Sébastien n'a qu'une ambition dans la vie : ne rien faire. Son horizon, c'est son canapé. Sa vie il ne veut pas la vivre mais la contempler. Mais aujourd’hui, si tu ne fais rien... Tu n’es rien. Alors poussé par ses deux colocataires, qui enchaînent stages et petits boulots, la décidée Anna et le pas tout à fait décidé Bruno, Sébastien va devoir faire ... un peu.
Adapté du roman de Romain Monnery « Libre, seul et assoupi » paru en 2010, Libre et assoupi (on a enlevé le seul) est aussi le premier film de Benjamin Guedj, connu pour sa participation au scénario de Cyprien et de Il reste du jambon. Autant dire, rien de bien significatif. Alors quand arrive l’intrigue de son premier film qui tient sur la seule ambition narrative de filmer un glandeur qui ne veut rien faire d’autre que glander, on s’inquiète franchement. Et pourtant, c’est justement ce sujet banal sur la vie quotidienne qui intéresse le cinéaste, cette platitude quotidienne vécue par bien des jeunes et moins jeunes qui vient titiller son envie d’interroger le spectateur sur la place qu’il occupe dans la société. Alors c’est quoi « être libre » ? C’est se lever à 4h de l’après-midi, rester vautré sur le canapé, bouquiner dans un parc, le tout au fil d’une routine quotidienne où le mot d’ordre est « ne rien faire ». En tout cas, c’est la vision du héros, Sébastien, qui l’annonce sans ambages, face caméra, dès l’ouverture, histoire de nous mettre tout de suite au parfum. Libre et assoupi, c’est une belle idée avec laquelle Benjamin Guedj n’arrive pas à faire grand chose et illustre davantage qu’il dénonce. Mais qu’importe, les comédiens impeccables, la mise en scène à la fois nonchalante et bien réglée et quelques scènes cultes suffiront à vous convaincre. L’avenir appartient aux audacieux.
Héro sans gloire que tout le monde considère comme un parasite de la société, Sébastien préfère fantasmer la réalité plutôt que de la confronter. Pour lui, la liberté, c’est aller à contre-courant des autres, faire comme bon lui semble, sans trop se poser de question, histoire de ne pas s’encombrer l’esprit ; c’est contempler le plafond et être capable de se rappeler de chaque plafond qui a accompagné ses nuits. Pour autant, malgré cette léthargie manifeste, Sébastien est aimé et entouré, même encouragé par son assistant social, lui-même déçu de sa vie et de son travail. Mais dans une société où le travail est vu pour beaucoup comme une finalité en soi, Sébastien n’a pas franchement sa place et va être forcé d’admettre qu’il stagne et que les autres avancent malgré lui.
L’oisiveté du personnage principal, fil rouge de l’intrigue, finit par contaminer toute l’entreprise et le spectateur avec. Tandis que la réalisation de Guedj nous donne cette impression d’être à la fois hors du temps et au centre de l’action, le spectateur est embarqué sournoisement dans la vie rêvée du personnage (aidé par les élocutions face caméra du héro). De ce fait, le film apparaît sous deux facettes : d’un côté comme un objet filmique tangible qui aborde des thématiques concrètes (les stages en entreprise, forme d’esclavage moderne, le monde du travail qui n’échappe pas à la caricature ou encore les concepts d’amour et d’amitié de cette génération X-Y) et d’un autre, comme une entité fuyante et nébuleuse. A travers les portraits qu’il dresse (le travailleur suicidaire, le travailleur blasé, le travailleur plein d’espoir, le travailleur contraint) arrive à poser des questions pertinentes et à faire fi des limites inhérentes à son sujet (filmer l’ennui). Sincère dans son propos immédiat, Benjamin Guedj n’en est pas moins inégal dans la longueur avec des scènes de dialogues de caractère totalement illustratives et des séquences cocasses et bouffonnes salvatrices, le tout mis bout à bout par un sens du rythme approximatif qui dénote d’un manque de direction général.
Derrière ces disparités scénaristiques, on retrouve une palette d’acteurs généreux et particulièrement en forme, dont le brillant Denis Podalydès et la pétillante Charlotte Le Bon. Mais dans ce florilège d’interprétations authentiques, on retiendra davantage la nonchalance toute naturelle de Baptiste Lecaplain, aperçu dans Bref et Nous York, ainsi que la composition décalée de Félix Moati (Lol), tordant.
Pour ce premier film, Benjamin Guedj n’arrive pas forcément à conjuguer le tout pour créer l’effet subversif voulu et ne convoque pas le rire à chaque fois mais peut se targuer d’échapper aux pires conventions de la comédie populaire française. Entre efforts de mise en scène et bourdes scénaristiques, le cinéaste tire une substance convenable d’un argument narratif pas gagné d’avance. Une premier pas somme toute prometteur.
Eve BROUSSE
Bonus
Commentaire audio de Benjamin Guedj et de Baptiste Lecaplain
Discussions sur canapé (HD)
Les coulisses (HD)
Teasers et bande-annonce (HD)