« Ta femme elle ne peut pas venir. Si tu veux, je peux la remplacer. »
L’histoire commence avec deux silhouettes posées sur le cœur de la ville aux néons roses des hôtels miteux, fragrance d’une rencontre improbable. Lui, Zhou Zenong, chef de gang, lâché par les siens, homme d’honneur en quête d’une femme délaissée. Tueur de flic, le pardon ne viendra jamais mais la mort,oui, assurément. Il souhaite que sa femme et son fils touchent la récompense pour sa capture. C’est l’occasion de leur offrir cette nouvelle vie promise autrefois. Elle, Aiai, habillée couleur de sang, « baigneuse », c’est-à-dire putain des bords du lac. Le temps d’une soirée, leurs vies se croisent, se mêlent pour l’honneur et la promesse d’un avenir meilleur. Dans la ville aux couleurs néons, la police sans pardon s’agite, traque le tueur de flic. Dans la ville, quelques mauvais garçons à l’âme vengeresse, fils de la trahison, le cherchent pour l’envoyer ad patres. Dans le labyrinthe de la cité, Zenong et Aiai doivent trouver le chemin vers Shunjun pour réparer les torts du passé. Le passé, l’instant présent, les souvenirs, l’honneur, le mensonge et la trahison jouent la partition de la valse de vie sans horizon. Au loin, les oies sauvages s’envolent au-dessus du lac vertueux, magiques dans le silence de notre imaginaire.
Diao Yinan appartient aux cinéastes de la sixième génération. Enfant de la place Tiananmen, il cache, derrière un cinéma de genre, un message plus social. La cinquième génération visitait le plus souvent l’histoire de la Chine, à l’image de Zhang Yimou dont le dernier film, One Second reste censuré. La sixième génération s’intéresse à la vie quotidienne, à la société et ses structures souvent imposées. Le lac aux oies sauvages propose plusieurs niveaux de lecture. D’abord un polar noir, hommage au cinéma des années quarante et cinquante comme le fait remarquer Jean Dominique Nuttens dans son article pour Positif. Il mêle des éléments spécifiquement chinois liés au jianghu que l’on peut traduire par « rivières et lac », désignant la société chinoise d’autrefois, en marge, comme la pègre. Il rejoint le code d’honneur, à l’image du Samouraï de Melville, La dame de Shanghai d’Orson Welles.
Zhou Zenong apparaît comme un homme d’honneur conscient d’une faute à réparer vis-à-vis de sa femme, peut-être la promesse d’une vie meilleure. La pluie, la nuit éclairée par les néons des hôtels et des boutiques marquent le décor de cette âme perdue symbolisant, comme pour Black Coal, une Chine en plein éveil. Les hommes d’honneur, comme hier ceux du film noir, n’ont plus leur place dans la nouvelle société. Zhou Zenong appartient à un autre monde. Les décors apparaissent comme un personnage, chantiers de construction, ateliers clandestins, magasins, restaurants de fortune. Le couple les traverse comme une ombre sur les murs d’un labyrinthe antique. C’est la Chine d’aujourd’hui se construisant sur les ruines, les tombeaux et les mensonges du passé.
C’est un univers souvent masqué par la pluie et la nuit où le jour pointe. L’aube marque le passage vers un ailleurs pour chacun des personnages. L’espérance repose sur les deux femmes Aiai, et Shunjun. Elles peuvent enfin construire un avenir nouveau, loin du lourd passé comme celui de ce pays. Le chef opérateur Dong Jingsong réalise une image particulière, entre onirisme et réalité, pour un voyage aussi symbolique qu’initiatique. On pense parfois à la photographie des films de David Lynch, aux mêmes néons masquant des portes et une réalité vers l’ailleurs. Le personnage d’Aiai incarne la putain de Babylone, déesse antique conduisant le héros vers son absolu, plus que la femme fatale. Derrière la trame policière se cache un regard juste sur la société chinoise actuelle, ainsi critiquée en arrière-plan par cette sixième génération.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus :
Making Of de 14 mn
Titre original : 南方车站的聚会, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì
Titre français : Le Lac aux oies sauvages
Réalisation et scénario : Diao Yi'nan
Direction artistique : Liu Qiang
Photographie : Dong Jingsong
Montage : Kong Jinlei et Matthieu Laclau
Pays d'origine : Chine
Format : Couleurs - 35 mm
Genre : drame, thriller
Durée : 113 minutes
Dates de sortie : 18 mai 2019 (festival de Cannes 2019), 25 décembre 2019
Distribution
Liao Fan : l'inspecteur
Hu Ge : Zhou Zenong
Kwai Lun-mei : Liu Aiai
Regina Wan : Yang Shujun