Dans une petite ville du nord, la police est sur les dents, un indic d’origine algérienne vient de passer de vie à trépas. Les flics du coin pédalant dans la semoule, s’embourbant comme un hippopotame sortant de sa mare, on délègue sur place un duo de la police des polices. Esther et Sally ressemblent à un duo de ces films muets où les Buster Keaton, Laurel et Hardy déchainaient les fous rires. Méfiez-vous des apparences. Sous des allures de ne pas en avoir l’air, elles connaissent la chanson, et pourraient bien éclaircir des zones d’ombre.
Esther la joue mornifles et coups à tous les étages, d’ailleurs elle préfère l’amour vache avec son mari violoniste aux ritournelles. Sally joue la contemplative. Elle passe son temps à mater le corps nu du voisin d’en face, un peu comme le héros de Fenêtre sur cour. Après une entrée fracassante et des morts qui tombent comme des mouches, un peu perdues, nos deux donzelles arriveront-elles à percer à jour les malversations mentales de tous ces quidams ? Il faut dire à décharge que le commissariat ne brille pas par son efficacité. Le seul à faire le poids se nomme Mendès et pourrait bien s’avérer la pièce manquante dans ce gourbi.
Tip Top ressemble à ces films indéfinissables, aux apparences brouillonnes et foutraques dans la veine des bons vieux anars de la grande époque, Jean Pierre Mocky étant le dernier représentant. Bozon mélange des stars et des acteurs non professionnels et parfois ça se voit comme le supérieur du duo féminin. Dès la première séquence où François Damiens, l’acteur belge qui monte, harangue une bande d’Algériens en tenant des propos proches de certains groupuscules de droite !
C’est pour la bonne cause, son indic risque gros, il peut être grillé au sens propre et figuré. Quelques scènes plus loin, un ascenseur et la découverte de nos deux drôles de dames qui annoncent la couleur, ça va saigner du rire et du décalé. Ni comédie policière, il existe une thématique sur le racisme et la police au fond de la casserole de ragoût, ni film social, il existe un meurtre, et une enquête qui emprunte souvent des chemins surprenants pour sa résolution. Bozon construit au même titre que les Léo Malet, Mocky, une œuvre inclassable, anarchique qui parfois déroute, exaspère, énerve, dans notre habitude de l’habitude qui finit par nous jouer des tours.
Il faut se laisser porter, emporter, accepter les défauts pour trouver les qualités. Malgré tout dans ce chaos, il existe une réflexion comme le lien franco-algérien, il ne propose pas de discours sur la question, mais touche avec justesse toute l’ambivalence qui règne d’un côté comme de l’autre. Isabelle Huppert et Sandrine Kimberlain prennent plaisir dans leurs rôles décalés que personne ne semble leur avoir proposés, sauf Bozon. Elles prouvent l’étendue de leur talent et leur capacité à tout jouer. D'ailleurs, le réalisateur dit de son film : « Ce n’est pas parce qu’un film n’est pas linéaire qu’il n’est pas clair » ; « Ne me demandez pas d’expliquer mon scénario, je revendique son mystère ». Nous touchons plus au burlesque des films muets, jeux du non-sens et du décalage permanent. Le risque c’est de perdre le spectateur ordinaire qui n’y verra qu’une façon de lui embrouiller les neurones comme disent les jeunes. Ni tout à fait bon, ni tout à fait mauvais, c’est tip top quoi !
Patrick Van Langhenhoven