La personne s’interrogeant derrière moi sur la réelle capacité chez certaines personnes à aller voir un film avec un titre pareil fut surprise de ma demande. Moi par ce film.
Les acteurs n’ont pas écouté la directive du titre. « Mange tes morts », cette phrase retentit à de nombreuses reprises et déclinées sous toutes ses formes. Pourtant le film ça n’est pas que ça, l’idée est originale. Jean-Charles Hue s’est immiscé pour la seconde fois après son film La BM du seigneur dans la communauté Yéniche. Dans une presque suite à son premier long-métrage, le réalisateur ne fait pas de documentaire, ne porte pas de jugement, il dresse un portrait réaliste d’une communauté souvent mal vu à tort, par méconnaissance.
C’est un groupe qui est filmé, des acteurs non-professionnels. Pas d’acteur professionnel et pas plus d’acteur principal d’ailleurs, uniquement un groupe, une communauté. Cela renforce l’immersion et conserve la vue d’ensemble. Le fil séparant documentaire et fiction est très fin, trop fin, et la question chacun se la pose. Même si certain, notamment Fred (Frederic Dorkel), en impose plus que d’autres et ont une « gueule », une prestance certaine.
L’impression est que Jean-Charles Hue a dirigé ses acteurs juste en les guidant sur des pistes, après l’écriture de son scénario. Le reste semblant être une prise de vue presque immédiate, très naturelle et avec une tendance à improviser. La beauté du cadrage et de certains plans et cette omniprésence du soleil viennent montrer le réel travail. La chose est rendue vraie, c’est une fiction faisant documentaire.
Ce groupe de jeunes sont dans leur quotidien. Mais ils attendent quelqu’un. Dans ce campement, s’installant sur un terrain, un plan éblouit. Cette image d’une voiture tournant autour d’une tente, dérapant à toute vitesse, effrayant les mâles curieux et prêts à en découdre, comme des cowboys. Jason est à proprement parler éblouit. Derrière ce soleil, il revient tel un ange, son pral, son frère, Fred. Après quinze ans de prison, voilà l’élément « pas vraiment le bienvenu » qui va déclencher ce road movie thriller, façon western français contemporain. Avec lui tout un équilibre est remis en cause, celui trouvé en son absence et avec le temps. Pourtant lui et ses frères vont se lancer dans une dernière quête : aller voler un camion de cuivre.
Si c’est un ange, c’est un ange maléfique, pour ses prals, comme pour la communauté. Le jeune majeur, Jason, a un dilemme et c’est en ça que son frère ne l’aide pas : choisir la voix des « shoraveurs » ou se ranger dans celle de Dieu. Les deux se prêtant une liberté incontestable. C’est ainsi que cette virée dans l’Alpina de son frère, retrouvée dans une belle scène dans une cave, lui sert de test avant le choix. Et dans ce voyage nocturne, à la fin revient la lumière du jour comme dans tout le film où les teintes colorées de l’image éclairent cette noirceur. C’est la longue initiation divine de Jason, métaphore d’une seule nuit.
La sortie de prison de Fred est sujette à une réflexion générale sur le temps et le monde qui a changé. Le monde et leur société. Aujourd’hui beaucoup se rangent, les petits boulots sont sources de revenus. Et pour ça il faut élever Dieu au rang de sauveur. C’est grâce à une conversion pas toujours identifiable. Lui réfute ça et est pour le combat du terrain.
De jolies scènes de groupes, avec des acteurs dont le côté attachant ressort, sont filmées. C’est drôle par moment, parfois anxiogène. La musique apparaissant à la fin renforce cela. Oui, cette plongée sombre et électrique dans la nuit est un thriller et un bon thriller français. Pas besoin de tête d’affiche et gros budget, c’est là la grande réussite du réalisateur. L’autre est cette plus ou moins découverte intime des Yéniches.
Néanmoins un besoin véritable de s’habituer au langage se fait sentir, le français étant déformé dans les conjugaisons et les expressions, malgré des sous-titres. La chose est rendue authentique et derrière la dureté de la langue et des propos se cache la douceur du cœur de ces personnages, jouant les durs. Parfois le sentiment quelques peu faux dans une œuvre réelle est présent et la tendance tombe légèrement à la démonstration. De son initiative et cette volonté, le film est difficilement critiquable, lui qui par ailleurs obtint le prix Jean Vigo cette année.
« Les shoraveurs doivent payer la dîme ». Il y a une justice et c’est la moral. Ils jouent, ils en payent les conséquences. Ce risque pris n’est pas pour le plaisir de le prendre mais pour une chose : survivre dans de bonnes conditions. Certains ne le prennent plus et tentent d’arriver aux mêmes fins mais par d’autres moyens. C’est tout le fonctionnement des gens du voyage. Fred n’a pas été refait par la prison et « le même sang coule » dans ses veines. A l’issue longue nuit comme le changement d’une génération, il se rappellera sa morale et que les Yéniches sont comme nous tous et peuvent chuter...
Clément SIMON
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