« La mafia n’existe pas, on l’appelle Cosa Nostra. » Tommaso Buscetta.
Notre histoire commence dans les années 80 un peu avant l’assassinat de Stefano Bontate et la prise de pouvoir par clan des Corleonesi sur les Palermitains. Extradé du Brésil, Tommaso Buscetta décide de se repentir et de collaborer avec la cellule antimafia dirigée par le juge Falcone. Le film nous entraine dans les rouages d’une machine tentaculaire aux nombreuses ramifications. C’est la montée du clan des Corleonesi avec une violence sans limites et la fin de la Cosa Nostra à l’ancienne. Tommaso Buscetta se repentit parce qu’il considère que les hommes d’honneur ne sont plus. Il dénonce cette image de violence et le trafic de drogue qui devient de plus en plus pernicieux. Il rappelle le mythe de la Cosa Nostra protectrice des plus faibles, ne tuant pas les enfants et respectant un certain code d’honneur. Il s’amuse de l’image romantique de la Mafia portée par Le Parrain, le film préféré des mafiosi. C’est tout un système que démonte le film à travers la vengeance de Tommaso Buscetta. D’autres mafiosi suivent sa voie et n’hésitent pas à balancer la famille. Dans sa seconde partie, le film nous entraine au cœur du maxi-procès de Cosa Nostra. La confrontation des hommes en cage et du repenti, « le traître », devient le point culminant de cette guerre. Le film s’achève sur la mort de Tommaso Buscetta dans une vision réaliste et symbolique, dans les feux de la nuit marquant la fin d’une époque.
Le traitre est à la fois une tragédie à l’antique, théâtre shakespearien, dans sa première partie. La vengeance, l’honneur, le sang des fils et la trahison en balisent la route sinueuse au cœur d’un système en mutation. Dans la seconde partie, lors du procès, nous nous rapprochons plus de l’opéra bouffe et de la commedia dell’arte. Marco Bellocchio oppose à un certain romantisme de la sagadu Parrain, la tragédie et la réalité des faits. Pourtant, Tommaso Buscetta avoue trahir à cause d’une Cosa Nostra proche de l’image du Parrain qui n’existe plus. Dans les faits, il n’a pas tout à fait tort. Au début, tolérée par l’Etat, Cosa Nostra avait bien cette fonction d’aide aux plus démunis. C’est un monde qui s’effondre pour accoucher de la violence et de la soif du pouvoir. Toto Riina focalise cette nouvelle image et cette course à la puissance. Tommaso Buscetta n’est pas le premier repenti de l’histoire de la mafia, mais celui qui par son action permet l’arrestation du plus grand nombre de mafieux.
Le traitre est aussi une grande fresque sur l’histoire de l’Italie, marquée profondément par la pieuvre. Marco Bellocchio nous emporte à la fois dans l’intime et le grand théâtre de la vie avec un budget conséquent. La première séquence s’ouvre sur une fête réunissant tous les membres de Cosa Nostra. On chante, on danse au rythme des ritournelles populaires. La musique marque une fracture, saisit l’intime, le fils de Buscetta seul sur la plage, touché par la drogue. Chacun se montre sauf Toto Riina qui, déjà dans l’ombre, œuvre à son plan machiavélique. Comme dans la tragédie grecque, les personnages sont en place au nom des liens du sang et de la famille. Le chaos commence sa valse morbide. L’image du père, à bien des niveaux, s’en trouve marquée profondément, comme celle de la Justice. La musique joue des airs traditionnels siciliens puis prend des airs d’opéra de Verdi avec notamment l’air des esclaves. Ce dernier apparaît assez significatif et marque une lecture symbolique, se glissant dans le cœur du récit par la musique et sous d’autres formes. Il représente l’hymne à la liberté et a été souvent considéré comme l’hymne national.
Nicola Piovani glisse ses compositions comme une suite logique qui ne dépareille pas. Le dernier élément, la trahison, apparaît sous différentes lectures. Le traitre n’est pas forcément Tommaso Buscetta, fidèle à l’image de Cosa Nostra. Ce sont plutôt les autres membres et surtout Pipo Calo, l’ami de toujours, qui n’hésite pas à tuer les fils et trahir le père. Il y a aurait encore beaucoup à dire sur Le traitre, fresque grandiose aux niveaux de lecture et d’analyse multiples. Il nous ramène aux valeurs profondes de l’humanité et son histoire depuis la nuit des temps quand le bien et le mal s’affrontent. Marco Bellocchio renouvelle le film mafieux dans une composition personnelle inspirée, de souffle et d’ampleur, tout en n’effaçant pas la réalité sauvage d’une époque.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Il traditore
Titre français : Le Traître
Réalisation : Marco Bellocchio
Scénario : Marco Bellocchio, Valia Santella, Ludovica Rampoldi et Francesco Piccolo
Direction artistique : Dani Vilela
Décors : Livia Del Priore
Costumes : Daria Calvelli
Photographie : Vladan Radovic
Montage : Francesca Calvelli
Musique : Nicola Piovani
Pays d'origine : Drapeau de l'Italie Italie
Sociétés de production : IBC Movie (Italie), Kavac Film (Italie), Rai Cinema (Italie), Ad Vitam Production (France), Gullane (Brésil), Match Factory Productions (Allemagne), Arte France (France)
Langues originales : italien, sicilien, portugais, anglais
Format : Couleurs - 35 mm - 1,85:1
Genre : drame, biopic
Durée : 145 minutes1
Dates de sortie : 23 mai 2019 (festival de Cannes 2019) ; 30 octobre 2019
Distribution
Pierfrancesco Favino : Tommaso Buscetta
Maria Fernanda Cândido : Cristina, épouse de Tommaso Buscetta
Luigi Lo Cascio : Totuccio Contorno
Fabrizio Ferracane : Pippo Calò
Fausto Russo Alesi : le juge Giovanni Falcone
Alessio Praticò : Scarpuzzedda
Nicola Calì : Totò Riina
Giovanni Calcagno : Gaetano Badalamenti
Gabriele Cicirello : Benedetto Buscetta, fils de Tommaso Buscetta
Paride Cicirello : Antonio Buscetta, fils de Tommaso Buscetta
Marco Gambino : le procureur général de Palerme
Pier Giorgio Bellocchio : Cesare, garde du corps
Distinction
Sélection
Festival de Cannes 2019 : sélection officielle, en compétition
Récompenses
Rubans d'argent 20192:
meilleur film
meilleur réalisateur
meilleur acteur pour Pierfrancesco Favino
meilleur acteur dans un second rôle pour Luigi Lo Cascio et Fabrizio Ferracane
meilleur montage pour Francesca Calvelli
meilleure musique pour Nicola Piovani
Globe d'or 2019 3
Meilleur film
Meilleure musique à Nicola Piovani
Festival du film de Pauillac : prix du jury