sa folie et une singularité impressionnante. Ce paysage magnifique, ces cours d’eau du sud ont été filmés des centaines de fois, et pourtant ils ont cette fois le goût de la nouveauté. Les codes sont bousculés et à une scène réaliste, succède un gag décalé puis un suspense surprenant… Ce sont ces films qui se refusent à en être un. Thomas Salvador l’a compris : le cinéma permet de raconter toutes les histoires possibles et a une puissance visuelle semblable à la parole. C’est un superpouvoir dont il dispose dans la vie également, celui de pouvoir faire des films. D’avoir ce pouvoir dans son rôle, lui permet des scènes à proprement parler absurdes comme le lancer de bétonnière ou encore un certain style au cours de la course poursuite. On se laisse bercer par les ondulations aquatiques mais sans rester insensible à des idées loufoques et un humour très décalé. Et si la pluie pourrait régler un suspense au cinéma ? Ce film, au-delà de la forme est une parabole sur la différence et sa traque éperdue, et donc un exercice sur la liberté du médium qu’est le cinéma.
L’autre point commun avec le film d’Antonin Peretjatko est la présence de cette actrice qu’incarne Lucie : Vimala Pons. Thomas Salvador forme avec elle un tendre duo amoureusement lié. Le premier est un gringalet un peu perdu et renfermé, quand la seconde, pas plus bavarde, apporte son sourire féminin et l’attachement au monde extérieur. Cet amour entre deux personnes tendres est revigorant et limpide. Les regards apportent beaucoup. L’enchainement de la découverte du secret montre la liberté se prolongeant jusqu’au montage avec une conversation semblant presque se suivre, mais étant coupée rapidement et dans des lieux différents.
Finalement avec ce pouvoir magique, la quête est double et au-delà de fuir après avoir sauvé son ami, la recherche imminente de force tirée à la source provoque une recherche aquatique constante. Dans la société actuelle, celle de l’homme consommateur invétéré d’eau, cela prend sens. Et c’est un renforcement de cette différence, Vincent ne semble être ni un reptile, ni un humain et pourtant il est bien dans la même quête : celle d’absence de solitude et celle de l’eau, vitale. La différence d’apparence n’en est pas une de fond.
Le film pèche peut-être dans la profondeur, où l’exercice de style superbement mené empiète sur la portée. La poursuite, si elle amuse et offre une issue intelligente, semble trop durer et poursuit une légèreté et une simplicité voulues parfois dérangeantes.
Déconcertant, le film respire pourtant une simplicité extrême, un artisanat pur, une fraîcheur qui efface les fameux défauts des premiers films. Les images sont très belles, des paysages à la scène de la forêt. Et les effets spéciaux non-numériques apportent un minimalisme, où l’eau a un goût d’indépendance comme le cinéma l’aime tant. Après l’émergence d’un ton nouveau et jeune dans le cinéma français l’an passé, ce petit bijou prolonge le mouvement. Emerveillé par le cinéma, comme Salvador devant la puissance qu’on peut lui donner, le bain merveilleux redonne espoir. L’année pourrait ne plus paraître si originale, pourvu que le cinéma français se laisse guider par son historique créativité.
Clément SIMON
Titre original : Vincent n'a pas d'écailles
Titre international : Vincent
Réalisation : Thomas Salvador
Scénario : Thomas Salvador ; Thomas Cheysson et Thomas Bidegain (collaborations)
Direction artistique : Samantha Mugnier
Costumes : Alice Cambournac
Photographie : Alexis Kavyrchine
Son : Laurent Gabiot, Jean Mallet et Olivier Dô Hûu
Montage : Guillaume Saignol
Production : Julie Salvador
Société de production : Christmas in July
Société de distribution : Le Pacte
Pays d'origine : France
Langue originale : français
Genre : comédie dramatique fantastique
Durée : 78 minutes
Distribution
Thomas Salvador : Vincent
Vimala Pons : Lucie
Youssef Hajdi : Driss
Nicolas Jaillet : le lieutenant Le Brec
Nina Meurisse : l'amie de Lucie