« Il était énorme et osseux. Des muscles durs se dessinaient sous le veston, déformaient vite ses pantalons les plus neufs. Il avait surtout une façon bien à lui de se camper quelque part qui n’était pas sans avoir déplu à maints de ses collègues eux-mêmes. C’était plus que de l’assurance et pourtant ce n’était pas de l’orgueil. » Maigret par Georges Simenon
C’est une jeune fille fragile jetée sur le trottoir, la robe mouillée de son sang. Pour Maigret, ce n’est pas un cadavre comme les autres. Le commissaire dépérit, il ne va pas bien, coup de blues passager, déprime. La mélancolie ravit son âme. Est-ce une fille de petite vertu sous le coup d’un mauvais sort ? Pour le Docteur Paul, le légiste, « cette fille-là n’a jamais couché avec personne ! » Maigret se lance sur la piste de la petite. Comme à son habitude, par empathie avec elle, il se glisse dans sa peau.
Par petites touches, il reconstitue le puzzle avec son équipe. La morte anonyme retrouve son nom, une vie. C’est une de ces pauvrettes comme la jeune Betty, croisée pendant son enquête. C’est une de celles que l’on oublie, finissant parfois par rentrer à la maison quand elles ne se retrouvent pas sur le trottoir ou dans un clandé, sans jamais trouver la fortune. Maigret traine son spleen et sa carcasse de géant avec, au fond du cœur, une autre fille qui le hante. Il arpente la ville, ouvre des portes donnant sur des chambres exiguës comme la vie de ces gamines. Il rumine jusqu’à ce que l’évidence assemble les morceaux du puzzle. Maigret ignore que cette enquête est un voyage intérieur qui le libérera du poids qui assombrit son âme.
Ce ne sont pas des romans policiers. Ce n’est pas scientifique. Il n’y a pas de jeune premier ni d’héroïne, pas de personnage sympathique et cela finit mal puisqu’on ne se marie jamais. Vous n’aurez pas mille lecteurs. » Un éditeur à Georges Simenon.
Au départ, Daniel Auteuil devait jouer l’inspecteur. Patrice Leconte choisit finalement Gérard Depardieu, remarquable, dans un Maigret sombre et torturé. Georges Simenon aurait sans aucun doute apprécié l’animal. Il correspond à la description du romancier avec son allure plébéienne trompant l’ennemi. « C’est lui ! C’est lui ! Comme lui, Maigret doit impressionner par sa stature. C’est ça ! » Georges Simenon à propos de Michel Simon en Maigret dans Brelan d’as en 1952 par Henri Verneuil. Il pourrait tenir le même discours sur Gérard Depardieu.
Le réalisateur garde l’essentiel du roman et propose une nouvelle facette du commissaire. Comme ce dernier, il aime ses personnages, ce qui donne un relief particulier à ses films. De la comédie au drame, c’est sa marque profonde. C’est la deuxième fois qu’il adapte Simenon après Monsieur Hire avec Michel Blanc. C’est le premier Maigret et, nous l’espérons, pas le dernier. La reconstitution est impeccable et me rappelle mon quartier dans les années cinquante. C’est une bouffée de nostalgie pour moi. Le décor est ancien mais la mise en scène moderne, sans excès, inspirée sans doute par le sujet. Maigret est malade, un petit stratagème qui enlève la pipe pour les bonnes consciences. C’est sans doute une dépression passagère, il n’a plus de goût à rien. Pourtant, cette jeune morte relance le vieil ours sur la piste.
Ce n’est pas un super héros mais un homme de la terre. En quelques touches, Patrice Leconte en dresse le portrait et rappelle qu’il faillit être médecin. Nous allons suivre cette silhouette massive dans une errance en quête d’assassin. C’est par petites touches qu’il repeint le tableau de la scène du crime. Depardieu joue un personnage sobre qui rumine. Comme Columbo, sa femme a une place importante. Elle guide le vieux sanglier quand il bute sur l’affaire. Il n’y a pas de course poursuite, rarement un huis clos final dévoilant le coupable comme chez le petit Belge, Hercule Poirot.
C’est un homme qui avance, endossant la vie de la victime pour nous livrer une tranche d’humanité. On le retrouve dans les autres romans de Simenon et dans le cinéma de Leconte. Chabrol, le maitre de l’atmosphère petite-bourgeoise, adaptera Simenon ainsi que Bertrand Tavernier. Le spectateur devient partie prenante du récit. Il suit le commissaire dans ce voyage au cœur de l’humain et ne lâche jamais la tension. Étude de caractères et des lieux, c’est un parcours à ne pas manquer. Patrice Leconte signe une des plus belles adaptations de Maigret et on en redemande. Toute l’œuvre de Simenon se trouve aux éditions des Presses de la Cité. Maigret et la jeune morte, duquel et tiré le film, est à lire dans le tome 7 de Tout Maigret.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Maigret
Réalisation : Patrice Leconte
Scénario : Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre, d'après le roman Maigret et la Jeune Morte de Georges Simenon
Musique : Bruno Coulais et Michael Nyman3
Production : Philippe Carcassonne et Jean-Louis Livi
Sociétés de production : Ciné@, F comme film, SND Films et Scope Pictures
Sociétés de distribution : SND (France)
Budget : 6 millions d'euros
Pays de production : France, Belgique
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : policier
Dates de sortie : 23 février 2022
Distribution
Gérard Depardieu : le commissaire Jules Maigret
Jade Labeste : Betty
Aurore Clément :
Mélanie Bernier :
Clara Antoons :
Anne Loiret : Mme Maigret
Bertrand Poncet :
Élizabeth Bourgine :
André Wilms :
Philippe du Janerand :
Jean-Paul Comart :
John Sehil : l'employé du cimetière
Norbert Ferrer :
Moana Ferré :