Le ciel et la mer ressemblent à la ville de Rimini, grise comme le désespoir infini. Sur le quai, le nouveau professeur du lycée, Daniel Dominici, traine son spleen. Séparé de sa femme Monica, il continue de la soutenir, cœur meurtri par la séparation de son dernier amant. Elle reste cloitrée dans leur chambre en attente d’un coup de téléphone de cet amour, lui aussi perdu. Un fil ténu retient encore Daniel à la vie. Il est en errance, en quête d’une renaissance. Il s’accroche au néant et aux tripots de la nuit plus qu’à son rôle de professeur de lettres. C’est une balade nihiliste au cœur des villas abandonnées, des clandés faussement joyeux, entre prostituées, filles de rien, pertes importantes au jeu. Il traine ses pas dans ceux d’une bande d’âmes perdues chargées d’un lourd secret. Pourtant, dans ce gris de l’existence, il croise le regard d’une jeune élève, Vanina Abati. Elle l’emporte dans une quête amoureuse sur fond de ciel gris et d’une petite ville balnéaire maussade. Daniel trouve peut-être le premier pas pour renaitre avec cette jeune fille angélique. Elle cache une autre figure que le professeur finit par dévoiler, comme cette madone au cœur de l’église. Qui, de la vie ou de la mort, de l’amour ou du vide de l’âme, aura le dernier mot ?
C’est Visconti qui présente Valerio Zurlini à Alain Delon. L’acteur produit le film de ce réalisateur particulier, qualifié souvent de cinéaste intimiste et sensible, frôlant parfois le nihilisme. Ils seront en procès après la version réduite de vingt minutes et remontée par l’acteur. Pathé nous propose la version complète et sous-titrée en français. Le film s’ouvre sur un homme au bout d’un quai sous la pluie grise comme la mer se fracassant sur les rochers. En quelques images, sous la photographie magnifique de Dario Di Palma, nous plongeons dans le cœur du film et son ambiance de fin du monde. Pardessus de laine porté comme une seconde peau, Delon campe un personnage remarquable aux portes de l’enfer. Il s’accroche encore à son couple qui n’a plus rien à se dire. Léa Massari interprète avec talent cette Monica entre colère, désespoir, et amour fou.
Valerio Zurlini fouille le cœur de ses personnages dans cette ambiance brumeuse, navire errant sur une mer vide en quête d’un quai où s’accrocher. Le réalisateur joue du secret comme d’une blessure qui conduit son héros à ne plus croire en rien. Nous nous apercevrons que chacun cache quelque chose d’enfoui au cœur de l’abîme. Le titre italien La prima notte di quiete (La première nuit de tranquillité) est un vers de Goethe, métaphore de la mort. C’est bien elle qui conduit Daniel à revenir dans cette ville marquée par sa famille, autrefois grandiose, et son passé destructeur. Il est en bout de course, en bout de jetée et ne croit plus en rien. Cet amour pourrait bien lui redonner l’envie de vivre, même s’il est marqué du sceau de l’infamie. C’est en grattant au plus profond de l’âme que se dévoile peu à peu le cœur du récit. Le décor hivernal de cette station balnéaire à la morte-saison devient comme un second personnage.
On aura beau se saouler le soir venu dans les jeux de cartes, les soirées folles, le soleil ne survient toujours pas à l’horizon. C’est un regard sur une bourgeoisie de parvenus noyant son désœuvrement dans les orgies, l’alcool et la drogue. Le professeur devait être le volet ultime d’une trilogie qui ne verra jamais le jour. Dans ce climat de purgatoire, le romantisme est voué à mourir et se perdre dans l’infini du néant. La rédemption, le battement vigoureux du cœur fragile n’y a pas sa place. C’est bien la mort et le vide qui l’emportent. Le cinéma de Valerio Zurlini, compte peu de titres : neuf longs-métrages de 1959 à 1976. La disparition prématurée du réalisateur, en 1982, à l’âge de 56 ans, contribue à donner une aura particulière, maudite et tragique à toute son œuvre. Ses films les plus connus résumant bien son cinéma et son style restent Le Désert des Tartares et Le professeur. Ce dernier nous donne l’occasion de découvrir Alain Delon dans une performance remarquable et un réalisateur important de l’histoire du cinéma italien, aujourd’hui reconnu.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus :
Entretiens inédits Sonia Petrovna, Olivier Père et Jean-Baptiste Thoret,
Actualité sur l'accueil du film en 1972.
Titre original : La prima notte di quiete
Titre français : Le Professeur
Réalisation : Valerio Zurlini
Scénario : Valerio Zurlini et Enrico Medioli
Musique : Mario Nascimbene
Directeur de la photographie Dario Di Palma
Monteur Mario Morra
Chef décorateur Enrico Tovaglieri
Décorateur Franco Gambarana
Directeur de production Averoe Stefani
Assistant réalisateur Paolo Pietrangeli
Chef costumier Luca Sabatelli
Cadreur Blasco Giurato
Scripte Franca Invernizzi
Ingénieur du son Bruno Zanoli
Mixage Danilo Moroni, Alberto Bartolomei
Assistant monteur Piera Gabutti, Massimo Quaglia, Edoardo Romani
Maquilleur Amato Garbini
Superviseur de production Gilberto Scarpellini
Régisseur général Camillo Teti
Coiffeuse Gabriella Borzelli
Production : Mondial Te Fi (Rome), Pathé Renn Production (Paris)
Pays d'origine : Italie, France
Langue de tournage : italien
Dates de sortie : 1er novembre 1972
Dates de sortie vidéo : 6 novembre 2019
Distribution
Alain Delon : Daniele Dominici
Lea Massari : Monica Dominici
Sonia Petrovna : Vanina Abati
Giancarlo Giannini : Giorgio Mosca, alias « Spider »
Renato Salvatori : Marcello
Alida Valli : Marcella Abati
Adalberto Maria Merli : Gerardo Favani
Salvo Randone : le professeur Porra
Liana Del Balzo : la mère de Daniele