C’est le temps de ne plus mentir, de prendre la dernière route, celle qui du trou de notre naissance nous emporte au dernier gouffre. Pour l’instant, Tomas ne se doute de rien. Il vient juste revoir un vieil ami resté au pays. Il revient pour quatre jours où le temps n’aura eu aucune prise, comme s’ils s’étaient quittés hier. Mais ce dernier se fout bien de nos envies, de nos désirs, de nos folies, de la maladie. C’est quand les choses s’effacent prennent des couleurs ternes, s’estompent dans le lointain, pointent du doigt l’échéancier. Julian est heureux de revoir son vieil ami, celui de ses premières folies, au moment de la dernière heure quelle ironie !
Tomas débarque à la fois pour le temps des retrouvailles, mais aussi pour soutenir son vieux camarade contre le crabe qui le ronge. Le détourner cette folle idée d’arrêter de lutter, de se laisser porter tout doucement vers la porte de sortie. Il pense posséder ce trésor de quatre jours pour le détourner d’une échéance qu’il n’accepte pas. Commence la dernière balade dans les rues de la ville, les connaissances d’autrefois, les amours d’aujourd’hui et Truman, le chien. Il avait quatre jours pour changer une décision et c’est peut-être quatre jours pour en prendre une nouvelle.
« Tomas : Qu’est ce que je t’ai appris de si important ? Julian : Ne rien attendre en retour. »
On ne décide de rien dans l’existence. La vie, petite farceuse, s’amuse de nos illusions et nous laisse croire que nous menons le bal. En vérité, nous ne décidons de rien, une rencontre, un mot d’amour oublié, prononcé à l’aurore et elle change de couleur de route. Alors il nous reste notre mort, mais peut-être qu’en fin de compte, nous ne sommes pas plus maitres de cette dernière décision que de la première. Cesc Gay, enfant d’Almodovar, nous livre une réflexion sur la fin de vie. Tomas vient pour pousser son ami Julian à changer d’avis, à reprendre son traitement et ne pas laisser le crabe gagner. Pendant quatre jours, en suivant son vieux camarade, il apprend à accepter l’inévitable. Pas de happy end et le monde reprend sa route, la maladie recule et cette dernière journée en verra bien d’autres se lever. C’est la vie sans fard, sans fioriture, sans masque, juste la réalité simple et sans détour. Le voyage devient initiatique, à la plus belle des initiations, la mort. C’est Julian qui entraine son ami chez le docteur, la quête de futurs maitres pour Truman, revoir le fils éloigné, la dernière soirée, etc. Elle plane sans dire son nom, sans la nommer comme le poème sur la liberté.
« Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom » Paul Eluard
Nous pourrions facilement remplacer « liberté » par « mort ». Ils sont liés dans le souhait de Julian d’avoir le choix de l’heure et du moment pour finir le voyage. Plus que par ce qu’il traverse, c’est bien ce qui se dessine en arrière-plan qui prend toute son importance. Loin des films pathos comme Nos étoiles contraires, Cesc Gay joue la carte du rien, de petites choses insignifiantes, qui ailleurs seraient sans importance. Tout à coup en s’appuyant sur le subjectif, elle prend un autre relief. Le ici et maintenant devient un temps hors du temps, c’est sans doute la vraie victoire. La mise en scène laisse une place importante aux non-dits, aux regards, aux gestes que l’on esquisse.
Comme le présent, ils deviennent des trésors que l’on chérit. Truman peut apparaître parfois prévisible et pourtant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit combien on ne maitrise rien. Ricardo Darín, acteur argentin découvert depuis que la nouvelle vague d’Amérique du Sud envahit nos écrans est une fois de plus exceptionnel. Javier Cámara dans le rôle de Tomas n’a rien à lui envier. L’alchimie entre les deux hommes donne toute beauté au film, oscillant entre des moments où le rire cache les larmes qui nous désarment. Le film est une métaphore du parcours du chien Truman, belle leçon de vie aux portes de la mort que je vous laisse méditer.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Truman
Réalisation : Cesc Gay
Scénario : Cesc Gay et Tomàs Aragay
Direction musicale : Nico Cota et Toti Soler
Direction artistique : Jorien Sont
Décors : Irene Montcada
Photographie : Andreu Rebés
Son : Albert Gay et Jesica Suarez
Montage : Pablo Barbieri
Production : Marta Esteban, Diego Dubcovsky
Société(s) de production : BD Cine, Imposible Films, Kramer & Sigman Films, Telefe et TVE
Budget : 3 800 000 €
Langue originale : espagnol
Pays d'origine : Espagne et Argentine
Format : couleurs - 1.85 : 1
Genre : comédie dramatique
Durée : 108 minutes (1 h 48)
Dates de sortie : 6 juillet 2016
Distribution
Ricardo Darín : Julián
Javier Cámara : Tomás
Dolores Fonzi : Paula
Eduard Fernández : Luis
Àlex Brendemühl : le vétérinaire
Pedro Casablanc : le médecin
Troilo : Truman
Festival international du film de Saint-Sébastien : Truman est nommé 3 fois et reçoit 2 prix
Coquille d'argent du meilleur acteur : Ricardo Darín et Javier Cámara
Zinemaldia Feroz : Truman
Prix Feroz 2016, Truman est nommé 6 fois et reçoit 2 prix2 :
Prix du meilleur acteur : Ricardo Darín
Prix du meilleur scénario : Cesc Gay et Tomàs Aragay
30e cérémonie des Goyas, Truman est nommé 6 fois et reçoit 5 prix :
Premio Goya du meilleur film
Premio Goya du meilleur réalisateur : Cesc Gay
Premio Goya du meilleur acteur : Ricardo Darín
Premio Goya du meilleur acteur dans un second rôle : Javier Cámara
Premio Goya du meilleur scénario original : Cesc Gay et Tomàs Aragay
Prix Gaudí, Truman est nommé 11 fois et reçoit 6 prix :
Prix du meilleur film en langue étrangère
Prix du meilleur réalisateur : Cesc Gay
Prix du meilleur scénario : Cesc Gay et Tomàs Aragay
Prix du meilleur acteur : Ricardo Darín
Prix de la meilleure actrice dans un second rôle : Dolores Fonzi
Prix du meilleur acteur dans un second rôle : Javier Cámar