Cine-Region.fr
affiche Mia Madre

Mia Madre

___

Un film de Nanni Moretti ,
Avec Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h47
Italie

En Bref

Certaines images ont la puissance de plus d’un film.

Enveloppant le spectateur dans son cocon où la violence des évènements trouve refuge dans le traitement à l’image, Nanni Moretti fait de Mia madre un grand geste. Il guide le spectateur avec une tendresse particulière, une tendresse de l’intime. Le réalisateur italien appose un regard distant mais non moins sincère sur un douloureux épisode à l’inspiration autobiographique certaine : le décès de sa mère.

 Moretti oublie avec intelligence de se donner le premier rôle et dans un geste artistique fondateur et d’audace, l’offre à Margherita Buy. L’inversion du point de vue, alors féminin, ne fait pas qu’innover mais détache le réalisateur de cet instant et lui permet même de faire face à ce personnage en lui donnant une réflexivité - en interprétant son frère. Rares sont les femmes ayant tenu une telle place, proposant une nouvelle dimension dans l’œuvre du réalisateur.

Cette femme, Margherita, une réalisatrice en plein tournage, doit faire face à de nombreuses contrariétés, trouvant toutes un écho les unes dans les autres. Habemus Papam, son précédent film – pendant le tournage duquel le réalisateur perdit sa mère - mettait en scène Margherita Buy en psychanalyste. Cette fois, la jeune femme se déploie de l’autre côté, dans le rôle de l’analysée. Son propre tournage frise la catastrophe, comme sa vie personnelle aux relations distendues. Le récit se développe uniformément et non en deux dimensions parallèles comme trop s’y sont perdus : vie et cinéma, famille et travail ne semblent faire qu’un.


Se dressent, face à elle, une pléiade d’homme aussi sûr d’eux qu’elle-même ne l’est qu’en apparence, et par un humour équilibré et subtil, touchants. Elle semble être passée à côté de beaucoup, quand le travail prédominait sur son équilibre vital. Se pose une question, à l’origine enfantine et à la portée existentialiste sur ce que l’on veut être et ce que l’on devient. Il y a de cela dans sa relation à sa mère où le flamboiement et l’utopie de la jeunesse semblent lointains. Ces confrontations sont des piqûres de rappel, une ré-énonciation - renonciation ? - de cette question « que sommes-nous devenus ? ». Une question évoquée dans le dernier film de Desplechin, Trois souvenirs de ma jeunesse, également l’aboutissement artistique d’un cinéma total, deux œuvres retentissant en deux films. De l’ouverture de Mia madre, le tournage d’une grève, à cette fin dans l’appartement de la mère, il n’y a qu’un pas, une douzaine de films qui mènent Moretti de la politique à l’intime.

Nanni réalisateur exprime une sincérité créative et de maturité, quand Nanni acteur trouve sa place en frère de Margherita, à la générosité et l’exactitude comportementale agaçantes pour elle. Débordée par son tournage, elle se retrouve avec à sa charge une mère mourante et une fille perdue. Rien ne paraît être un accablement, au contraire. Elle persiste, même si son déni s’oppose à la lucidité fraternelle. Avant de lui rendre visite à l’hôpital, la protagoniste s’arrête acheter à manger pour sa mère. Son frère la rejoindra avec des pastas cuisinées par ses soins. D’une douce attention aux faux-airs de rachat, elle ne saura s’affirmer, n’arrivant pas à retrouver sa place et laissant son repas de côté : sa mère mangera les pâtes. Margherita suscite l’empathie par une impuissance et une incapacité.

Chaque scène et acteur apposent une pierre dans la construction multidimensionnelle des sentiments du film. Rien n’est caricatural, superflu. Le fiasco du tournage est porté par un John Turturro en Barry, acteur américain excessif et négligeant, qui prend la forme de l’incarnation des faiblesses de la réalisatrice. Ses interventions donnent du souffle à la narration, de la lumière. En se frottant et s’élevant à son niveau de fantaisie et sa part de folie, la réalisatrice semble dévoiler étrangement un visage plein de bonté, se rendre compte de ce qu’elle perd. Barry joue avec ses nerfs, tirant cette corde sensible et la nuance relative entre bon et mauvais. Elle lui répète  pendant le tournage « Sois à côté du personnage », sans vraiment l’expliquer, dans une volonté de retour à un geste de création artistique, auquel elle ne croit plus. John Turturro injecte surtout un humour de répétition, à côté de la plaque, mais fictionnellement, là où Margherita l’est dans la vie. Barry s’invitera à déjeuner chez la réalisatrice, comme un point de concordance de toutes ces caractéristiques, toutes ces strates du film.

Moretti nous convie dans les confessions de l’intime, où les rires succèdent aux pleurs, dans un mouvement de métronome. Le rythme du métronome est guidé par l’auteur qui se refuse à plonger dans l’émotion unique tirée d’images douloureuses. De ces caractères puissants naissent de véritables moments de vie, toujours avec la bienveillance de la réalisation et la puissance d’un montage contrebalançant systématiquement les plans à l’hôpital, les reliant à ce que la vie offre. Exit le réalisme débordant - ne le renions pas, bouleversant - d’Amour dont l’incarnation de la mort semble ici éloignée. Quoi qu’il advienne, les personnages, leur façon de voir les choses paraissent à l’image de l’homme joué par le frère. Comme pour Habemus Papam, Mia madre propose une déambulation dans le for intérieur de son personnage à un moment crucial de doute.L’un des moments les plus fragiles, similaire dans la forme à une scène du film d’Haneke, qui reçut une Palme d’Or des mains de Moretti, est un rêve qui met en suspens la temporalité. Margherita remonte une file composée de visages connus attendant devant un cinéma la projection de son film. Extériorisation d’un intérieur chamboulé, où l’espérance devient l’essence du quotidien.

Une chambre, mais cette fois, celle de la mère recentre l’intrigue. La lumière à mesure que le film avance semble baisser, se contenter des néons maussades qui émaillent la froideur de l’hôpital. L’effet de déplacement dans cette figure féminine insiste sur l’utilisation parfaite du médium de cinéma pour narrer une histoire personnelle sans un excès de mise en scène voyeuriste et nombriliste. La caméra refuse la dureté de l’image, s’échappe comme la réalisatrice le voudrait dans sa propre vie. Contrairement à un cinéma où les sentiments ne pourraient surgir que de la tristesse, Moretti les fait provenir d’un complexe intérieur. Le deuil a une résonance multiple, de l’artistique au charnel et unique deuil maternel, passant par les différentes phases. Le réalisateur italien réussit à relier tout cela, sans excès et non pas avec une émotion mais des émotions. L’accompagnement de la mère se fait dans la douceur, la délicatesse d’un geste, non moins bouleversant, où comme la petite-fille, on profite de ses respirations, des moments avec elle. Certaines images ont la puissance de plus d’un film et 2015 restera cette fillette se retournant pour ne pas laisser apparentes les larmes le long de sa joue. De cette délicatesse rayonne l’illustration même d’un geste sublime et l’espoir de cette madre : « à demain ».

 Clément SIMON

Note du support :
4
Support vidéo : Format 16/9 compatible 4/3, Format cinéma respecté 1.85, Format DVD-9
Langues Audio : Audiodescription (pour malvoyants) Dolby Digital 2.0, VOST 5.1
Sous-titres : Français
Edition : Le Pacte

Bonus:

Scènes coupées (20')

  • Bande-annonce

Ciné-Région : Comment avez-vous commencé  le cinéma ?

 Nanni Moretti : Ce que je peux dire c'est que j'ai commencé à faire du cinéma après le lycée parce que c'est ce qui me semblait être la manière la plus simple et la plus juste de communiquer avec les autres et avec moi-même.

 Ciné-Région : Est-ce que vous avez pensé dès le départ que ça ne serait pas vous qui interpréteriez le rôle du réalisateur ?

 Nanni Moretti : Dès le début, j'ai eu à l'esprit une histoire au féminin. Je pense, que c'est plus intéressant de raconter une histoire comme ça au féminin même si je ne sais pas très bien pourquoi. Peut-être que c'est simplement pour avoir plus de distance avec l'histoire que je souhaitais raconter. J'avais l'idée que c'était une femme et je savais que je voulais cette actrice là dans mon film, avec qui j'avais déjà travaillé dans mes deux précédentes réalisations. Ça me plaisait d'attribuer à un personnage féminin des attributs qu'on donne souvent aux hommes...à commencer par son métier de réalisatrice. Il y a aussi son inadaptation à s'occuper de sa mère - ce sont souvent des choses qu'on associe à des personnages masculins - comme le fait qu'elle consacre tout à son travail et la manière dont elle se sépare de son fiancé.

 Ciné-Région : Nous trouvons un troisième personnage important qui est lui aussi féminin, est-ce que ça aussi c'était voulu ?

 Nanni Moretti : J'ai du mal à théoriser sur mes films et je me demande même, si c'est juste de le faire. Il m'est venu à l'esprit des personnages féminins, mais je ne pense pas qu'il faille chercher trop loin.

 Ciné-Région : C'est un film sur la mort et sur la réalisation...est-ce que réaliser un film c'est toujours mourir un peu ?

 Nanni Moretti : Non, au contraire ça nous fait nous sentir vivants et nous réalise. Faire un film nous aide à élaborer le deuil. Moi ça ne m'a pas aidé, ce n'est pas une expérience d'autothérapie, peut-être que ça l'a été pour les spectateurs...

 Ciné-Région : Lorsqu'on aborde ce sujet difficile, comme on fait pour éviter le pathos ? »

Nanni Moretti : C'est une question de mesure, de style, de ton. L'humour, c'est ma manière de raconter les choses dramatiques. J'ai toujours fait comme ça, mélanger le dramatique et le comique dans mes films.

 Ciné-Région : Dans ce film vous explorez différents styles de narration, pour vous le cinéma c'est plutôt un langage ? Est-ce que c'est une manière pour vous de vous remettre en question à chaque fois ? Est-ce que cela a un rapport avec vos origines puisque vos parents sont professeurs...

 Nanni Moretti : Pour moi c'est le moyen d'expression qui me permet de mieux m'exprimer et de me faire comprendre et de comprendre les autres. Oui, le travail s'arrête aussi à cette remise en cause…

 Ciné-Région : Pourquoi le latin ? Est-ce que c'est parce que c'est une langue morte ou parce que c'est une langue qui sert à réunir les générations ?

 Nanni Moretti : C'est sans aucun doute la deuxième proposition. C'est un film qui parle de ce qui reste entre les générations, c'est une sorte de passage de bâton entre ces différentes générations.

 Ciné-Région : Est-ce que vous dites à vos acteurs d'être toujours à côté de leurs personnages ?

 Nanni Moretti : Non je ne leur dis pas comme ça littéralement, mais je le pense tout le temps. Je ne suis pas pour que l'acteur soit tellement investi dans son personnage au point qu'il en vienne à disparaître.

Interview réalisée par Patrick Van Langhenhoven, retranscrite et mise en forme par Sarah Lehu, relue par Frédérique Dogué.

Titre : Mia madre

    •       Réalisation : Nanni Moretti

    •       Scénario : Gaia Manzini, Chiara Valerio

    •       Photographie : Arnaldo Catinari

    •       Montage : Clelio Benevento

    •       Décor : Paola Bizzarri

    •       Production : Sacher Film, Fandango, Le Pacte, Rai Cinema

    •       Durée: 106 minutes

    •       Pays : Italie

    •       Langue : italien

    •       Dates de sortie : 16 mai 2015 (Festival de Cannes) 2 Décembre

                Distribution

     •       Margherita Buy (VF : Catherine Wilkening) : Margherita

    •       John Turturro (VF : Doug Rand) : Barry Huggins

    •       Giulia Lazzarini (VF : Nita Klein) : Ada

    •       Nanni Moretti (VF : Michel Vuillermoz) : Giovanni

    •       Beatrice Mancini (VF : Malka Mitz) : Livia

    •       Stefano Abbati (VF : François Chaix) : Federico

    •       Enrico Ianniello (VF : Arnaud Bedouët) : Vittorio

    •       Toni Laudadio (VF : Luc-Antoine Diquéro) : le producteur

    •       Anna Bellato : l'actrice

    •       Lorenzo Gioielli : l'interprète

    •       Pietro Ragusa : Bruno

    •       Tatiana Lepore : la scripte

    •       Monica Samassa : le médecin

    •       Vanessa Scalera : l'infirmière

    •       Davide Iacopini : l'employé d'Elgi