Raymond Maufrais, depuis son enfance, porte un rêve, bercé sans doute par les récits des explorateurs qui étaient à la mode à l’époque. Ailleurs, il reste encore des zones d’ombre sur notre petite planète comme en Guyane, les monts Tumuc-Humac. C’est ici que vit une tribu mystérieuse peuplée de guerriers aux cheveux blonds, peut-être les descendants d’Aguirre ou d’un quelconque conquistador. Devenu journaliste après plusieurs expéditions, il embarque pour concrétiser son rêve, explorer les monts Tumuc-Humac. Il redescend le Rio Jary jusqu'à la ville de Bélem. Il fait une première escale où il rédige des articles pour Sciences et Voyages qui lui avance une partie des frais et finance l’expédition.
Peu à peu, sa bourse fond au soleil et les crédits attendus tardent à venir. Son rêve l’emporte sur la prudence, il quitte la ville de Cayenne pour s’enfoncer dans les terres sauvages et rejoindre Maripasoula. Il croise la route d’un gendarme, ensemble ils poussent jusqu'à la prochaine étape. Il rencontre deux hommes et une femme avec qui il fait un bout de route avant de se lancer dans l’enfer vert, seul avec son chien Bobby. Ils connaissent bien la jungle et la folie qui s’y tapit. Il persévère et décide de parcourir seul la route de l’enfer. Très vite, plusieurs incidents transforment ce voyage difficile en un enfer qui l’amène au bord du fleuve. C’est un homme squelettique, à bout de souffle, aux portes de la mort. Il doit choisir, la voie de la folie, avancer malgré tout ou celle de la sagesse, revenir en arrière.
Pour son premier long métrage, Jérémy Banster ne choisit pas la facilité. Il flirte avec le cinéma de Werner Herzog, proche du documentaire fiction. La caméra suit le personnage avec la bonne idée de l’emprisonner dans le cadre et la forêt alentour. Elle évite de le perdre, petit point dans l’espace immense. C’est une caméra viscérale, comme l’acteur interprétant Raymond Maufrais. Quelques plans de pirogue filant le long du fleuve ou tirée pour passer des obstacles apportent par moments une respiration. Ce n’est qu’à la fin, avec la recherche du père, qu’elle ouvre l’espace et regarde de haut l’enfer vert. De la même manière, le récit commence par la découverte du carnet et entremêle le voyage du fils et la quête du père parti à sa recherche.
Il s’appuie sur Stany Coppet, l’acteur principal, livrant une prestation hallucinante, exceptionnelle dans l’esprit de l’Actor’s studio. Il se métamorphose au fur et à mesure du récit jusqu'au néant. Il rend encore plus palpable ce jeune garçon fringuant habité par un rêve qui finit par se retrouver aux portes de la folie. Il perd son humanité comme les personnages les plus sombres de la tragédie antique ou de Samuel Beckett. Il est obsédé par cet horizon qui s’éloigne au fur et à mesure qu’il s’en approche. Comme un impossible rêve, une quête devenue un fantôme que l’on ne peut rejoindre que dans la mort. Nous pouvons faire un premier rapprochement avec Herzog, Aguirre ou la colère de Dieu. Il ressemble à Aguirre et sa quête de l’Eldorado qui le conduit au gouffre de la démence.
La chance et la malchance jouent avec sa vie comme des mauvais génies. Au fur et à mesure de sa progression, la forêt peut apparaitre apprivoisée, domestiquée, illusion, ironie. Elle finit par l’étouffer et lui dresser un chemin de croix. Dans ce sens, nous rejoignons un autre film d’Herzog Fitzcarraldo, un autre voyage impossible. Peu à peu l’espace passe du fleuve, veine de sang conduisant au cœur de l’océan, au vert des feuillages et à la pluie. Plus que l’orgueil, c’est cette soif d’aventure, de chercheur ne faisant plus de différence entre l’objet de sa quête et la nuit qui l’engloutit. Souvent cela donne un grand pas pour l’humanité, la mort ou la légende. La fin est un vrai chemin de croix. Quels péchés ce jeune homme veut-il porter sur son Golgotha ?
La légende nous dit qu’il disparait dans l’enfer vert. Il vivrait avec les Indiens ? Ils l’auraient tué ? Jérémy Banster choisit de l’abandonner au fleuve où il rejoint sans aucun doute l’océan primordial. Il s’est peut-être fondu dans la nature pour ne plus faire qu’un avec elle. La vie pure de Jérémy Banster est riche de pistes de lecture, d’interprétations que chacun s’approprie. La vie pure est un film à soutenir, à défendre. Il sort sans mauvais jeux de mots des sentiers battus d’un certain cinéma français. Il nous offre la découverte d’un réalisateur qui n’a pas fini de nous surprendre.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : La Vie pure
Réalisation : Jérémy Banster
Scénario : Jérémy Banster et Stany Coppet
Musique : Nathaniel Méchaly
Montage : Fabien Montagner
Photographie : Rudy Harbon et Jean-Christophe Beauvallet
Costumes : Sophie Puig
Décors : Pierre-François Limbosch
Producteur : Olivier Compère
Production : Cantina Studio
Distribution : Panoceanic Films
Pays d'origine : France
Durée : 93 minutes
Genre : Drame biographique
Dates de sortie : 25 novembre 2015
Distribution
Stany Coppet : Raymond Maufrais
Aurélien Recoing : Edgar Maufrais
Elli Medeiros : Marie-Rose Maufrais
Daniel Duval : Tonton
Alex Descas : Léon-Gontran Damas
Jérémy Banster : M. Bernard
Marie-Gaëlle Cals : Mme Bernard
Barbara Cabrita : Jeanne
Peter Mansfield : Clive
Sébastien Lalanne : Paul