À cinquante et un ans, il n’est pas facile de tout recommencer, arpenter de nouveau les allées du marché du travail, frapper aux portes, de nouveau s’exposer. Thierry en sait quelque chose entre les stages ne menant à rien, les CV sans réponse, les entretiens virtuels. La vie n’attend pas, elle continue, un fils handicapé à charge, une maison à finir de payer, un rêve au bord du gouffre. Vendez, lui dit la banquière, nous aimerions lui répondre que nous ne jouons pas au Monopoly.
Il dit non, ce serait la fin de toute une vie, ce pour quoi on construit chaque jour, chaque concession, sacrifice, pour un bout de rêve. Thierry n’a plus la hargne. Trop fatigué, il quitte le ring et accepte un emploi en dessous de ses compétences. Il commence son nouveau job, agent de sécurité dans un hypermarché avec plein de bonne volonté. De jour en jour, il se confronte à la limite de son métier, la délation n’entre pas dans ses gènes. Jusqu’où sa morale, ses convictions personnelles tiendront-elles le choc, à partir de quelle limite se situe l’inacceptable ? Il existe un jour où il faudra peut-être dire merde au système. Ce jour-là Thierry saura-t-il dire non ?
Claude Lelouch, les frères Dardenne et bien d’autres réalisateurs ont rêvé de ce film où la réalité et la fiction se confondraient pour accoucher d’un nouveau genre. Entouré d’acteurs non professionnels dans leur propre rôle, Vincent Lindon touche à la grâce du métier, le non-jeu. Tout à coup, sur l’écran, c’est notre vie, nos interrogations, nos limites, comme un boomerang qui nous reviennent encore plus pertinentes. Le cheminement de Thierry, la longue quête pour ne pas perdre pied, pour conserver son petit bonheur, c’est notre histoire. C’est un film porte-étendard, notre oriflamme dans cette époque où tout va mal.
Il dit ce que nous acceptons sans broncher, la mine triste, le regard perdu dans un hier où les arcs-en-ciel peignaient l’horizon de vives couleurs. Vincent Lindon, c’est vous, c’est moi, dans notre hargne de la vie, notre peur, nos compromissions, nos refus. Il n’est plus l’acteur jouant un quidam paumant son boulot, il l’incarne. Le jeu s’efface pour que la réalité enfante un homme, une femme que nous côtoyons chaque jour dans le miroir, ou à nos côtés. Le film emprunte le même chemin, les non-professionnels ne jouent pas leur propre rôle. Ils le sont. C’est ce moment rêvé par Claude Lelouch où la présence du réalisateur s’efface, s’annihile, pour ne laisser qu’une caméra invisible. Elle capterait l’essence de la vie. Et ne vous trompez pas, vous êtes dans une fiction, par la mise en œuvre de la narration, du non-jeu, notre vie devient une histoire. D’ailleurs est-ce qu’il en était autrement ?
Ce passage du trou noir de la naissance à celui de la mort ne cherche que le sens à donner à la route du point de départ à la fin. C’est pourquoi, à un moment donné, Thierry n’en peut plus, la frontière du supportable, de la petite compromission pour continuer à avancer, éclate. Par son geste final, il refuse la mise à nu de son âme, au-delà, à quoi bon… le film nous accroche, car il place l’intime, ce que nous sommes au plus profond de notre être, en résonnance avec la société. Jusqu’à maintenant, Stéphane Brizé (Mademoiselle Chambon, l’émouvant Quelques heures de printemps, tous avec Vincent Lindon) captait l’intimité des personnages. Comment, face à l’amour, la mort, la vie, il se confrontait au regard intérieur de celle-ci. Cette fois, il garde la même question en miroir avec la société. C’est sans doute une des raisons qui font que le film nous accroche, nous harponne, baleines perdues dans un océan vide.
Il n’existe plus de miroir entre le spectateur et le film. C'est-à-dire qu’il ne renvoie pas l’image habituelle du spectateur voyeur, regardez, c’est votre vie… C’est le reflet que nous acceptons ou pas, de bonnes ou mauvaise foi. La loi du Marché nous touche et nous captive, car il se situe au-delà. Il n’existe plus de reflet. Le sujet et le spectateur se confondent en une seule et même chose. C’est nous devant la banquière, le type de pôle emploi, nos copains syndicalistes, notre fils et ses rêves, notre femme. C’est nous qui disons non ou oui, notre vie possède un sens et elle montera les marches de Cannes. C’est notre film à nous les damnés de la terre, comme le disait mon père, les oubliés, les petites vies ordinaires, toutes ces gouttes qui font l’océan.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus :
Commentaire audio de Vincent Lindon et Stéphane Brizé
Entretien avec Stéphane Brizé
Bouts d'essai des comédiens amateurs du film
Séquence coupée présentée par Stéphane Brizé
Bandes-annonces
Vincent LINDON, La loi du marché
CR - « Vous êtes producteur aussi sur ce film. »
VL - « Oui, ça s'est présenté comme ça. On a trouvé une idée, Stéphane l'a écrite et tout d'un coup ça s'est fait. On ne l’a pas produit pour gagner de l'argent, mais parce qu'on en avait envie. »
CR - « Vous êtes heureux que le film ait été sélectionné au Festival de Cannes ? »
VL - « Oui je suis ravi qu'un film de ce genre se retrouve en compétition, entouré d'autres très grands films. Cela me touche énormément. »
CR - « Cela montre-t-il l'intérêt qu'on porte au film ? »
VL - « Oui, quelque part cela montre déjà qu'il ne passe pas inaperçu. C’est inouï pour le film. Ce n’est pas d’être Cannes qui me fait plaisir, mais la certitude que le film va être vu par beaucoup de gens là-bas. C'est agréable de se dire qu'il y a les gens de sa profession quivont le voir. »
CinéRégion- « Parlons de la scène où votre personnage se fait dégommer par tout le monde après être passé à l'écran... »
Vincent Lindon - « J'adore cette scène. Il ne dit pas un mot, tout le monde parle de lui et il encaisse, il encaisse... C'était un drôle de truc à tourner, car même si je savais que j'interprétais un rôle, c'était de moi qu'ils parlaient. Ma voix, mon physique, c'est moi C'est une de mes scènes préférées. Je trouve qu’elle dit beaucoup de choses, sur la volonté de cet homme-là d'aller se prêter à cet exercice, sur sa dignité de rentrer chez soi et de ne pas en parler aux gens qu'on aime... On rentre chez soi ce soir, on dîne et notre famille ne sait pas qu'on s'est pris tout ça dans la gueule pendant la journée. Je trouve ça beau ce courage de laisser ses problèmes sous le paillasson. »
CR- « Ce genre de situation, un débriefing collectif comme ça après le tournage d’une scène, arrive-t-il aux acteurs ? »
VL -« Non et heureusement. »
CR - « En revanche, cela peut faire penser au regard que l'on porte sur l'acteur ? »
VL -« Oui mais, c'est surtout le regard que moi je porte sur mon jeu qui m’importe. Si une scène est ratée, je ne fais pas de chichi et je comprends qu'on l'a coupe. Après, tout ce que raconte ce film est vrai et ça arrive à énormément de personnes quotidiennement.
CR - « Qu'est-ce qui était dur pour vous justement ? D'affronter ce genre de situation hyper réelles avec votre statut d'acteur ? »
VL - « Ce n'est pas forcément le statut d'acteur, mais simplement le statut d'homme. Je vois bien que toutes ces scènes reflètent l'état du monde actuel et c'est une autre manière pour Stéphane Brizé et moi de faire de la politique. C'est dire "voilà, un petit cas d'une grande frange de la société !". Quand on interprète un rôle et qu'on s'y donne vraiment à fond, on rentre dans un cas psychanalytique, car c'est bien moi qui aie vécu toutes ces scènes. Si on croit au personnage, c'est qu'on se mélange. le personnage de Thierry et moi partageons des choses. »
CR - « De tout ce qu’il vous renvoie, qu'est-ce qu'il vous reste ? »
VL - « Il y a plusieurs domaines d'abord. Ce qu'il m'en reste cinématographiquement c'est que je suis très fier d'être dans ce film que j'adore. J'aime énormément ce film ! Ce qu’il m'en reste humainement, c'est une des plus belles expériences de ma vie. On a passé de super moments avec Stéphane. La vie, c’est des moments partagés avec les gens qu'on aime. Il faut des projets, s’il y a plus de projet, le social part. Stéphane et moi avions envie de passer un moment ensemble, que la conversation reparte. J'ai fait un troisième film avec Stéphane, c'était génial a tout point de vue. On a vu tous ces gens, on les a côtoyés... Cela m'a permis aussi de voir de plus près ce qui se passe. Avant je le lisais dans les journaux, je le savais, mais pour le film j'ai vu ces gens, je leur aie parlé. J'ai vu des vieilles personnes qui venaient exprès acheter chaque jour une petite chose… pour voir des gens... c'est ça la solitude des personnes âgées aussi. C'est terrible. »
CR - « Vous n'êtes jamais allé aussi loin dans l'abandon. »
VL - « Oui, mais je ne m'en suis pas rendu compte, ce n’était pas conscient. Ce sont les gens après qui le voient comme ça... »
CR - « Oui parce que finalement le rôle que vous incarnez, c'est un vigile, quelqu'un qui observe et vous, vous êtes un acteur qui est regardé. Il y a comme une inversion du regard. »
VL - « J'ai passé des très longs moments dans cet hypermarché, car Stéphane filmait beaucoup. Dans cet hypermarché il y avait 30 ou 40 caisses, c'est énorme ! Parfois j'étais noyé dans le flot... j'ai été filmé en train de vraiment regarder les choses, j'étais happé par ce flot continu. J'ai vu des gens hésiter entre deux produits, j'en ai vu d'autres poser 8 fois un produit et le reprendre... »
CR - « Le fait de travailler avec des non-professionnels ça bouleverse-t-il le jeu ? »
VL - « Je ne me suis pas posé une seule fois la question tellement, je pensais que je n'étais pas professionnel moi non plus. Je n'avais pas de scénario, j'étais moi aussi livré à moi-même. J'ai fait ce film comme un énorme plaisir, j'ai tout désacralisé. Si je commençais à penser à ce qu'on était en train de faire comme film, ça n'aurait pas marché. Je suis content d'avoir participé à cette prise de position politique souterraine. »
CR - « Ce qui est fort aussi c'est que pour la première fois c'est un film qui parle aux gens d’eux-mêmes ( ?), ils ne restent pas extérieurs. »
VL - « Oui, il y a non seulement ceux sauront très bien de quoi on parle. Il reste les 2% de ceux qui ont un cœur. Ils se diront, j'espère, se dire « ah la vache !». Une des raisons pour lesquelles j'ai fait ce film, c'est pour ces 2% qui ont le temps d'aller au cinéma, de se distraire. »
CR - « Stéphane Brizé ne vous a pas donné de scénario ? »
VL - « Si. Il me l'a donné puis il me l'a repris (rires). Mais finalement, je ne l'ai pas lu à outrance. Un mois avant le tournage il me l'a repris et s'est arrangé pour qu'il n'y en ait pas qui traine sur le plateau. Il me racontait une petite histoire qui était en fait les scènes à tourner le lendemain. Par exemple le moment où je dis "stop" pendant la scène de la vente de bungalow, ça n’était pas écrit dans le scénario. Ce qu'il faut savoir c'est qu'autant le personnage que l'acteur m'ont soûlé sur cette scène (rires). Tout s'est mélangé en fait, moi, Thierry... et de façon magique, ça a plu à Stéphane. »
CR - « Est-ce que vous avez aimé apprendre le rock ? »
VL - « Ah oui j'ai adoré ! Je sais le danser, mais je m'embrouille (rires). La scène de danse à la maison avec le fils aussi est terriblement belle. D'ailleurs, de jouer avec le garçon qui interprète mon fils a été bouleversant. »
CR - « N’était-ce pas déjà un peu le même genre de geste que vous aviez fait avec Alain Cavalier sur Pater ? »
VL - « Si sûrement, sauf qu’ici c'est un vrai film de fiction, c'est du Thierry. Là il y a une vraie histoire. »
CR - « Quand on regarde votre filmographie, on voit que vous faites de vrais choix. »
VL - « Donc je fais des choix tout court (rires). Je ne vais pas me faire des compliments, mais c'est vrai que cela me fait plaisir quand on le remarque. Après c'est quasiment organique, je n'arrive pas à vivre ma vie de cinéma si je ne me couche pas le soir en me disant "moi, ça me plaît". C'est ça le bonheur pour moi. Vous ne pourrez pas me décrocher d'un projet que j'ai envie de faire. »
CR - « Qu’est-ce qui vous plaît ? L'humanisme du sujet ? »
VL - « Non, pas forcément. C'est de lire une histoire. Quand j'accepte quelque chose dans la vie, j'ai toujours besoin de m'imaginer en parler à quelqu'un sans avoir besoin de me justifier sur mes choix. Il faut que je puisse me dire que ça me plaît. J'essaye de ne pas avoir d'a priori et ça, c'est très très dur, mais c'est ce que ma mère a essayé de me transmettre. »
CR - « Avez-vous eu de belles révélations cinématographiques ces derniers temps. »
VL - « Oui je regarde toujours beaucoup de films. Des films de Capra, de Wellman, j'ai vu récemment Wild boys on the road. Je vais voir aussi des films récents, j'adore voir des gens à l'écran. »
CR - « Ça nourrit aussi le travail d'acteur, non ? »
VL - « Je ne sais pas mais cela nourrit mon travail personnel, et mon travail de père. Je pense qu'on peut apprendre beaucoup de choses aux gens avec les grands films, les grands livres et les grandes peintures. Si j'étais ministre de la Culture, je ferais voir les films de Capra, de Carné, de Renoir... aux élèves. C'est important d’apprendre, de donner le goût aux enfants. En fait, c'est un métier que j'adorerais faire, m'occuper des jeunes, de les ouvrir à la culture, à ce qui peut les toucher. »
CR - « Avez-vous d'autres projets ? »
« Je vais faire le prochain film de Rachid Radjani, qui avait fait la rengaine. Après j'ai d'autres projets, mais je n’ai pas encore lu les scénarii. »
Interview Patrick Van Langhenhoven retranscrit par Sarah Lehu et corrigé Frédérique Dogué
Stéphane Brizé
Ciné Région : Parlez-nous tout d’abord de cette sélection cannoise.
Stéphane Brizé : C’est extraordinaire, trouver les mots pour qualifier ça, c’est difficile. On se présente, on se met sur la ligne de départ, on a envie d’être qualifié mais on n’est pas seul sur la ligne de départ donc quand c’est votre tour, c’est formidable. J’ai plein de nouveaux amis, c’est incroyable. Et puis de partager ça avec Vincent Lindon, ça m’émeut beaucoup. Ca n’aurait pas pu être notre premier film ensemble, certainement pas le deuxième, il fallait qu’on se connaisse bien, de faire deux films ensemble et aussi passer beaucoup de temps à se voir, à discuter de plein de choses. Il y avait l’espace pour ça parce que je pense que notre cheminement, lui en tant qu’acteur et moi en réalisateur, n’est pas si éloigné que ça, notamment par rapport un lâcher prise. Je pense qu’on ne faisait pas trop mal notre job avant mais là on va mettre nos pas dans quelque chose dont on ne maitrise pas tout.
C.R : De films en films, vous gommez les dialogues, je suppose que Vincent Lindon doit être enchanté.
S.B : C’est étrange parce que tous mes scénarii font environ 90 ou 95 pages à l’origine et quand le film est monté et que je vais à la transcription, ils font toujours 50 pages. Evidemment ça enlève des dialogues mais sans enlever de l’histoire. Il n’en avait guère plus au départ comme il n’en avait guère plus dans les autres films. Après, les acteurs n’avaient pas de scénario en main, je donnais à chacun une feuille sur laquelle ils avaient quelques infos qu’ils devaient savoir. Par exemple, quand Vincent est à Pôle emploi, il sait depuis combien de temps il est au chômage, ce qu’il faisait avant, combien il gagne, les stages qu’il a fait, le nombre de mois que ça a pris, etc. et le mec en face de lui, dans la première séquence, c’est pareil, c’est comme quand il reçoit un demandeur d’emploi, il a les mêmes infos. Après, ils savent l’enjeu de la situation, ils savent ce qu’ils viennent demander et puis ensuite, il y a leurs mots à eux qui viennent remplir tout ça. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que la première personne qui a vu les images du film (le vendeur du film) avait lu le scénario écrit, il a vu quelques séquences, et il me dit : « c’est incroyable parce que je sais comment tu as fait et on retrouve le scénario ».
C.R : Le fait que les acteurs soient ce qu’ils sont dans la vie, ça jouait également ?
S.B : Alors je ne travaille qu’avec des acteurs professionnels et je les prend d’abord pour ce qu’ils sont. J’ai pris Vincent pour ce qu’il est, même si il y a des couleurs différentes. Il est plus loquace dans la vie que dans mes films, mais j’ai le sentiment qu’il est plus proche de sa vérité intérieure quand il joue. Je prends les gens pour ce qu’ils sont par rapport à ce qui les structure. Dans le film, il y avait des fonctions, alors on s’est dirigé vers des gens qui avaient ces fonctions dans la vie. Je pense que tout ce que font ces gens, aucun comédien professionnel n’est capable de le faire, mais très honnêtement, je pense que eux ne sont pas forcément capables de faire ce qu’un comédien professionnel peut faire.
C.R : C’est issu de l’expérience que vous avez eu avec Entre adultes ?
S.B : Non parce que Entre adultes était fait qu’avec des acteurs professionnels, alors c’est marrant qu’on le relie à ça mais moi je comprends exactement pourquoi. Il y a des liens dans mes autres films sauf que le social est très présent. L’impact de l’environnement social sur l’individu n’a jamais existé dans mes films et je ressentais une forme de lâcheté de ma part de ne pas me pencher sur le monde qui m’entoure. Mais je pense que j’avais dépassé quelque chose de l’ordre de l’intime, qui permettait de me confronter au monde extérieur.
C.R : En plus de son calvaire social, la barque de Thierry est lourde parce qu’il a aussi un fils handicapé.
S.B : J’ai eu l’idée de ce gamin handicapé, non pas pour charger la mule émotionnellement parce que je n’en fais rien émotionnellement, mais pour qu’on se dise tout de suite, en une image : voilà un couple solide, évidemment ils ont traversé des moments pas faciles mais ils vivent encore, dansent encore, font encore l’amour… Ils ont cinquante ans, c’est des gens normaux et je trouve qu’ils sont beaux. Après, je n’ai jamais pensé que ça pourrait être un handicap pour le scénario d’avoir un handicapé.
C.R : A propos du jeu de Vincent, son jeu est approfondi, il est allé plus loin dans le lâché prise. En quoi vous avez senti que son jeu était plus profond ?
S.B : J’ai eu l’intuition que ce dispositif là, dont je rêvais depuis longtemps, allait impacter le jeu de Vincent. Par rapport au fait qu’on maitrise moins que lorsqu’on a un scénario. Même si je donne les scènes écrites une heure avant de tourner, à Vincent comme aux autres, on utilise son invention, il faut inventer avec des informations précises. Ca modifie l’écoute et ça modifie l’acte de jouer, surtout en face de gens qui n’ont aucuns codes de jeu. Mais le fait de parier sur des acteurs non-professionnels n’a rien d’une nouvelle lubie. Dans mon prochain film Une Vie, l’adaptation de Guy de Maupassant, je veux créer une différence dans le rapport social, donc les acteurs pros et les non-pros s’apparentent aux rapports entre les nobles et les serviteurs. Et puis je cherche aussi à irriguer aussi le film d’une forme de vérité, à déstabiliser les acteurs professionnels.
C.R : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans l’histoire d’Une Vie ?
S.B : Ce qui m’intéresse, c’est que si on reste accroché à la capacité de voir le beau du monde, qui est proche de la vision d’enfant, on a une vie ratée. Je trouve que les plus belles choses du monde sont ce qui nous entraine dans des chemins violents. On ne fait pas attention au danger, on ne sait pas que le monde est ambivalent. Ce regard sur le monde, j’ai du mal à le lâcher et je me retrouve complètement dans le texte de Maupassant.
C.R : Qu’est-ce qu’a apporté Olivier Gorce au projet de La Loi du Marché ?
S.B : Je connais Olivier depuis très longtemps et c’est quelqu’un qui a écrit beaucoup sur les questions sociales. J’aime bien sa pensée politique. Pour la première fois on a pu travailler ensemble, on a structuré ensemble et ensuite je me suis emparé de l’histoire. Dès fois les scénaristes ont un côté un peu théorique, mais il mettait un écho à des choses très pragmatiques. J’ai toujours besoin d’un « sparring-partner », il faut que je travaille avec quelqu’un. Une fois l’histoire structurée, je peux rentrer en connexion avec les personnages et commencer à les faire parler.
Entretien réalisé par Patrick Van Langhenhoven et retranscrit par Eve Brousse.
Titre français : La Loi du marché
Réalisation : Stéphane Brizé
Scénario : Stéphane Brizé et Olivier Gorce
Pays d'origine : France
Genre : Film dramatique
Distribution
Vincent Lindon : Thierry
Yves Ory : Le conseiller Pôle Emploi
Karine De Mirbeck : La femme de Thierry
Matthieu Schaller : Le fils de Thierry
Xavier Mathieu : Le collègue syndicaliste
Noël Mairot : Le professeur de danse
Catherine Saint- Bonnet : La banquière
Roland Thomin : l’acheteur mobil-home