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affiche La Douleur

La Douleur

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Un film de Emmanuel Finkiel ,
Avec Mélanie Thierry, Benoît Magimel, Benjamin Biolay,

Genre : Drame psychologique
Durée : 2h06
France

En Bref

« Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là. — C’est moi.” »

1944, la France est encore sous la botte de l’occupant nazi, au loin ne résonne pas encore le chant du canon de la Libération. Robert Antelme est arrêté et conduit dans la prison de Fresnes en attendant son transfert pour les camps. C’est le poids de l’absence, en quêtant le retour, que raconte cette histoire.

Une femme attend le bon vouloir de l’occupant pour un colis, de rien, de tout ! Il contient l’espoir, la réponse au silence qui n’en finit pas de se répandre dans son âme. Marguerite accepte les rendez-vous secrets avec Rabier, un milicien aux obscures raisons. La tempête éclate, l’arc-en-ciel de la Libération se rapproche avec son ombre de douleur et de peur, de courage et de lâcheté.

“Qui est là. — C’est moi.”

Marguerite tremble sous le poids de l’absence, du silence. Ne pas savoir, sans nouvelles, son âme titube, s’accroche aux souvenirs. C’est la cohorte des convois, des retours, des espoirs. Ce sont les petites photos accrochées aux murs du Lutécia où se presse l’espérance. Ce sont les regards qui s’illuminent et s’éteignent, petites lueurs vacillantes dans la tempête. Marguerite attend, espère, désespère, ne sait plus, ne sait pas. Elle perd le fil du temps pour trouver la route du désespoir.

“Qui est là. — C’est moi.”

La ville disparaît, la foule disparaît, son corps disparaît. C’est une autre qui habite la maison et erre sans but. Elle imagine le corps de Robert dans un fossé perdu, il murmure son nom avant de s’envoler vers l’oubli. Elle imagine le retour

“Qui est là. — C’est moi.”

Il reviendra, ou pas, quand l’absence et la douleur se perdront dans les champs Elysées du néant.


« À qui êtes-vous le plus attachée ? À Robert Antelme ou à votre douleur ? »

Parfois, des films vous marquent au fer rouge. Celui-ci imprègne dans votre esprit une présence profonde. Il scande les notes d’une musique qui vous remue l’âme. Il consolide vos convictions profondes, ces murs de briques qui ont fait de vous un homme.  C’est l’inventaire de vos pensées sur le monde. Vous les emporterez dans le prochain voyage, quand la nuit se fera éternelle et sans répit. Ce sont ces riens, ces « tout », guidant chacun de vos pas, ces forteresses infranchissables que vous transmettez à ceux que vous aimez. Vous les défendrez contre vents et marées. Ils murmurent que la vie est et plus forte que tout.

C’est d’abord le texte de Marguerite Duras sur l’absence, l’attente, comme le poids des femmes de marins, des soldats face à la falaise où se brise l’inconnu. C’est le chant de l’amour sans concession qui finit par se perdre et mourir dans l’aube du retour. Il y a d’abord l’absence, le temps s’effrite dans l’attente. Peu à peu, il trouble l’âme de la narratrice. Elle accroche le présent pour l’être aimé, dans les pages où les mots tiennent la mort éloignée. Dans un premier temps, c’est la traque de la vérité. Elle accepte les avances de Barnier, un Français qui a choisi le camp de l’ennemi. Jusqu’où est-elle prête à la compromission, à la trahison pour obtenir des nouvelles ?

Benoît Magimel compose un milicien trouble aux apparences douces, cachant un monstre. « Moi aussi je suis un homme de bien », raconte le diable. « J’ai épargné des familles juives à cause d’un dessin d’enfant sur la table ». C’est toute la perversion, la monstruosité de cette guerre, de ce que l’on dévoilera sur le linceul de la Libération. La figure de Mme Katz, magnifique, émouvante Shulamit Adar, rencontrée dans sa quête du retour de Robert Antelme. Marguerite l’héberge, le temps que sa fille revienne. Face à la vérité de sa mort, Mme Katz préfère le mensonge. Elle se fabrique une histoire, l’espérance d’un retour improbable qui la tiendra debout, mais vivante, à sa fenêtre.

Dans la seconde partie, la ville danse et chante sous le vent de la Libération, repoussant la tempête ailleurs. Marguerite hante les rues fantômes, solitaires, perdues, qui effacent la foule, pour se retrancher dans la douleur de l’absence. Comme Mme Katz, elle la tient debout dans le frémissement de l’espérance, d’un mot, d’une photo, criant « il est vivant ! ». Le réalisateur choisit une mise en scène osée, épousant le texte de Duras qu’il s’approprie. Il rajoute La nouvelle Monsieur X  tirée du même recueil, La douleur éditée chez POL. Emmanuel Finkiel prend le parti de saisir le cœur des choses, le flou, pour isoler le personnage dans la foule qui l’emporte, comme la chanson de Piaf. Il utilise souvent le gros plan, voire l’insert dans l’image: un œil, un visage, comme un écho à l’ensemble qui se joue. L’écriture de Duras est remplie de cet écho, comme le film, de silences qui en disent plus long. Elle écrira le recueil bien après les évènements, à la demande d’un éditeur.

Elle retrouve ses carnets, elle notait chaque jour ce qui se passait. Ils nous interrogent sur la force de l’écrivain à transcender sa souffrance, la transporter ailleurs, dans un monde au croisement de la réalité et de ce qui appartient à son imaginaire. La douleur est la voix d’une femme qui aime trop fort, comme la majorité des personnages féminins de Duras. Ils aiment d’un amour qui ne leur est pas rendu. Mélanie Thierry, à la fois écrivaine et une autre, sans maquillage ni postiche, recompose la dureté de la douleur dans ses regards blessants, blessures.

Fantômes imaginaires, personnages réels, les pistes se troublent, se croisent, entre la réalité des évènements et ceux qu’ils éveillent dans leur perception par Duras. C’est à travers la figure de Morland, chef du réseau, surnom de François Mitterrand, et de Rabier, milicien, flic de la Gestapo, mélange sans doute de plusieurs figures qu’Emmanuel Finkiel nous interroge sur l’ombre et la lumière, le bien et le mal qui combattent en nous. Il interroge ce moment de la Libération avec la peur qui change de camp, et les années sombres de l’après-guerre. Nous devrons bien, un jour, plonger dans les ténèbres pour en comprendre le sens profond, raviver la mémoire pour qu’elle s’émancipe du doute.

« Je savais qu’il savait, qu’il savait qu’à chaque heure de chaque jour, je le pensais : “Il n’est pas mort au camp de concentration.” »

Patrick Van Langhenhoven

Note du support : n/a
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Edition :


    Réalisation : Emmanuel Finkiel

    Photographie : Alexis Kavyrchine

    Ingénieur du son : Antoine-Basile Mercier

    Décors : Pascal le Guellec

    Montage : Sylvie Lager

    Création des costumes : Anaïs Romand, Sergio Bell

    Sociétés de production : Les films du Poisson, Versus Productions, Need Productions, France 3 Cinéma

    Pays d'origine : France, Belgique

    Genre : Drame

    Date de sortie : 24 janvier 2018

Distribution

     Mélanie Thierry : Marguerite Duras

    Benoît Magimel : Pierre Rabier

    Emmanuel Bourdieu : Robert Antelme

    Benjamin Biolay : Dionys Mascolo

    Grégoire Leprince-Ringuet : Morland (François Mitterrand pendant la Seconde Guerre mondiale)