Derrière ses reliefs ahurissants, la chaleur écrasante qui brunit les corps, une flore dense et sauvage qui surplombe l’activité humaine, alors que les Français continentaux surnommés par les locaux les "Gaulois de Gaule" débarquent en masse dans les rues et les plages de Porto-Vecchio, Les Apaches s’attache à rappeler le poids des traditions et du communautarisme sur l’île de beauté. Les coutumes locales, pas très éloignées de celles d’un Mezzogiorno italien aussi radical, sont décrites ici comme détachées des institutions françaises. On en parle la langue, avec quelques variations d’accents et de vocables, mais on répudie ses fonctionnaires, car dans le film, tout se règle entre riverains... Les gens du pays, tels qu’ils nous sont dépeints ici, sont à une mer des préoccupations de l’Hexagone, pour lequel ils ne ressentent qu’un lointain agacement. La pauvreté des autochtones est ici opposée à l’argent des touristes et aux constructions de résidences secondaires luxueuses qui se détachent des habitations des petites gens du coin. L’une des protagonistes, belle jeune femme ambitieuse qui use et abuse de son corps, sait que son avenir professionnel ne pourra se faire sur place. Il lui faudra partir si elle veut réussir.
Le réalisateur choisit de filmer l'envers de la carte postale : ronds-points disgracieux, vilains abords de villes, vagues zones industrielles. Rien de reluisant non plus côté mentalité. S'y côtoient un machisme exacerbé et un racisme tous azimuts — anti-arabes, anti-« gaulois ». Chez les riches et les pauvres, chez les mafiosi comme chez les enfants d'immigrés, on parle d'agir « en homme », de « respect », mais les seuls liens reposent sur la brutalité et la peur. Dans cette microsociété du non-droit — « Les gendarmes ? Si t'as besoin de rien, tu les appelles », ironise l'un des caïds —, la plus grande hantise est de « finir dans le maquis » (se faire assassiner). Dans les scènes de groupe, particulièrement, le réalisateur instille le malaise et crée la tension. Sa démonstration est limpide : la violence s'impose, désormais, comme l'unique référence de ces ados apaches. Le réalisme du film (servi par d'excellents comédiens, aux accents à couper au couteau !) est d'autant plus efficace qu'il donne à cette histoire, inspirée d'un fait divers, sa vraie mesure. Un côté minable, terriblement dérangeant.
Gregory Germanais
Bonus:
Entretien avec Thierry de Peretti (25')
"Mise à mort" : analyse de la scène de meurtre par Thierry de Peretti (6')
Moyen-métrage : "Sleepwalkers" de Thierry de Peretti (2011 - 54')
Court-métrage : "Le Jour de ma mort" de Thierry de Peretti (2006 - 17')
C'est à l'occasion d'une rencontre organisée autour du film Les Apaches à la Comète que Ciné Région a pu rencontrer son réalisateur, Thierry de Peretti, venu parler de son premier long-métrage avec le public.
C.R : Comment est né Les Apaches ? Est-ce une dans la continuité de Sleepwalkers ou bien une volonté différente, celle de vous positionner un peu plus ?
Thierry de Peretti : Ce n’était pas tant dans la continuité de Sleepwalkers qui était un moyen métrage mais vraiment une volonté différente. J’avais envie de faire un film de territoire avec comme point de départ un fait divers. Un film romanesque qui illustre la complexité des rapports et pas un film à thème ou à sujet.
C.R : Comment s’est déroulé l’écriture du scénario ?
T.P : J’avais démarré l’écriture d’un autre scénario mais je n’arrivais pas à construire mon histoire, elle ne correspondait pas à ce que j’avais en tête. Et c’est lorsque j’ai vu le fait divers dans Corse Matin que j'ai su que j’allais partir de ça. Partir de cet acte pour raconter tout ce que j’avais à raconter.
C.R : Pourquoi avoir choisi ce titre (ndlr : Les Apaches) ?
T.P : Il faut savoir que c’était un titre provisoire que m’a soufflé le producteur qui est aussi un de mes amis. J’ai tout de suite accroché sur ce titre en raison des nombreux messages qu’il dégage. Déjà, il évoque la façon dont le préfet de police de Paris qualifiait à l’époque les hors-la-loi. C’est aussi un surnom qui change de racaille, voyou et j’en passe… Et puis, Les Apaches, dans l’idée de tout le monde, ca convoque le western, la fiction, c’est l’opposé du documentaire.
C.R : Vous revendiquez le fait qu’il s’agit d’une fiction mais votre réalisation emprunte énormément au documentaire (peu de musique, éclairage naturel, les acteurs ont gardé leur nom…).
T.P : C’est surtout la fabrication du film qui se rapproche du documentaire, le fait d’aller sur place, de rechercher des personnages sur place. Après, ce n’était pas prévu au départ de conserver le nom des acteurs principaux. Dans le scénario, j’avais prévu des noms fictifs mais c’est au moment du tournage que j’ai vu que l’alchimie entre les acteurs avait du mal à se créer lorsqu’ils s’appelaient par le nom de leur personnage. Je ne percevais pas cette complicité si naturelle qui les lie. J’ai donc décidé au dernier moment de les laisser s’appeler par leur vrai nom. Ca les met à découvert mais ça leur a réellement permis d’incarner les choses, d’être dans le présent le plus possible à un instant.
C.R : Vous avez réalisé un réel travail sur la lumière, elle semble être actrice de la mise en scène.
T.P :En effet, j’accorde beaucoup d’importance à l’éclairage. Je suis très inspiré par les films chinois, leur façon d’éclairer, de capter la lumière naturelle. C’est vrai que dans l’ensemble, j’aime tourner dans l’instant, avec la lumière qui vient, sans trop chercher à avoir l’éclairage idéal. Il n’y a que lors de la scène du cambriolage où j’ai eu recours à des projecteurs mais là encore, j’ai essayé de ne pas trop en faire. C’est d’ailleurs l’avantage de la caméra numérique avec laquelle j’ai tourné, ça permet de filmer dans la pénombre car elle capte très bien la lumière, même infime.
C.R : Vous semblez centrer votre intrigue sur le personnage de François-Jo, vous le montrez dans sa vie privée, vous lui faites prendre les décisions, alors que de l’autre côté, vous n’opérez pas le même traitement sur les trois autres. Pourtant ce n’est pas lui qui tenait le fusil et qui a abattu son ami.
T.P : C’est exact, à l’arrivée, on s’aperçoit que François-Jo apparaît davantage, mais c’est aussi parce qu’il porte en lui plus de contradiction. C’est celui qui est le plus tranchant, qui évoque ses opinions politiques, son hostilité envers les continentaux, alors que lui-même travaille sur un chantier qui construit une villa destinée à un “gaulois“. Il a déjà une vie d’homme, il a une petite amie qui se construit professionnellement et en même temps, il y a cette naïveté en lui. Après, ce n’est pas lui qui fait partir le coup de feu mais ce n’est pas vraiment là où se trouve l’intérêt du personnage selon moi.
C.R : Vous êtes vous même comédien, comment avez-vous dirigé ces acteurs débutants ? Comment s’est déroulé le casting ?
T.P : J’ai instauré une sorte de machine, limite chorégraphiée. C’était très simple, je leur disais où se mettre, quoi faire et ça fonctionnait très bien. Je n’ai pas du tout cherché à les faire rentrer dans la psychologie du personnage du genre. Du côté du casting, ça été très long, on a vu beaucoup de monde. Je voulais me laisser surprendre par l’acteur, je cherchais les meilleurs acteurs possibles, et surtout un groupe, une petite bande. Je cherchais simplement une motivation, une disponibilité et une véritable affinité avec l’histoire.
C.R : Parlez-moi du plan final. Un dernier regard sur les riches continentaux, en marge de ce drame anonyme. Quel est le point de vue ? L’envie, le jugement…
T.P : La fin est dans la continuité du film. Je ne voulais pas faire une fin de téléfilm avec une morale, que justice soit faite, les méchants sous clé et les gentils tranquilles. Je voulais qu’elle s’encre dans cette haine qui caractérise tout le film. Après, si on cherche une signification, c’est vrai que ça montre en quelque sorte une universalité d’une jeunesse perdue où la mixité reste compromise. On peut aussi chercher du côté de l’invisibilité de François-Jo comme l’était Aziz également. Il y a beaucoup de pistes à prendre et c’est vraiment ce que je recherchais.
C.R : Les Apaches a eu le succès qu’on lui connaît, quels sont vos prochains projets, vous restez fidèle à la Corse ?
T.P : Je travaille sur deux projets actuellement, dont un western urbain qui se déroule à Ajaccio, Paris et Bastia.
Interview réalisée et retranscrite par Eve Brousse