Pour son premier long métrage de fiction, Delphine Deloget choisit le combat de ces mères contre les services sociaux. C'est souvent l'inceste qui les place sur le devant de la scène publique. Pourtant, comme le dit la réalisatrice : « 70 % à 80 % des placements d’enfants sont ordonnés suite à une “défaillance” : parents désorientés, enfants difficiles à gérer, carences éducatives, logements inadaptés, familles endettées. » C'est une famille à la marge qu'elle explore à travers ses personnages. D'abord un enfant plein de vie, bouillonnant qu'il faut canaliser. Le second tente de trouver sa place dans cette famille peu ordinaire. Virginie Efira, dans le rôle de Sylvie, compose une mère ambigüe, protectrice, serveuse dans un bar. C'est une famille précaire qui tente de survivre comme elle le peut. Pour compléter le portrait, les deux frères de Sylvie sont à l'opposé l'un de l'autre.

Hervé se débat contre ses addictions. Il essaye de retrouver une route plus conventionnelle que la marginalité qui finit par l'étouffer. Alain, lui, s'est éloigné de cette famille contagieuse qui l'entrainait peut-être vers le fond d'un lac sombre. Face à eux, les services sociaux et une assistante sociale accrochée à la règle pour éviter sans doute la faute de trop. Rien à perdre s'inscrit dans la longue lignée des films sociaux nouvelle mode qui tentent d'examiner à la fois les familles et le système. Nous pensons forcément au maitre du genre, Ken Loach, avec Ladybird sur le même sujet en 1994 et aussi au cinéma des frères Dardenne. La mise en scène est soignée, jouant sur les atmosphères de fête dans le bar, la solitude de la mère et des enfants. Elle oppose ainsi une famille sur la ligne vivante à un système obéissant, aveuglé par les normes, qui devrait se remettre en cause.

Elle soigne ses seconds rôles et leurs histoires parallèles étoffant le récit central. Rien à perdre est à charge contre les animateurs sociaux qui n'ont pas le beau rôle, pour une fois. Il montre que la machine institutionnelle peut parfois se tromper dans son désir de bien faire. La réponse est bien plus complexe que ce côté manichéen du film qui gagnerait à insuffler un peu plus de gris. Virginie Efira continue de choisir des rôles qui la mettent en danger pour dévoiler une autre palette de son talent d'actrice. Plus que le thème de l'enfance en difficulté, c'est l'intime, la famille et ses liens solides qui lui permettent de franchir les obstacles, le sujet principal.
Patrick Van Langhenhoven

Avis de Françoise Poul

J’ai adoré le film et pris un coup à l’estomac comme ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Je ne trouve pas Virginie Efira ambigüe mais dépassée par les événements et sa spontanéité. Elle ne peut pas analyser et adopter un comportement qui la servirait sur le long terme. Et ce flottement justement évite le manichéisme, avec des rebondissements inattendus. Les deux frères viennent en effet apporter un relief à l’histoire et on se prend à imaginer l’adolescence de ces trois là. Les gamins sont incroyablement sobres, réels. Le film est à charge contre un système trop rigide qui se retranche derrière des protocoles pour éviter de fauter et produit des intervenants qui n’osent pas s’engager et ne sont plus capables de réagir aux situations en faisant du cas par cas. La réalisatrice nous fait d’abord nous rebeller contre l’assistante sociale puis nous fait comprendre qu’elle aussi se sent coincée. Ce que Ken Loach pour le coup ne montre jamais, il est toujours dans un camp. Le coup de boule de Virginie Efira et la fin ouverte sont splendides. On n’a jamais fait ça dans le cinéma français. Voilà un film bien de son pays et parfaitement original.

crédit Photo : David Koskas© 2023 Curiosa Films