Pierre Goldman est une personnalité complexe qui marque les années 70 en basculant de militant gauchiste révolutionnaire au banditisme. Suite à une série de braquages, il se trouve accusé du meurtre d'une pharmacienne et de sa préparatrice. Il comparait pour la seconde fois à Amiens en criant son innocence. De nombreuses personnalités dont Régis Debray, Simone Signoret qui assisteront au procès, le soutiennent. C'est dans un huis clos proche du documentaire aux couleurs des années 70 que plonge le spectateur. Nous sommes au cœur de la parole, des mots et de ce que les témoins croient avoir vu ou perçu, qu’ils restituent après le passage du temps. C'est la justice face aux faits. Ce sont les témoins face à leurs paroles. C'est l'époque face à l'antagonisme marqué qui ne fera que grandir, bourgeois- prolos, hommes - femmes, gauche - droite, blancs – noirs, français – étrangers. Georges Kiejman, avocat de la défense et ses assistants doivent composer avec l'absence de preuves tangibles et un client incontrôlable. Pierre Goldman ne se gêne pas pour intervenir, kidnappant la parole. Entre le premier procès et son appel, il écrit son autobiographie, Souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France qui fait grand bruit en prison et lui sert à porter sa parole.
Le film de procès semble revenir sur le devant de la scène, après
Anatomie d’une chute de Justine Triet Palme d'or à Cannes 2023. Cédric Kahn concrétise l'envie de réaliser un film de procès dans les pas de Sidney Lumet. On se souvient de
Douze hommes en colère avec Henry Fonda, chef-d’œuvre du genre. Aux Etats-Unis c'est un style particulier au même titre que la romance, la comédie, le film d'action. De nombreux réalisateurs comme Francis Ford Coppola se confrontent à ce huis clos. En France on connait un film majeur,
La vérité de Georges Clouzot 1960,
Une intime conviction d'Antoine Raimbault 2018,
Les choses humaines d’Yvan Attal 2021,
Verdict d'André Cayatte 1974, et bien d'autres. Justine Triet, (voir notre critique) s'intéresse à la parole mais aussi à ce que l'on voit, croit voir, entendre pour le jeune garçon malvoyant. Cédric Kahn nous offre une plongée au cœur des mots. C'est un exercice difficile dans lequel il s'appuie sur de nombreux documents pour retranscrire l'ambiance et surtout la parole des uns et des autres.
C'est dans un espace restreint que se joue le sort d'un homme, uniquement basé sur la dialectique. La caméra possède peu d'espace pour évoluer, peu d'angle pour capter les gestes et la parole. Cédric Kahn aime nous surprendre et quitter les sentiers battus pour emprunter des chemins de traverse. C'est La prière, Fêtes de famille un huis clos familial, La vie sauvage, basée sur une histoire vraie, Roberto Succo que l'on peut rapprocher du procès Goldman. La parole est l'élément principal du film, elle s'évapore, se cogne et rebondit contre les murs du tribunal, s'envole, et se niche dans les cœurs. On comprend que chaque mot a son importance. Les mots décrivent une situation, laissent parfois un doute, quand la mémoire s'emmêle au cœur de l'inconscient. Leur route, leur quête est celle de la vérité. Ils tracent un chemin de colère, de douleur, de peur, manipulés ou sincères jusqu'au verdict. Ce sont les mots des avocats dans leur réquisitoire pour condamner ou innocenter. Le réalisateur dans une interview à Positif cite Melville et Sautet comme source d'inspiration.
C'est un travail dans le détail, que ce soit le choix d'une lumière éphémère naturelle, changeante, miroir de la parole. C'est la caméra à hauteur d'homme, de regard comme Ozu la plaçait. Ce sont les costumes et le grain de l'époque dans un cinéma à l'épure. Le spectateur n'est pas dans un de ces récits ampoulés, avec effets de manche, mais bien devant un corps à corps. Il ne peut fuir l'espace restreint. Il ne possède plus qu'un seul choix, écouter et voir, les gestes, les regards quand la caméra frôle ou s'attarde sur les personnages. Les enjeux prennent toute leur importance dans cette époque particulière, prémices d'une pensée qui se libère aujourd'hui. Il importe peu que Pierre Goldman soit innocent ou coupable, chacun à l'image des jurés se fera sa propre opinion.
Cédric Kahn ne nous livre pas une réponse aux accusations, il s’intéresse avant tout à la figure de Pierre Goldman. C'est un homme de conviction en quête d'un héroïsme porté pendant la guerre par ses parents résistants. Cet homme égaré qui finit par se perdre dans le banditisme. Est-ce que le procès joue comme une thérapie qui le ramène à lui-même ? Pour finir comme le dit Cédric Kahn à Positif : « Quand Goldman finit en disant qu'il n'a pas voulu instrumentaliser le judaïsme au cours du procès, je le suis encore. Que Goldman se débatte avec son passé suscite le plus d'empathie en moi. Il lutte contre des fantômes. Quand Kiejman affirme qu'on ne guérit vraiment jamais de son enfance. Il invite les jurés à ne pas juger Goldman sur l'image qu'il a donnée de lui-même pendant le procès. »
La question de l'antisémitisme n'est pas le sujet principal du procès, mais Goldman semble à la fois l'invoquer et le nier. Cédric Kahn dit plus loin dans l'interview à Positif. « Kiejman est le Juif résilié qui a transformé son passé en intégration, en ambition, et Goldman le Juif maudit, qui ne s'en sort pas. » En cela, il nous renvoie à Dreyfus, la Shoah, l'antisémitisme, le racisme, le fascisme que pointe du doigt Goldman pendant le procès. C'est une question que malheureusement notre époque n'a toujours pas résolue et qui résonne sans doute depuis bien trop longtemps.
Patrick Van Langhenhoven
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Titre original : Le Procès Goldman
Titre provisoire : Je suis innocent parce que je suis innocent
Réalisation : Cédric Kahn
Scénario : Cédric Kahn et Nathalie Hertzberg
Photographie : Patrick Ghiringhelli
Son : Elisha Albert, Thomas François et Erwan Kerzanet
Montage : Yann Dedet
Production : Benjamin Elalouf
Société de production : Moonshaker
Société de distribution : Ad Vitam Distribution (France)
Budget : 2,6 millions d'euros
Pays de production : France
Langue originale : français
Format : couleur — 1,33:1 — son 5.1
Genre : drame, policier, film de procès, historique
Durée : 115 minutes
Dates de sortie : 17 mai 2023 (Quinzaine des cinéastes du festival de Cannes 2023)27 septembre 2023
Distribution
Arieh Worthalter : Pierre Goldman
Arthur Harari : maître Georges Kiejman
Stéphan Guérin-Tillié : le président
Nicolas Briançon : maître Garaud
Aurélien Chaussade : l'avocat général
Christian Mazucchini : maître Bartoli
Jeremy Lewin : maître Chouraqui
Jerzy Radziwiłowicz : Alter Goldman
Chloé Lecerf : Christiane
Laetitia Masson : la psychiatre
Didier Borga : commissaire Jobard
Arthur Verret : Monsieur Aubert, veuf de la pharmacienne
Priscilla Lopes : Mme Carrel
Paul Jeanson : l'agent Quinet
François Favrat : commissaire Leclerc
Maxime Tshibangu : Joël Lautric, l'ami de Goldman
Romain Parent : inspecteur Goussard