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affiche Maryland

Maryland

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Un film de Alice Winocour,
Avec Matthias Schoenaerts, Diane Kruger, Paul Hamy,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h38
France

En Bref

De retour du combat, Vincent, victime de troubles de stress post-traumatique, est chargé d’assurer la sécurité de Jessie, la femme d'un riche homme d'affaires libanais, dans sa propriété « Maryland ». Tandis qu'il éprouve une étrange fascination pour la femme qu'il doit protéger, Vincent est sujet à des angoisses et des hallucinations. Malgré le calme apparent qui règne sur « Maryland », Vincent perçoit une menace extérieure...

Réalisatrice d’Augustine, coup de maitre sur l’hystérie féminine et co-scénariste du grand Mustang, Alice Winocour poursuit son exploration des troubles mentaux avec le syndrome de stress post-traumatique. Abordé dernièrement dans American Sniper de Clint Eastwood, ce mal qui touche bien des soldats rentrés du front offrait des fondations solides pour construire un thriller psychologique et fantastique sur le thème de l’enfermement. Sauf qu’entre le thriller politico-parano et le film de genre cireux, Alice Winocour n’a pas su inscrire son identité. Présenté au Festival de Cannes dans le cadre d’Un Certain Regard, Maryland se révèle efficace dans l’« home invasion movie » paranoïaque et fragmenté comme dans la fresque psycho-violente extra-sensorielle mais s’embourbe parfois dans des amalgames et des raccourcis qui vont venir entraver plus qu’enrichir son sujet. 


Maryland démarre très fort, dans tous les sens du terme. Sous des piques de décibels, le film s’ouvre par un travelling sur un groupe de soldats au pas de charge dans lequel se trouve Vincent, musique assourdissante dans les oreilles et déjà en proie à certains fantômes. Un instant plus tard, on se retrouve propulsé – de même que Vincent – dans une longue scène de fête chez un riche trafiquant d’armes libanais qui va progressivement grimper en intensité, au rythme de l’anxiété grandissante de Vincent, chargé de la sécurité des lieux. A l’issue de la soirée, Vincent se voit confier la garde rapprochée de cette belle femme blonde qu’il n’a pas quitté des yeux de toute la soirée : la femme du libanais…

Dès lors, le film dévoile une nouvelle facette, celle du fantastique. Enfermés dans cette villa avec Vincent, Jessie et son fils, où l’omniprésence des caméras donne froid dans le dos, on se laisse peu à peu prendre au piège dans la tension de cette garde rapprochée particulière, nourrie pas la paranoïa de Vincent. D’autant plus que Winocour insiste sur un point de vue subjectif, celui de Vincent, complètement aveuglé par ses angoisses. On voit ce qu’il voit : les recoins sombres derrière un arbre où il semble apercevoir une silhouette, les conversations téléphoniques troubles entre trafiquants, la voiture qui les suit alors qu’ils se rendent à la plage… Mais surtout, on entend ce qu’il entend, à savoir des distorsions de sons made in Gesafflestein qui nous défoncent les tympans pour faire écho au désordre qui se joue dans la tête de Vincent au même moment. Non sans donner une teinte fantastique pas désagréable à la besogne, ce point de vue permet surtout à la réalisatrice d’offrir un appui à son exercice de style. Montage clinique, expérience sensorielle qui transcende, peu de dialogues, plans rapprochés oppressants, boucles sonores, le cocktail est maitrisé à l’extrême et l’angoisse montée crescendo en arrive à son paroxysme à la moitié du film.

Mais une partie du soufflet va retomber lorsque Maryland va s’évertuer à transformer cette angoisse viscérale en simple argument de suspense dans un « home invasion movie » des plus basiques. On découvre alors que les doutes de Vincent ne sont pas le simple fruit de son combat intérieur. On assiste donc à une course-poursuite filmée au cordeau puis une multiple intrusion dans la grande maison. Avec ce constat, on comprend que Vincent avait raison et n’est finalement pas si dérangé que ça… On perd d’ailleurs tout l’intérêt de la subjectivité du film pour assister à des codes plus convenus. En choisissant de replier le film sur lui-même et d’offrir un exutoire à Vincent qui fantasmait son retour au front, Winocour affuble son film d’un relativisme et d’un amalgame fâcheux, soulignant ainsi des manquements majeurs au scénario, comme cette propension à ne décrire aucune situation dans ses particularités : contexte politique, vie de famille du libanais, causes de cette attaque préméditée, tension amoureuse…

Car l’un des propos du film – fil principal selon sa réalisatrice et plus sous-jacent selon nous – tient dans ce lien que tissent le garde du corps et la femme persécutée, ce lien émotionnel qui va passer de la peur à la reconnaissance jusqu’à quelque chose d’autre plus proche de l’amour. Romantique dans l’âme, Winocour entretient l’ambiguïté et sème ici et là quelques indices de leur rapprochement sans jamais mettre le doigt dessus pour finir sur un plan équivoque que chacun pourra interpréter à sa manière.

Un plan final qui nous replonge habillement dans le doute, tentative rédemptrice ou non de nous replonger dans la névrose de Vincent après cette phase d’action banale. Mais cette petite fulgurance finale n’arrivera pas à effacer le constat immuable du film : on ne saura jamais ce qu’il se trame vraiment dans cette maison et qui sont ces gens qui tentent d’y entrer. Affaibli par des mystères inutiles, Maryland perd la virtuosité de sa première partie et se prend les pieds dans le tapis d’une action alimentaire. Dans l’intensité, Matthias Schoenaerts rayonne. Habitué à des rôles dramatiques, l’acteur est transcendé par son personnage très physique tandis que Diane Kruger incarne avec justesse la femme trophée persécutée. S’il n’atteint jamais la virtuosité d’Augustine, Maryland s’inscrit dans une étrangeté fascinante relayée par sa bande son électrique, son scénario sur les dents et son acteur principal sanguin. On n’en sort pas indemne.

Eve Brousse

Note du support : n/a
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Ciné Région : Comment avez-vous eu l’idée de Maryland ?

Alice Winocour : J’ai rencontré pas mal de soldats qui rentraient d’Afghanistan et qui me parlaient des troubles qu’ils avaient, leur angoisse et leur difficulté à appréhender le monde réel. C’est ce qui m’a inspiré directement le personnage de Vincent. J’ai imaginé quelqu’un qui avait cette sorte de fragilité, projeté dans un monde avec des hommes politiques véreux, des trafiquants d’armes, dans cette atmosphère brumeuse et opaque. Je trouvais ça intéressant de faire planer cette menace au dessus de leur tête et on ne sait pas si c’est l’effet de la paranoïa de Vincent ou si c’est réellement le cas. Je voulais conserver ce doute qui pour moi est un ingrédient principal du thriller paranoïaque. D’ailleurs, à l’origine, dès mes premiers moments d’écriture, je cherchais à faire un film sensoriel, très physique, que l’on soit littéralement dans la peau du personnage principal.

C.R : Dans votre travail en général et en référence à Augustine, vous avez beaucoup la problématique du corps ?

A.W : J’ai une sorte de fascination dans mon travail pour les disfonctionnements physiques, en tout cas le corps qui échappe et qu’on ne peut pas contrôler. Effectivement dans Augustine, c’étaient ces énormes crises d’hystérie qui étaient la révolte du corps lorsqu’on est contraint au calme. Ce qui me fascine, c’est quand il n’existe pas de mot pour décrire ce qu’on ressent et finalement c’est le corps qui parle. On peut dire que Vincent est une sorte d’hystérique masculin mais en face, on a son corps qui exprime toutes ses angoisses.

C.R : Il doit sentir aussi qu’il n’a pas les mots…

A.W : Oui, c’est son corps qui parle. En fait, le syndrome de stress post-traumatique s’applique à des gens qui ont été confrontés à la mort ou qui ont vu la mort de personnes proches. A travers ça, je voulais faire un film d’action, d’être dans une représentation de la violence quasi-documentaire, très brute et réelle. Comme le film d’action est un terrain généralement réservé aux hommes, je voulais aussi affirmer avec ce film qu’il n’y a pas de domaine réservé aux hommes et que les femmes peuvent réaliser tout type de film.

Après je voulais aussi raconter une histoire d’amour un peu étrange comme dans mon premier film. Une histoire d’amour entre deux mondes complètement opposés. Une rencontre humaine entre deux solitudes.

C.R : Et comment s’est déroulé le choix des acteurs ?

A.W : J’ai vraiment écrit le rôle de Vincent pour Matthias Schoenaerts. Je trouvais qu’il avait en lui une sorte d’animalité qui correspondait au personnage après l’avoir vu dans Bull Head et dans le film de Jacques Audiard. Après, puisqu’il a déjà une condition physique de soldat d’élite, on a recherché plus spécifiquement cet état borderline pour lequel il fallait que dans ses yeux, il y ait quelque chose de cassé. Matthias n’a presque pas dormi pendant le tournage, il ne dormait que deux heures par nuit donc il était vraiment dans une sorte de violence très forte. Après, j’ai beaucoup aimé travailler avec Diane qui a ce côté hitchcockien et froid au premier abord mais qui a en même temps quelque chose de très émotionnel qui convenait au personnage.

C.R : La maison tient elle aussi un rôle très important dans le film.

A.W : On rentre dans la tête de Vincent et dans sa névrose avec ces caméras, ce côté complètement névrotique à vouloir en permanence tout contrôler pour être sûr que tout va bien. C’est comme si son fantasme paranoïaque se réalisait. Après, concernant le nom de la villa et le titre du film, il existe une vraie villa dans le sud de la France qui s’appelle Maryland. Et puis je trouvais ça intéressant par opposition à Wonderland, je voulais que ça appuie cette ambiance un peu marécageuse. Au départ, ca commence un peu comme un film documentaire puisque j’ai souhaité être au plus prêt du travail d’un agent de sécurité dans une villa et d’ailleurs, dans l’équipe de sécurité, il y a un vrai sniper. Et plus on avance dans le film, plus on bascule dans le fantastique, dans le cauchemar comme si Vincent se baladait dans son propre rêve.

C.R : Et le rôle de Paul Hamy joue lui aussi un personnage important, notamment vis-à-vis d’elle, il incarne quelqu’un de moins menaçant avec lequel elle se lâche…

A.W : Oui mais je voulais que cette scène entre eux dans la cuisine soit quand même chargée de tension. Je voulais qu’on sente que ça pouvait déraper à tout moment. Cette femme vulnérable seule dans cette grande maison avec ces deux hommes, ce n’est pas rassurant. On se demande à un moment s’ils vont se battre tous les deux ou s’ils vont l’agresser ; je cherchais ce trouble ambigu. Chez Paul, je trouvais qu’il y avait une sorte de gémellité avec Matthias et j’aimais bien cette idée qu’il pouvait être comme son petit frère qui le protège.

C.R : La menace vient évidemment de l’extérieur mais on a aussi l’impression qu’elle vient de l’intérieur de lui. On sent qu’il est menaçant à la fois pour les autres mais aussi pour lui-même.

A.W : Oui, c’est aussi un point commun avec mon premier film. Longtemps, on m’avait dit pour Augustine que je ne pouvais pas raconter l’histoire du point de vue de l’hystérique puisqu’on m’avait dit qu’on ne sera pas en empathie avec elle. Et je défendais en disant que ce qui lui fait peur à cette femme, c’est son corps. Elle a peur d’elle-même et lorsqu’elle voit tout à coup sa main bouger, elle n’a plus de contrôle sur ses mouvements. Pour moi, c’est la même chose avec Vincent, mais c’est ça aussi qui est vertigineux pour des soldats, c’est qu’ils travaillent leur corps depuis qu’ils ont 16 ans comme une machine et sont tellement habitués à ce qu’elle leur réponde à la minute. Alors quand ils sont confrontés à leur corps qui leur échappe, ils sont complètement perdus et c’est extrêmement déroutant. Comme ils ne peuvent pas spécialement exprimer leur détresse, ils angoissent très vite. Il y a vraiment cette idée du personnage qui est dans le brouillard et qui va revenir à la vie à la fin avec toute cette histoire et ce danger.

C.R : En même temps, à la fin, on se demande s’il n’est pas encore en train de rêver…

A.W : Oui alors ça dépend si on est optimiste ou non. Mais j’aimais bien que cette scène finale se situe dans un espèce de “no man’s land“ où on ne sait pas si c’est un fantasme ou la réalité. De mon point de vue, c’est la réalité parce que je suis très romantique et que je trouve que dans le fond, le film est très romantique, d’un romantisme noir mais puissant. La collaboration avec Gesafflestein appuie d’ailleurs avec cette techno très sombre, ultra violente qui prend toute sa puissance dans le cadre de cette relation amoureuse. Par ailleurs, il est venu composer sur le tournage pendant quatre jours et ensuite j’avais tout le temps sa musique dans mon casque sur le tournage, parfois même pendant les prises et aussi le soir quand je rentrais du tournage, le matin quand je me réveillais, j’étais complètement imprégnée de sa musique. Elle me mettait dans un état émotionnel qui m’a aidé à trouver la justesse du ton.

C.R : Les acteurs et l’équipe écoutaient la musique également ?

A.W : Non, il n’y avait que moi. Par contre, il y avait aussi une forme d’immersion puisqu’on a tourné dans la continuité, je ne voulais pas que la relation puisse évoluer entre les deux comédiens. On était tous dans cette maison, il y avait véritablement des orages, il y avait un côté cataclysmique autour de nous avec Matthias qui était vraiment dans cette ultra violence, c’était un peu chaotique mais dans le bon sens.

Entrevue réalisée et retranscrite par Eve Brousse

Fiche technique

Titre : Maryland

    •       Réalisation : Alice Winocour

    •       Scénario : Alice Winocour

    •       Photographie : Georges Lechaptois

    •       Son : Pierre André

    •       Musique : Gesaffelstein

    •       Décors : Samuel Deshors

    •       Costumes : Pascaline Chavanne

    •       Montage : Julien Lacheray

    •       Production : Isabelle Madelaine (DHARAMSALA) - Emilie Tisné (DARIUS FILMS)

    •       Durée : 1h38

    •       Date de sortie :

    ◦       Mai 2015 (Présentation au Festival de Cannes, sélection Un certain regard)         30 septembre 2015

Distribution

    •       Matthias Schoenaerts : Vincent

    •       Diane Kruger : Jessie

    •       Paul Hamy : Denis

    •       Chems Akrouf : Tarik Derradji