Au début des années 80, avant la Perestroïka, il est difficile d’être jeune en URSS où le Parti et le conformisme empêchent de respirer. Mais dans les appartements, trop petits, ou en plein air sur la plage, dans les recoins des quartiers fauchés, les musiciens écoutent, s’échangent, se débrouillent pour se procurer le son de l’occident. Et comme leurs cousins de l’autre côté du Mur, ils cherchent à exprimer leur envie de vivre, de se sortir du carcan russe.
Leto (L’été) nous fait assister à la rencontre de Mike Naumenko (Roman Bilyk), rocker qui a réussi à s’imposer au Rock Club de Saint-Pétersbourg et de Viktor Tsoï (Teo Yoo) qui deviendra une pointure, et même une icône après sa mort prématurée dans un accident de voiture à l’âge de 28 ans.
Loin des classiques biopics, Leto nous donne à sentir, à vibrer en nuances et en noir et blanc, avec quelques touches de couleur. Nous sommes autant dans une œuvre graphique que cinématographique.
Mike se produit dans un club où ses fans essaient de rentrer en douce, par la fenêtre des toilettes. Cette première scène pose l’ambiance. La jeunesse contre l’ordre établi, mais plutôt contre la bêtise et le conformisme ambiants. D’emblée nous voilà embarqués auprès de ces jeunes, artistes et bohêmes, fort sympathiques et pour qui ne compte que la musique. En URSS à l’époque, peu importe d’avoir un job de merde pour essayer de se payer ou troquer un instrument de musique et des disques. Le pays entier a des jobs du même métal.
Quand Viktor arrive, il fait tout de suite sensation dans la petite cour qui entoure Mike. Même Natacha, la femme de ce dernier est sous le charme. Bon an, mal an, le petit groupe continue. Mike, bon prince, mettra sa fierté de côté et appuiera Viktor, qui de son côté respectera un pacte implicite pour ne pas trahir son ami. Serebrennikov crée un univers visuel original. Il ponctue sa narration de courtes séquences à l’esthétique clip et insère des séquences oniriques et humoristiques, comme faire chanter la foule dans le bus avec des incrustations graphiques sur l’image, ponctuées par cette phrase « Ceci n’a jamais existé ».
L’existence est le thème principal. Vivre malgré le cadre soviétique. Vivre contre la contrainte. Mais surtout, vivre. Vivre pour et par la musique. Ils connaissent par cœur Lou Reed, T Rex, Blondie, les Doors, les Beatles et les Stones. Mais aussi les Sex Pistols et les Clash. Leurs textes s’intitulent « Je suis un glandeur » et flirtent avec l’esprit punk.
Serebrennikov est actuellement aux prises avec la justice russe qui l’accuse de détournement de fonds publics. Le film a été réalisé avant, mais il montre, sur un mode plutôt humoristique le poids de l’Institution. Il faut voir la directrice du Club faire la lecture des textes des chansons avant de donner l’autorisation à Viktor de monter sur scène. Il faut se représenter aussi ce qu’est le service d’ordre qui veille à ce que les spectateurs restent sagement assis pendant les concerts.
Leto n’est pas un film manifeste,
il n’est pas manichéen, ne prêche rien. Il est bien plus intelligent que cela.
Il restitue l’atmosphère d’une époque donnée à travers un vrai travail de
cinéma. Et je parie fort que nombre de petits Français dont je fais partie n’avaient
jamais entendu parler de Viktor Tsoï ou de Mike Naumenko. Une raison
supplémentaire pour voir Leto s’il en
fallait une.
Françoise Poul
Titre anglais : Summer
Réalisation: Kirill Serebrennikov
Scénario : Mikhaïl Idov, Lili Idova et Mikhail Idov
Photographie : Vladislav Opeliants
Musique : Roman Bylik
Décors : Andreï Penkratov
Montage : Youri Karikh
Son : Boris Voït
Producteurs : Mikhaïl Finoguenov, Mourad Osmann, Ilya Stewart, Charles-Evrard Tchekhoff, Pavel Burya et Elisaveta Tchalenko
Sociétés de production : Hype Films et Kinovista
Sociétés de distribution : Kinovista (Russie), Bac Films (France)
Pays d'origine : Russie
Langues originales : russe et anglais
Genre : drame
Durée : 126 minutes
Dates de sortie : 9 mai 2018 (Festival de Cannes 2018) 5 décembre 2018
Distribution
Teo Yoo : Viktor Tsoi
Roman Bilyk (crédité sous le nom de scène Roma Zver) : Mike Naoumenko
Irina Starchenbaum : Natalia Naoumenko
Alexandre Gortchiline : le punk
Filipp Avdeyev : Lenya dit Liocha
Vassili Mikhailov : Icha
Alexandre Kouznetsov : le sceptique
Nikita Efremov : Bob
Youlia Aug : Anna Alexabdrovna
Lia Akhedzhakova : la propriétaire de l'appartement
Anton Adasinsky : le propriétaire de l'appartement