De cri et de douleur, de rage et de colère, c’est ainsi qu’à six ans commence la vie de Malony dans le bureau du juge pour enfants. C’est ici que sa mère le jette, comme un paquet trop lourd à porter. Sous le regard d’ange se planque un démon, hurle la jeune mère, un bébé dans les bras. A qui la faute, au système, à la vie tout simplement dans certains milieux. L’émancipation, l’envie d’indépendance, de fuite en avant, conduit souvent à la prison aux sens propre et figuré. La prison, le jeune Malony la connaît bien, entre le bureau du juge, les petits coups foireux, vol de voiture à 16 ans, pour le fun. Une mère absente qui s’accroche, parfois foulée par le désespoir à cet amour pour son môme.
Elle l’oublie quand le mec vient. C’est tout ce qui reste quand tout a foutu le camp, que le dernier homme a délaissé depuis longtemps la couche. C’est perdu d’avance, le combat devient inutile, vous diront les bonnes consciences. Pas pour la juge, elle croit en cette boule de hargne, de colère, ce volcan faisant feu de toute part. Elle croit que sous la cendre se cachent la graine et la bonne terre. Le procureur réclame la prison, elle nomme un éducateur et envoie le gamin en centre fermé. Elle mise sur ce cheval fou. Avec l’éducateur, ils entament la dernière des batailles. Elle prend du temps, celui de la vie. Personne ne reviendra en arrière. Il sera trop tard quand on aura enfin peut-être compris que la colère ne conduit qu’au chaos et la destruction.
Comparer La tête haute à Mommy de Xavier Dolan serait une erreur. On ne parle pas du même milieu, pas du même problème. Nous sommes plus proche Des poings contre les murs de David Mackenzie, la même rage sociale, sur les abandonnés, les exclus du système. Ce sont ces mères trop vite enceintes, lâchées dans la nature, sans famille, sans repères. Gamins des rues, personne ne vous montre la voie à suivre, personne ne vous dit qu’en continuant, à quarante piges au mieux, tu comprendras qu’il est trop tard ou tu en crèveras, paumés du petit matin, désolés du cœur qui ne savent plus aimer. Relégués dans les cités de béton, ghetto des damnés, des miséreux bossant pour deux francs six sous. Pas d’éducation, pas d’avenir, pas de rêve, juste du plaisir à manger la vie par tous les pores de la peau. C’est bien ce que nous raconte le film d’Emmanuelle Bercot, derrière les cris et les peurs. C’est ce désarroi de la vie prise en pleine tête. Forcément, comme la mère de Malony, on finit seul sur le bitume de la cité rongée par le désespoir.
Mais là encore, ce n’est pas ce que le film montre. C’est la toile de fond où coller sur cet avenir de néant, l’espoir d’autre chose. La mise en scène est un peu répétitive, les conneries, les hurlements, le bureau de la juge, les éducateurs, et quand c’est fini, on recommence. Emmanuelle Bercot nous raconte comment dans son bureau, avec ses dossiers et surtout son intuition, son désir de sauver des vies de misère, une juge peut tout changer. Elle peut ouvrir les portes de la délinquance, la prison et sa formation à devenir une mauvaise graine ou proposer une autre voie. Il s’agit bien de terre où planter, de tuteur pour redresser la plante et de champ d’amour au final. C’est bien dans le personnage de Catherine Deneuve, sublime, un regard, un geste, tout est dit sur cette juge convaincue, encore dans la vocation. Le personnage de Benoit Magimel vient de ce milieu, comme bien souvent.
Malony ne lui en raconte pas. Il connaît la source, sait ce que cachent la fureur et les cris. C’est l’après Polisse, quand ces gosses sont arrachés au cercle sans fin. Rod Paradot compose une boule de haine portée par la jouissance. L’amour, il ne connaît pas, le respect de l’autre, non plus. On aime les filles comme des objets, juste une partie de ça va ça vient. En manque, en refus d'amour, la première rencontre : tu sais sucer ? Non, je sais aimer, répond la fille. Tout se résume dans ces deux phrases. La réalisatrice passe des couloirs sombres du Palais de justice, de la prison, à ceux plus clairs de l’espérance de la vie, la maternité. Une fois de plus, dans un happy end idéal, c’est la paternité qui ramène à la prise de conscience d’une responsabilité qui nous dépasse. C’est à cet instant que la juge prend sa retraite, le travail est accompli, une autre prendra la relève sur d’autres douleurs. C’est le long cheminement d’une rédemption, d’une sortie de l’enfer, d’une autre vie possible, du système social, le cœur du film, à travers ses pêcheurs d’âmes désespérées.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : La Tête Haute
Réalisation : Emmanuelle Bercot
Scénario : Emmanuelle Bercot et Marcia Romano
Photographie : Guillaume Schiffman
Montage : Julien Leloup
Son : Pierre André, Séverin Favriau, Stéphane Thiébaut
Décors : Eric Barboza
Costumes : Pascaline Chavanne
Productions : Les Films Du Kiosque
Producteurs : François Kraus, Denis Pineau-Valencienne
Société de distribution : Wild Bunch
Pays d'origine : France
Langue originale : Français
Tournage : Saint marcellins
Distribution
Catherine Deneuve : la juge
Rod Paradot : Malony
Benoît Magimel : Yann
Sara Forestier : Séverine
Diane Rouxel : Tess
Elizabeth Mavez : Claudine
Anne Suarez : La directrice du CEF
Christophe Meynet : Maître Robin
Martin Loizillon: Le procureur
Raoul Fernandez: éducateur