Alors qu’elle s’apprête à sortir, Elena reçoit un coup de fil d’Iván, son fils de six ans, qui lui dit qu’il est seul sur une plage inconnue pendant que son père est parti et semble ne pas revenir. A ce moment, rien ne sera plus jamais pareil. Iván disparait. Elena va tenter de survivre à ce drame en s’improvisant serveuse de bar à l’endroit où le drame a eu lieu. Dix ans plus tard, sur la plage, un adolescent de seize ans, Jean, ressemblant furieusement à ce que pourrait être Iván aujourd’hui, se balade sur le sable avec ses copains, fans de sports nautiques…
Sorogoyen nous donne une grande leçon de cinéma dont certains feraient bien de s’inspirer. S’il suffisait d’aligner des images et des dialogues, alors faire un film serait à la portée de tout le monde. Ici, dès le départ, on est immergé dans l’angoisse de la disparition et l’effort surhumain que fait Elena pour rassurer son petit garçon en essayant même d’utiliser le jeu pour l’aider à décrire l’endroit où il se trouve et ne sait pas nommer. Le temps s’égrène, les respirations s’accélèrent, fin du premier acte.
Dix ans plus tard, Elena fonctionne en automate, souriante et disponible. Elle sert les clients avec soin mais tout indique qu’elle est éteinte, débranchée. Derrière son dos, les gens qui connaissent son histoire l’appellent la Folle de la plage. Lorsque Jean paraît, Elena est aimantée, incrédule. Elle ne peut faire autrement que suivre le fantôme d’Iván rendu à la vie. Lui est attiré par cette femme, belle, secrète, différente. Il sent sa fêlure et a envie d’approcher une adulte détachée des standards, discrète mais présente, fuyante mais attentive.
La scène d’ouverture est haletante, s’avale d’une traite qui dure tout de même quinze minutes trépidantes. Ensuite, Sorogoyen va distiller la douleur et ses dommages collatéraux par un enchainement de séquences montrant les répercussions de cette histoire sur les proches, les parents de Jean, Joseba le compagnon d’Elena, comme les répliques d’un tsunami. La douleur est ce qui ne cicatrise jamais. La vie est le chemin que nous parcourons malgré tout. Et dans le fond, la mer toujours recommencée, plus menaçante que touristique.
Tout l’art du réalisateur consiste à faire sentir jusqu’au plus profond de nos êtres le trouble qui traverse les personnages. L’amour de Joseba qui accompagne Elena aussi loin qu’il le peut. Le sentiment imprécis qu’éprouve Jean, puissant et confus, avant de prendre forme. Les parents de Jean qui réagissent en parents, sentant bien qu’ils sont dépassés par quelque chose de plus fort qu’eux. La tempête intérieure que vit Elena, après laquelle elle pourra peut-être reprendre sa route.
Madre est un film à diffusion lente, comme un patch, qui continue à vous travailler bien après que vous ayez quitté la salle. C’est pourquoi il ne faut pas le manquer.
Françoise Poul
Titre français : Madre
Réalisation : Rodrigo Sorogoyen
Scénario : Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen
Costumes : Ana López Cobos
Photographie : Alejandro de Pablo
Montage : Alberto del Campo
Musique : Olivier Arson
Pays d'origine : Espagne
Format : Couleurs - 35 mm - 2,35:1
Genre : thriller
Durée : 128 minutes
Dates de sortie : 30 août 2019 (Mostra de Venise 2019) 20 octobre 2019 (Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier) 22 juillet 2020 (sortie nationale)
Distribution
Marta Nieto : Elena
Jules Porier : Jean
Alex Brendemühl : Joseba, le fiancée d'Elena
Anne Consigny : Lea, la mère de Jean
Frédéric Pierrot : Gregory, le père de Jean
Guillaume Arnault : Benoit
Álvaro Balas : Iván
Blanca Apilánez :
Alexandre Pagani : Benjamin