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affiche Le Fils de Jean

Le Fils de Jean

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Un film de Philippe Lioret ,
Avec Pierre Deladonchamps, Gabriel Arcand,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h38
France

En Bref

L’annonce de la mort, cette garce, annihile le rêve d’éternité. Elle nous rapproche de l’échéance finale. Parfois on se découvre un père, des liens oubliés qui apparaissent ténus, fragiles. Pour Mathieu, c’est un tableau pour héritage et des frères qui doivent ignorer son existence. Il ne reçoit pour tout héritage qu’un visage d’enfant souriant sur la toile et la mort d’un père qu’il n’a pas connu. Mathieu décide de traverser les flots pour renouer avec les traces d’un père qui n’était qu’une ombre. C’est Pierre, un vieil ami de ce dernier, médecin comme lui, qui l’accueille à son arrivée au Canada. Il remonte le fleuve jusqu’à la source pour trouver le sens de ses origines.

Il vogue sur les mensonges et les vérités, de la première graine jetée au vent, jusqu’à l’histoire d’un soir s’avérant plus qu’une simple rencontre. C’est défaire le fil d’Ariane pour atteindre le cœur du labyrinthe, sans savoir ce que l’on y trouvera. Il découvre autre chose que l’amour filial, la belle-famille, l’entente cordiale, fraternelle. C’est la cohorte des histoires ratées passant à un cheveu pour devenir des contes. Le tableau que dévoile Pierre pour Mathieu est loin de l’image idéale qu’il imaginait sans doute. Des frères se déchirent pour un morceau d’héritage, partent en quête d’un corps, plus par besoin que par amour. Il cherchait une source où puiser de nouvelles forces et c’est un tombeau muet où les vivants se perdent. Il suffit parfois de regarder sur l’autre rive pour découvrir une vérité cachée et comprendre enfin le sens de ses origines.

Quand il aura tout lâché, refusé le don d’une famille qui ne lui convient pas, il pourra enfin accueillir la vérité, cette charmeuse qui s’amuse de nos errances. Le voyage et les rencontres l’auront conduit au cœur du temps qui construit les temples où enfermer nos idoles. Alors la figure du père se dévoilera dans l’ombre des arbres antiques quand le soleil caresse le monde annonçant sa fin et son recommencement.


Philippe Lioret revient à la cellule familiale et aux liens sociaux avec l’histoire de ce fils se découvrant un père et des frères. C’est au Canada qu’il plante la caméra pour sa petite musique, tout en légèreté, d’une quête identitaire. Qu’est-ce qu’on fait de sa vie, à quoi on accorde de l’importance. Est-ce à l’argent, un corps pour un héritage ou veut-on profiter du temps qui passe en compagnie de ceux que l’on aime ? Il touche à l’essentiel avec ce voyage d’un jeune homme qui découvre une famille qui ne lui convient pas. Il se reconnaît plus dans la figure de l’ami de son père, Pierre. Il découvre un humaniste sacrifiant à l’âme plus préoccupée par le bien-être de ses patients que l’argent. Ce garçon fragile en quête d’innocence, d’un sens à la vie, ne le trouve pas chez Jean, le mort. L’image de l’homme coureur de jupons est à l’opposé du père imaginaire. C’est la confrontation de ce que nous gardons dans nos cœurs des êtres que nous chérissons. Son idéal de la famille en prend un coup et le voyage ne tarde pas à ne devenir qu’un aller-retour.

C’est à l’extérieur du cercle qu’il découvre l’amour de l’autre, l’attention que l’on porte à ceux qui vivent à nos côtés. Il représente ces petits gestes, ces riens, ces sacrifices qui font la saveur d’une vie. C’est dans les eaux du lac, lieu de passage, en quête d’un corps, que la vérité commence à poindre à l’horizon. La symbolique du passage entre les vivants  et les morts prend son sens. Les frères ne sont pas là pour donner une sépulture à leur père, mais par pur intérêt financier et juridique. Dans cette trame simple, Philippe Lioret, comme à son habitude, touche notre sensibilité profonde et nous pousse, comme le héros, à nous questionner sur ce que nous faisons de notre existence. Ce que l’on voit est plus complexe qu’un premier regard. Il faut saisir dans les silences, les regards, les mots justes sans fioritures pour finir par toucher la vérité. Elle était là, posée en évidence, bien en vue. Chaque jour nous passions à côté sans la voir. Chaque scène s’interpelle comme un écho, un reflet dans le miroir, pour nous mener, comme le fil d’Ariane, au bout du labyrinthe.

Comme dans la vie, nous fuyons l’évidence pour nous perdre et finir au bord du Styx par regretter ce que nous en avons fait. Chaque film de Philippe Lioret nous rappelle que demain il sera trop tard, que le temps nous aura volé notre éternité heureuse. À la fin, Mathieu peut enfin de nouveau avancer. Il est complet et son initiation fait enfin de lui le père qu’attend sa femme, comme Pénélope son Ulysse. Dans ce jeu tout en finesse, comme une partition musicale jouant la note ultime, le Canadien Gabriel Arcand et Pierre Deladonchamps sont excellents. Ils puisent au cœur de la sobriété pour nous transporter au cœur de l’évidence. Un petit mot sur les femmes, magnifiques, elles connaissent bien avant nous la vérité. Le Fils de Jean est notre coup de cœur de cette rentrée. 

Patrick Van Langhenhoven

Note du support :
3
Support vidéo : Format 16/9 compatible 4/3, Format cinéma respecté 2.39, Format DVD-9
Langues Audio : Audiodescription (pour malvoyants) Dolby Digital 2.0, 5.1
Sous-titres : aucun
Edition : Le Pacte


Ciné Région : Comment avez-vous fait pour que le couple père-fils fonctionne à ce point ? 

Philippe Lioret : C'est vrai que c'est assez incroyable mais ça a beaucoup à voir avec le rapport que l'un et l'autre ont eu instantanément, comme si quelque chose se mettait en place entre eux. Ça tient particulièrement au charisme de Gabriel Arcand et à son sens de l'humour. Vous imaginez le temps qu'on passe dans les voitures, les scènes se passent beaucoup dans la voiture, entre eux deux donc on en a eu, du temps !

C.R : Vous avez vécu au Canada, c'est ça ? 

Philippe Lioret : Oui j'y ai vécu, enfin j'y ai passé beaucoup de temps car ma tante vivait à Montréal donc j'allais souvent la voir. J'étais gamin mais je connaissais bien Montréal et c'est pour ça que ça m'est resté en tête, c'était tout naturel pour moi d'aller tourner là-bas. 

C.R : C'est vrai que le couple fonctionne très bien, il y a une constante en tout cas dans vos films, c'est que vous parvenez à faire jouer les comédiens dans la retenue, dans la pudeur, un peu comme Téchiné d'ailleurs. Je voulais savoir comment vous arriviez à cela ? 

Philippe Lioret : Moi je pense que ça passe aussi par l'écriture, quand j'écris un scénario je suis très vigilant à ce que tous les personnages, même les plus petits, aient leur histoire. Et qu'on puisse faire un film sur eux, indépendamment des autres. Je relis aussi souvent le scénario du point de vue de chaque protagoniste, même des plus petits, je lis en pensant à eux etc. J'ai besoin de ça, je trouve qu'il n’y a rien de pire que les utilités au cinéma. 

C.R : Comment intégrez-vous l'épisode montage dans votre narration ?

Philippe Lioret : J'ai vraiment besoin d'un break après le tournage, du coup j'ai décrété avec la monteuse qu’on n’était pas pressés et j'ai laissé le film un mois. J'ai récupéré de tout ça et j'avais besoin de sortir du tournage, des problématiques du tournage, ça me permet de revenir au montage pour affiner l'écriture jusqu'à retrouver la petite musique qu'il y a dans le film. C'est très difficile de retrouver ça au montage mais je ne lâche pas la barre tant que je n'ai pas retrouvé le sous-texte à cette étape. Je travaille avec une monteuse formidable, j'ai fait tous mes films avec elle depuis Je vais bien ne t'en fais pas. On arrive à travailler ensemble et à trouver le petit truc magique. 

C.R : Où avez-vous trouvé ce tableau ? 

Philippe Lioret : À l'origine, c'est quand même Jean qui a trouvé ce tableau qu'il veut en héritage pour son fils. Il devait avoir une certaine signification, j'avais, au début, pensé à un visage d'enfant, mais je n'avais pas trop d'idées. Je savais juste qu'il fallait qu'il coûte entre 80 et 100 000$ puisque c'était un héritage et que c'était le seul truc qu'on peut envoyer sans papiers, sans rien. J'ai cherché longtemps et je ne trouvais pas... Un jour je suis tombé sur internet sur une représentation de ce tableau et j'ai été touché. C'est un tableau d'un peintre inconnu, c'est la cote du tableau, donc... Il appartenait à une dame qui l'avait eu en héritage. On a fait faire une copie car la dame y tenait trop. 

C.R : Est-ce que vous pouvez nous parler du travail d'adaptation, pourquoi avoir acheté ce roman ? 

Philippe Lioret : C'est une histoire qui a 12 ans. J'avais été emballé par ce bouquin mais je me disais que c'était trop introspectif, ce n'était pas mon cinéma et du coup, que je ne pourrais pas faire une adaptation de ce genre de bouquin. Ça fait très longtemps que j'y pense, je modifiais l'histoire dans ma tête... Un jour le producteur qui avait acheté les droits de ce bouquin m'a appelé pour me dire qu'effectivement, le scénario, fidèle au livre, n’était pas montable. Plus tard, j'ai relu le livre et je me suis rendu compte que je m'étais fait un film différent du livre, avec quelques mots clefs, l'inspiration venait du livre mais c'était devenu un film solaire. J'ai quand même acheté les droits car il m'a vraiment inspiré. Parfois on a besoin d'une inspiration, un livre, un article de journal pour nous aider à nous lancer dans l'écriture d'une histoire. 

C.R : Pourquoi, ce film serait-il plus personnel que d'autres ? 

Philippe Lioret :   Je l'ai mis dans le film mais je ne peux pas en parler car c'est trop intime. C'est pour ça qu'il y a des choses qui reviennent d'ailleurs dans tous mes films. C'est peut-être de là d'où vient cette petite musique, il faut beaucoup travailler aussi pour rendre personnels les films,  pour qu'on ne voie plus les coutures. Un film, c'est un cadeau qu'on fait au spectateur, il ne faut pas laisser le prix dessus pour que le spectateur ait vraiment l'impression de vivre quelque chose d'intime. 

C.R : L'important dans votre film c'est l'alchimie dans le casting ? 

Philippe Lioret : Ah oui, c'est incroyable, il faut trouver un véritable lien entre tous les rôles et c'est difficile. Je veux croire au lien entre les acteurs et ça c'est du travail mais ma seule honnêteté, c'est de faire en sorte que les gens soient dedans, qu'ils y croient et le travail entre les acteurs ça fait beaucoup. C'est pour ça que je fais beaucoup de projections, je parle beaucoup avec les spectateurs pour savoir s’ils trouvent que le film fonctionne, si le lien entre les différents personnages du film a été créé. 

C.R : Comment avez-vous choisi Pierre ? 

Philippe Lioret : Je l'avais vu dans L'inconnu du lac mais ce n’est pas ça qui avait déclenché le truc. Je cherchais quelqu'un qui avait une part d'enfance, je ne voulais que ça.  Il a une pureté, une innocence et c'est ça qui était important pour moi. J'ai rencontré énormément d'acteurs et je ne trouvais pas ça chez les acteurs alors quand j'ai rencontré Pierre, c'est parti comme ça. Gabriel c'est pareil. J'ai rencontré toutes les comédiennes de trente ans du Québec, et ç’a été pareil. 

C.R : Quand on voit l'aventure que représente chacun de vos films, on a l'impression que c'est un travail énorme. Mais vous avez toujours envie d'y retourner, ça veut dire que c'est vraiment vital pour vous ? 

Philippe Lioret : Oui, après parfois, je mets du temps, ç’a été le cas après Toutes nos envies par exemple. Quand on fait trois ans et demi de boulot sur un film, il faut que les gens se voient... il faut amortir les coûts aussi sinon on ne peut plus en faire. Et c'est vrai que pour celui-là, comme il était sorti en même temps qu 'Intouchables, il a souffert. Donc c'est sûr que pour faire des films il faut avoir envie, il faut vouloir parler de sujets et ne pas avoir peur. En ce moment, je bosse sur un sujet qui me parle vraiment, qui mélange Welcome et Je vais bien ne t'en fais pas, je suis en pleine écriture, là. L'envie, elle vient du sujet. C'est vrai que ça demande de la motivation et de l'amour pour le cinéma, quand on voit que maintenant le box-office est spolié par des films américains...Là, ça fait 2 mois qu'il n'y a que des films américains mis en avant sur les écrans français. Notre cinéma est très fragilisé, il suffit que deux films consécutifs ne fonctionnent pas, ne rapportent pas assez d'argent et notre carrière est finie. 

C.R : Quels sont les financeurs les plus durs à convaincre ? 

Philippe Lioret :  En ce moment c'est tout le monde... tout est difficile à obtenir. 

C.R : Est-ce que vous auriez pu le faire en France, ce film-là ? 

Philippe Lioret :   Oui, mais c'est sûr que le désir de Mathieu d'aller retrouver sa fratrie, si ça s'était passé en France, ç’aurait été moins difficile. Le plaisir pour le spectateur aurait été moindre en tout cas. 

C.R : Dans vos films, il y a toujours une douceur dans vos personnages. 

Philippe Lioret :   Oui il y a toujours de ma part une empathie forte avec mes personnages, ce qui fait que je traite bien chacun d’entre eux, même ceux qui sont mauvais. Je veux amener le spectateur à être partie prenante dans le film. 

C.R : Rien n’est anodin chez vous de toute façon. 

Philippe Lioret : Oui c'est sûr. 

C.R : Vous vous verriez adapter le livre La danse de l'ours ? 

Philippe Lioret : Je trouve le livre formidable mais je pense que ça serait décevant de faire le film, il faut aller ailleurs quand les livres sont aussi bons. Je ne pense pas que je prendrais du plaisir à adapter ce roman aussi bon. Autant je pense que je pourrais plutôt adapter des pièces de théâtre. 

C.R : Vous avez toujours votre papa ? 

Philippe Lioret : Non, je l'ai perdu. Il s'appelait Jean d'ailleurs, si ça vous dit quelque chose. 

C.R : Vous parvenez à lire sans penser à l'adaptation ? 

Philippe Lioret : Oui, par exemple en ce moment je lis le dernier Emmanuel Carrère et comme ce sont des nouvelles, je me délecte de la lecture sans penser à de possibles adaptations. C'est super lorsque ça me fait ça, ça me permet de me ressourcer. 

C.R : Vos amis dans le vie qui sont-ils ? 

Philippe Lioret : Mes amis sont des gens que j'ai rencontrés en 4ème, il y en a un qui est brocanteur et l'autre qui a fabriqué des chaussures presque toute sa vie, ce sont des gens très éloignés de mon milieu et c'est super. J'ai quelques amis de cinéma mais voilà... On vit dans un monde où le cynisme a pris une place tellement forte que j'ai l'impression d'être un dinosaure avec mes films, mais bon, ça me fait plaisir de voir de bons retours des gens, de voir que les gens ne sont pas tous imperméables aux sensations. Moi, mes films, c'est l'éloge de la simplicité, je ne veux pas qu'on voie le travail et parfois ça ne plaît pas aux gens. Je veux toujours trouver la façon la plus simple de filmer. Vous savez, moi j'ai commencé à écrire à 15 ans, j'écrivais des choses qui s'apparentaient plus à du théâtre mais j'ai fais une très belle rencontre, le père d'une amie qui bossait dans le cinéma et c'est ça qui m'a amené dans le milieu. Je suis sur les plateaux de cinéma depuis toujours, je sais presque tout faire sur un plateau et c'est formidable, ça. »

Propos recueillis par Patrick Van Langhenhoven, retranscrits par Sarah Lehu et corrigés par Françoise Poul

    •       Titre : Le Fils de Jean

    •       Réalisation : Philippe Lioret

    •       Scénario : Philippe Lioret et Natalie Carter

    •       Musique : Flemming Nordkrog

    •       Montage : Andréa Sedlackova

    •       Photographie : Philippe Guilbert

    •       Décors :

    •       Costumes :

    •       Producteur : Philippe Lioret et Marielle Duigou

    ◦       Coproducteur : Pierre Even et Marie-Claude Poulin

    •       Production : Fin Août Productions

    ◦       Coproduction : Item 7 et France 3 Cinéma

    •       Distribution : Le Pacte

    •       Pays d'origine :  France

    •       Durée : 98 minutes

    •       Genre : Drame

    •       Dates de sortie :

    ◦        France : 31 août 2016

    ◦        Belgique : 7 septembre 2016

Distribution

    •       Pierre Deladonchamps : Mathieu

    •       Gabriel Arcand : Pierre

    •       Catherine de Léan : Bettina

    •       Marie-Thérèse Fortin : Angie

    •       Pierre-Yves Cardinal : Sam

    •       Patrick Hivon : Ben

    •       Lilou Moreau-Champagne : Anna

    •       Milla Moreau-Champagne : Rose

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