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affiche Vers l'autre Rive

Vers l'autre Rive

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Un film de Kiyoshi Kurosawa ,
Avec Tadanobu Asano, Eri Fukatsu ,

Genre : Drame psychologique
Durée : 2h07
Japon

En Bref

Misuki se réfugie depuis trois ans dans l’ombre vague des souvenirs d’un homme qu’elle aima autrefois et détesta parfois sans doute. Yusuke, comme le tsunami une fois la côte ravagée, détruite, s’en est allé au-delà du par-delà sur les rives du satori. Et voilà que, surgi de nulle part, du fond de l’abime où rient les morts, il réapparait. Est-ce un songe d’une nuit d’été, l’absence créant la présence quand elle est trop douloureuse à supporter ? Il est là, vivant d’entre les morts et l’entraine sur la route de ces trois ans vides où le temps continuait d’égrener son chapelet. Elle apprendra le temps des fantômes blessés qui ne peuvent partir, comme ce vieil homme vendeur de journaux. C’est cette femme et le souvenir d’une sœur et d’un morceau de piano devenus brume fantomatique. La route est longue et conduit le mort et la vivante aux berges d’où l’on aperçoit l’autre rive pour qu’enfin le temps des souvenirs naisse et ne trahisse pas l’oubli.

 Les fantômes, fragment d’hier accrochés à aujourd’hui, fascinent Kiyoshi Kurosawa, ils appartiennent à la mythologie japonaise. Ils sont le chant des souvenirs et de l’absence pour que l’oubli ne les efface pas de la mémoire une vie. C’est cet amour si grand, si beau qu’il envahit tout notre être, au point que le mort revienne. Prisonnier de nos désirs ou d’une expiation, il ne peut pas rejoindre l’au-delà et suivre sa route. Misuki ne s’étonne pas de cette présence, contrairement à nos fantômes accrochés comme l’avare à la cassette de l’existence. Yusuke vient pour que le temps du deuil s’achève et que celui des jours nouveaux s’habille d’un passé accompli et accepté.

La mort comme la vie appartiennent à notre Karma, notre chemin ne s’achève pas ici. Il continue ailleurs, reprenant le cercle des existences et nous laissant seul avec l’ici et maintenant à savourer pleinement. Une fois le voyage accompli, Misuki devra accepter qu’il en soit ainsi et que la roue continue de tourner. Kiyoshi Kurosawa nous livre une de ces belles romances où l’amour affronte la mort et finit par gagner, car il peut tout. Le couple formé par l’actrice Eri Fukatsu et le retour du talentueux Tadanobu Asano abandonnant le cinéma blockbuster pour un temps est admirable de vérité.

 Patrick Van Langhenhoven


Avis de Clement

Montrer l’inapparent constitue l’une des ressources de l’art cinématographique. Kyoshi Kurosawa  - réalisateur de Kaïro, Tokyo Sonata, le diptyque Shokuzai notammentpropose, dans son dernier film, aux morts de revenir. Il fait resplendir l’art de l’entre-deux, de l’illusion à la réalité, de la vie à la mort - et l’inverse - et nous emmène dans un monde intermédiaire, dont l’unique envie est d’y croire.

            Le réalisateur japonais dans ses précédents films creusait déjà le sillon de sa culture nationale avec des thématiques atypiques - la mort déjà, le souvenir, la paix… - explorant des genres multiples, évoluant avec l’âge vers le cinéma d'auteur et la réflexion sur la vie humaine. Vers l’autre rive, en effet, extériorise ses craintes, met en lumière l’ombre qu’il tentait de faire apparaître fugacement auparavant et réalise, en conviant face à sa caméra l’improbable, un bijou allégorique.

             Kurosawa, dès ses premiers plans, laisse supposer une apparition, la proximité d’une présence étrangère. Un homme nommé Yusuke, dont on apprend peu après qu’il est mort, entre alors dans la salle à manger de cette jeune professeur de piano - sa femme. Dans l’enchainement des plans, la chute patiente. Chute, il n’y aura pas, les fantômes de Kurosawa sont aussi visibles que l’amour de Mizuki quand elle prépare ses petits beignets, tant dans les mouvements de caméra, que dans les esprits et visuellement. Yusuke est décédé il y a trois ans et il revient. Il s’agit du parti-pris du film : réunir vivants et morts à l’écran.

            Les fantômes au cinéma, cantonnés plutôt au rôle de l’inquiétant, retrouvés dans les films à suspense ou les thrillers, prennent une autre posture. Au début de son œuvre, Kurosawa mettait ces derniers en scène pour l’horrifique côté de leur caractère insaisissable. Ces fantômes puisent dans leur rôle un pendant pour permettre une réflexivité humaine, comme l’ont pu faire les vampires de Jarmusch - dans la splendeur d’Only Lovers Left Alive. Le fantôme de Yusuke revient dans la cuisine de sa femme pour l’emmener faire une balade onirique au pays de son renouveau, à la rencontre des personnes l’ayant aidé après sa mort. Tant de rencontres, mais pourquoi ? Une façon de vivre ce qu’ils n’ont pas pu ? Une façon de faire réellement le deuil ?

            Le film est empreint de forces opposées, extrêmes, où surnage le sentiment de douceur mêlé à des tensions partielles. Vie et mort semblent s’entrechoquer, sans savoir où est la frontière. Les couleurs et les lumières s’opposent et la mort paraît aussi forte et vive que la vie. Le spectateur se prend au jeu, puis constamment s’étonne au moyen de coupes dans le montage, entretenant une ambiguïté volontaire : soudainement Mizuki se réveille, soudainement Mr Shimakage disparaît dans la rue, soudainement Yusuke ne répond plus… Il est perdu dans le monde fantastique du réalisateur, avec le tourment de découvrir le subterfuge d’une réalité qu’il sait impossible. Ce suspense réside également dans les réactions de la jeune femme, Mizuki. La joie des retrouvailles détonne avec la peur de perdre à nouveau cet être cher. La caméra s’en joue : elle peut à tout moment faire disparaître l’apparition surprenante qu’elle a accordée.

            La puissance de présences dites fantomatiques a le don de rebattre les cartes de nos croyances. Ce face-à-face entre vivants et morts coule comme la cascade, à la façon d’un récit initiatique avant le passage dans l’au-delà. La capacité à détourner un être ancré dans les imaginaires collectifs et la pertinence de la visibilité d’un ressenti, le tout à des fins de réflexion, se révèle être le stigmate de grands auteurs. Vers l’autre rive émeut et bouleverse, tant avec sa délicatesse il offre un moyen de faire ce que nous, humains, ne pourrons jamais faire. Les grandes scènes sont les réconciliations impensables dues à ces retours : le morceau de piano, l’enlacement des  corps, le retour de l’absence avec Mr Shimakage.

Le travail du deuil prend une résonance particulière, facilité par la présence de l’aimé et le savoir de son bonheur. Mieux qu’une thérapie, cela nous pousse à réfléchir sur notre condition humaine, notre existence, comme les cours que Yusuke donne, à la façon d’un vieux sage. Soyons heureux, vivons ensemble, s’écrie le film ! Écrit avec un lyrisme tout japonais, Kurosawa nous prend la main et nous montre ce qu’est « l’autre rive », afin de mieux comprendre la nôtre et de ne plus avoir peur. L’amour rayonne pour la première fois chez le réalisateur nippon à travers ce couple. Tout au long du film, les deux personnages retrouvés se regardent benoîtement dans une infinie tendresse ; c’est ici, avec les morts, que l’on se sent le plus vivant.

 Clément SIMON

Note du support : n/a
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Titre original : 岸辺の旅, Kishibe no tabi

    •       Titre français : Vers l'autre rive

    •       Réalisation : Kiyoshi Kurosawa

    •       Scénario : Kiyoshi Kurosawa et Takashi Ujita d'après un roman de Kazumi Yumoto

    •       Pays d'origine : Japon

    •       Format : Couleurs - 35 mm - 2,35:1

    •       Genre : drame, fantastique, romance

    •       Durée : 127 minutes

    •       Dates de sortie :(Festival de Cannes 2015) 30 septembre 2015 

Distribution

    •       Tadanobu Asano : Yusuke

    •       Yû Aoi : Tomoko

    •       Akira Emoto : Hoshitani

    •       Eri Fukatsu : Mizuki

    •       Masao Komatsu : Shimakage