Entrez dans la danse ! Voyez comme on danse ! chante la comptine de notre enfance. C’est une fois par an dans le hameau des Gauthiers dans le département de l’Allier, non loin de Moulin que pendant sept jours, sur huit parquets, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des groupes folk, de musiques traditionnelles, venus de toute l’Europe emportent les danseurs dans un tourbillon sans fin. La danse devient un espace d’expression et de communication entre les corps et les âmes. Elle en dit bien plus long sur notre âme qu’un long discours.
« Il s’élança d’un bond hors de la baraque, jeta ses souliers, sa veste, son gilet, retroussa son pantalon jusqu’aux genoux et se mit à danser. Sur son visage enténébré, encore mâchuré par le charbon brillaient deux yeux lumineux.
Il se lança dans la danse. Il frappait des mains, bondissait, virevoltait, retombait en ployant les genoux, rebondissait les jambes repliées, comme l’aurait fait un élastique. Soudain, il se remit à sauter, très haut, comme pour braver les lois de la nature et s’envoler. On sentait que, dans ce corps vermoulu, rompu, l’âme s’en débattait pour entraîner la chair et se jeter avec elle dans les ténèbres, telle une étoile filante. L’âme secouait le corps, qui ne pouvait rester longtemps en l’air et retombait. Alors, impitoyable, elle le secouait à nouveau, le soulevait un peu plus haut cette fois, mais le malheureux, pantelant, retombait encore. » Zorba le Grec Nikos Kazantzakis.
Elle devient un langage où les corps et les gestes se font paroles et transmettent bien plus que les pas scandés sur le parquet. C’est la vie qui s’élance et tente de toucher l’absolu dans le corps porté vers une quête intérieure majeure. Derrière la danse, c’est l’échange des générations, d’une certaine philosophie de l’existence que porte le mouvement dans une éternité transcendée. Laetitia Carton capte la ronde des corps qui évoluent dans des figures mystiques, magiques, en osmose avec les éléments et le paysage. C’est peut-être aussi pour certains tout simplement le plaisir de la danse. Dans ce maelström, ce kaléidoscope, la caméra capture un pas cadencé, un geste qui s’envole, une ligne lente comme un chant chamanique. Tout devient plus que ceci et moins que cela. Elle souligne les visages, les sourires, les désirs, les gestes lâchés, fâchés quand le danseur ose un peu plus. Elle joue de la lumière et des poussières d’éternité qui, comme des étoiles, montent du parquet secoué dans le nœud de la trame cosmique.
La voix off de Laetitia Carton illustre la poésie de la danse, philosophie d’un état à conquérir pour devenir un autre au sein du tout. Se connaître soi-même pour mieux connaître les autres, comme le dit le maitre zen. Le silence se glisse parfois, vite rattrapé par la musique et le pas des danseurs dans les lueurs de la journée à jamais recommencée. C’est ce que la réalisatrice capte de ces quinze jours passionnés, emportant les débutants comme les vieux habitués d’une maison sans cesse redécouverte. Elle nous offre un moment perdu dans le temps, saisi au plus profond de son âme comme un autre écho à la vie trépidante des villes. Ce petit coin de campagne se transforme pour les participants en un soleil plein de promesses où bâtir son devenir. Les images et les mots créent une poésie de l’instant bien plus loin que le corps dansant.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
- le livret : texte de la voix off du film (16 pages)
- Présentation par Laetitia Carton (4')
- Scènes coupées (36')
Titre original : Le Grand Bal
Réalisation et scénario : Laetitia Carton
Photographie : Karine Aulnette, Prisca Bourgoin, Lætitia Carton et Laurent Coltelloni
Son : Nicolas Joly et François Waledisch
Montage : Rodolphe Molla
Production : Jean-Marie Gigon
Société de production : SaNoSi Productions
Sociétés de distribution : Pyramide Distribution (France) ; Look Now ! (Suisse romande)
Pays d'origine : France
Langues originales : français, langue des signes française
Format : couleur - 1,77:1 - Dolby 5.1
Genre : documentaire
Durée : 99 minutes
Dates de sortie : 17 mai 2018 (Festival de Cannes - Sélection officielle - Cinéma de la Plage) 31 octobre 2018