Ondine aime à en perdre le souffle, à en mourir. Johannes est déjà parti ailleurs. Il laisse Ondine emportée par les flots, d’un sentiment ravageur qui lui promet la mort. Elle n’a plus le goût de rien, la vie coule comme un cours d’eau qui s’épuise à trop espérer. Le hasard, petit malin coquin, s’amuse de cette détresse, joue une autre partition. Ondine, historienne urbaine, raconte la ville d’hier et d’aujourd’hui avec ses plans en relief. Hier c’était une ville coupée en deux, entre l’est et l’ouest, entre un élan social volé et un capitalisme libre. La ville sociale d’hier se voulait ordonnée, calibrée. Celle de la réunion laisse l’espérance jouer de son désordre. C’est à l’occasion d’une visite qu’elle croise la route de Christophe. Un aquarium et son petit scaphandrier qui explose sur les deux inconnus suffit à créer un lien solide. Christophe plonge au cœur des rivières comme le scaphandrier pour réparer les ponts et les turbines. Au fond de l’eau surviennent d’étranges rencontres, un nom gravé sur un ancien pont, Undine. Il n’en faut pas plus pour que Cupidon pousse le hasard à murmurer sa petite romance tenace.
Depuis Barbara, Christian Petzold, chantre de la nouvelle vague du cinéma allemand, s’affirme de film en film comme un réalisateur incontournable. Ses histoires d’amour s’imprègnent souvent d’un soupçon de passé, de la fracture entre l’est et l’ouest. Ondine est avant tout une magnifique histoire d’amour renouant avec le conte original. On sait peu de chose sur Ondine, magnifiquement interprétée par Paula Beer, Ours d’argent de la meilleure actrice à Berlin cette année. L’eau est omniprésente, même dans la forme du récit, coulant comme une rivière qui nous emporte. Il nous transpose au cœur du sentiment amoureux mâtiné d’un certain onirisme en toile de fond. Ondine est peut-être une sirène, un esprit des eaux, une naïade, chacun révèlera sa propre Ondine.
Christian Petzold laisse le doute et le mystère s’emparer du spectateur pour qu’il construise sa propre partition. On pense qu’il s’approche plus de tradition germanique, celle des nixes, esprits des eaux douces. Il prend les couleurs du mythe plus que dans ses autres récits. Ce dernier se confronte au mythe de la ville idéale, sociale, que raconte l’historienne dans ses visites. Le passé fait une fois de plus une intrusion dans cet amour plus fort que tout, à l’image de Tristan et Yseult. Il me rappelle la figure meurtrie de Nelly Lenz dans Phoenix. C’est peut-être la même désillusion sur l’amour suivie de l’espérance gagnant la bataille. Nous retrouvons le mensonge et la vérité en filigrane comme souvent dans l’œuvre du réalisateur. La mise en scène, légère en apparence, nous entraine au plus profond du sentiment, dans les fonds secrets des rivières.
Elle explose l’espace, que ce soit la vue de la ville de l’appartement d’Ondine, les plans en relief, le scaphandrier et son horizon noyé plongeant vers l’infini. La colère se murmure sans jamais éclater. L’eau et la pierre reviennent souvent, que ce soit dans les métiers des deux amants, les décors que l’on croise. Le film devient une ode à l’amour, le but d’une route tracée par les films précédents, le sommet d’une montagne débouchant sur d’autres questions. Il confirme Christian Petzold comme un grand réalisateur international qui n’en finit pas de nous étonner.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Undine
Titre français : Ondine
Réalisation et scénario : Christian Petzold d'après la nouvelle « Ondine s'en va » de Ingeborg Bachmann
Pays d'origine : Allemagne - France
Format : couleurs - 35 mm
Genre : drame
Durée : 90 minutes
Date de sortie : 23 septembre 2020
Distribution
Paula Beer : Undine
Gloria Endres de Oliveira : Antonia
Jacob Matschenz : Johannes
Franz Rogowski : Christoph
Rafael Stachowiak : Jochen
Maryam Zaree : Monika
Distinctions
Berlinale 2020 :
Ours d'argent de la meilleure actrice pour Paula Beer
Prix FIPRESCI