Jean-Pierre Améris aime les personnages cabossés par la vie, les malmenés, le cœur en vrille et parfois même plus. Ils sont l'âme de sa filmographie depuis le premier film Bateau mariage en 1984. Ils ne feront que prendre de l'épaisseur et nous raconter que dans la vie, tout est possible. Il suffit de franchir les obstacles, de trouver le chemin de l'éveil pour affronter les montagnes et se dépasser. Les timides, les muets, les défigurés de l'âme et du corps trouvent leurs interprètes. C'est à chaque fois une fable, un conte flirtant avec l'onirisme. C'est souvent la rencontre d'un cœur blessé et de la providence plaçant la bonne personne sur le chemin. Jean-Pierre Améris atteint la grâce avec Les émotifs anonymes, deux timides qui finiront par s'aimer. Ce sont les émotions qui les handicapent, qui les emportent au paradis des amoureux. L'homme qui rit continue cette exploration de l'âme dans une adaptation que nous aimons beaucoup.

Jusqu'à Marie-Line et son juge, ce n'est qu'une succession de portraits qui s'envolent pour trouver la route du bonheur. C'est un cinéma de la joie et de la réussite que déploie Jean-Pierre Améris. La caméra est à l'image de ses personnages, pleine de vie et de lumière. Certains lui reprocheront d'ignorer la face sombre qu'il laisse à d'autres, mais peut parfois se glisser dans ses images comme dans L'homme qui rit ou Profession du père. Le rire vient rapidement bousculer toute cette douleur pour la broyer et faire comprendre que la vie est belle. Il y a du François Truffaut dans cette façon de regarder les vivants et de leur donner toute leur chance. C'est la manière de filmer un récit à hauteur d'homme, le choix des bons interprètes et une bonne direction d'acteurs. La culture, le livre, le théâtre, le cabaret, le cinéma aident Marie-Line à grandir et affronter le monde.

 Il y a chez Truffaut une part autobiographique, l'enfance et une certaine universalité comme chez Chaplin. C'est ce que l'on retrouve, à sa manière, chez Jean-Pierre Améris, ce goût de la vie que l'on bouscule. Des histoires accompagnées par le rire mais au fond bien plus profondes. Ce sont souvent deux personnages qui se croisent, avec parfois un pygmalion comme le juge bougon. Ce ne sont pas des héros, simplement des gens ordinaires qui rendent la vie extraordinaire. Marie-Line n'attendait qu'une étincelle pour allumer la flamme de la métamorphose. Le juge ignorait que cet incendie réveillerait la vie éteinte dans son cœur. J'aime ces films où la vie est belle et pleine de promesses, ces parcours d'abandonnés qui se transforment et s'élancent pour le meilleur et le pire. Chaque film de Jean-Pierre Améris confirme, comme la vie que j'arpente, qu'un petit gars de rien peut tenter de rêver à tout.

Patrick Van Langhenhoven