Fern boucle le dernier adieu à une vie passé à Empire, la ville construite autour de l’usine de plâtre. Son mari est mort, l’entreprise ferme ses portes, il ne reste plus rien qui la retienne, que des fantômes. Elle vend quelques bricoles, enferme les autres à double tour dans un garde-meuble. Elle achète un van et se lance sur la route. Première étape, Amazon pour un boulot saisonnier. Fern n’imagine aucun horizon en perspective, juste des souvenirs trop pesants à porter et le vent qui la portera ici et ailleurs. Elle se laisse porter par la route et les opportunités de travail. Elle rencontre Linda qui l’invite à Desert Rendez-vous en Arizona géré par Bob Wells. Elle découvre une communauté d’hommes et de femmes lancés sur la route, solidaires vivant de troc. Les nouveaux nomades s’élancent sur l’asphalte au volant de leurs vans, trainant leurs maigres biens de ville en ville. Ils traversent et transcendent l’espace, offrant une autre voie aux âmes perdues, broyées par le rêve américain. Fern trouve sa place au cœur de ce monde et plus que la route, c’est ce fardeau de l’âme qu’elle finira par déposer pour enfin être libre.
On pense à Kerouac Sur la route, des hippies, des hobos de la grande crise se lançant sur la route, libres sans entrave. Cette nouvelle communauté de nomades choisit l’entraide pour imaginer, souvent en bout de vie, un autre horizon. Il n’est pas étonnant que la jeune réalisatrice Chloé Zhao s’empare du sujet. Elle trouve dans ce dernier les thématiques qu’elle explore depuis le début. La liberté, la tribu et le choix d’une vie. Ce sont ces territoires qu’arpentent ses héros depuis son premier film, Les chansons que mes frères m’ont apprises, et son deuxième, The Rider. Elle sait saisir l’âme d’une communauté, d’une tribu, amenant ses personnages à s’interroger sur leur place en son sein. Ils doivent d’abord affronter le poids de leurs propres blessures, fardeaux qu’ils portent tout au long du récit qui les conduit vers la liberté et le choix de vivre. C’est souvent comment inscrire son histoire particulière au sein d’un groupe bien plus grand.
Ils apparaissent à la fois indépendants, libres, mais finalement reliés aussi à la tribu, la communauté qui les aide à explorer leur âme profonde. Ils ne leur reste plus, en bout de piste, au croisement de deux routes, qu’à choisir leur propre horizon. La nature, la route, la notion du voyage, aux sens propre et figuré, sont un moyen pour aboutir à l’éveil. C’est dans le chaos que commence leur histoire pour s’achever, une fois le fardeau abandonné, porteurs d’une nouvelle certitude. Fern dans Nomadland, Jashaun et Johnny Les chansons que mes frères m’ont apprises, Brady dans Rider n’échappent pas à ce cheminement. Fern entame le voyage avec le poids d’un passé, d’un petit bonheur perdu qui ne semble pas entraver sa marche. Pourtant, nous découvrirons qu’elle ne peut être ce fantôme qui passe sans laisser d’empreinte. Peu à peu, elle comprend quelle devra abandonner les vieilles histoires, n’en garder précieusement que les souvenirs pour avancer sur sa propre piste. C’est d’abord la liberté intérieure, la paix de l’âme, avant celle du corps.
Les frères, les sœurs, la fratrie, la famille se glissent dans l’histoire comme une seconde lecture à travers ces trois premiers films. L’espace et la nature sont omniprésents, monde plus vaste à embraser de ses désirs, embrasser dans sa quête, pour toucher à l’harmonie. Chloé Zhao propose une mise en scène proche de la réalité, avec la présence d’acteurs de la vie, mélangeant réalité et fiction. Elle touche à l’essentiel pour nous emporter à chaque fois dans une histoire différente, éternellement recommencée. On est curieux de voir ce qu’elle donnera aux commandes de projets hollywoodiens comme Les éternels en novembre 2021 et sa vision de Dracula à venir. Chloé Zhao, en trois films, propose un cinéma riche et singulier, incontournable.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original et français : Nomadland
Réalisation : Chloé Zhao
Scénario : Chloé Zhao d'après le livre Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century de Jessica Bruder
Musique : Ludovico Einaudi
Direction artistique : Elizabeth Godar
Costumes : Hannah Peterson
Photographie : Joshua James Richards
Montage : Chloé Zhao
Sociétés de distribution : Searchlight Pictures (États-Unis), The Walt Disney Company France
Pays d'origine : États-Unis
Langue originale : anglais
Format : couleur — 2,39:1
Genre : drame
Durée : 108 minutes
Dates de sortie : 13 octobre 2020 (Festival Lumière) 9 juin 2021 (sortie nationale)
Distribution
Frances McDormand : Fern
David Strathairn : Dave
Linda May : Linda
Charlene Swankie : Swankie
Bob Wells : Bob
Peter Spears : Peter
Récompenses
Mostra de Venise 2020 : Lion d'or
Satellite Awards 2021 :
Meilleur film
Meilleur réalisateur
Meilleure actrice pour Frances McDormand
Golden Globes 202110 :
Meilleur film dramatique
Meilleur réalisateur
BAFTA 2021 :
Meilleur film
Meilleur réalisateur
Meilleure actrice pour Frances McDormand
Meilleure photographie
Oscars 2021 :
Meilleur film
Meilleur réalisateur
Meilleure actrice pour Frances McDormand
Sélections
Festival international du film de Toronto 2020 : sélection en section Gala Presentations
Festival international du film de Saint-Sébastien 2020 : sélection en section Perles (Perlak)
Nominations
Golden Globes 2021 :
Meilleure actrice dans un film dramatique pour Frances McDormand
Meilleur scénario
Oscars 2021 :
Meilleur scénario adapté
Meilleure photographie
Meilleur montage