L'Outsider

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Un film de Christophe Barratier ,
Avec Arthur Dupont, François-Xavier Demaison, Sabrina Ouazani,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h57
France

En Bref

Rien ne prédestinait le jeune Jérôme Kerviel à devenir la « meilleure gagneuse » de la Société Générale. Le jeune homme qui débarque ce beau matin au siège, son diplôme de DESS finance en poche ne s’en doutait pas non plus. Il commence au bas de l’échelle, au middle office, un genre de secrétariat chargé de comptabiliser les ordres passés par les prestigieux traders. Peu à peu, il prend ses marques, ses aises et monte les échelons pour atteindre la salle mythique où se joue le ballet de la finance.

Le petit Breton du fin fond du Finistère issu d’une famille de travailleurs gagne sa place à la sueur de son front et grâce à ses compétences. C’est un univers impitoyable où les chiffres dansent sur les écrans ! Les mains s’agitent sur les téléphones ! Les voix portent haut le score du jour. L’ambiance est chaude, le jeu de la compétition tourne, tourne dans une musique pour les vainqueurs où les perdants n’ont rien à attendre. Ils sont jetés aux oubliettes de l’histoire, presque marqués du signe de l’opprobre. Dans ce monde où le faible ne possède pas sa place, Kerviel apprend vite et bien. Il se lance dans la ronde qui mène au sommet de la montagne, surfant sur le goût du risque, franchissant la limite.

La main de Dieu, tout là-haut, laisse faire, se voile la face, ignore la pierre qui roule et amasse les dollars. Kerviel s’envole, dépasse la marge, franchit la porte menant au sommet de la montagne où les hourras saluent le héros. Il devient le symbole de la devise de dieu. « Tu gagnes, je gagne. Qui peut le plus peut encore plus. » La vie lui sourit, la jeune fille de l’informatique, après une cour assidue, gagne son cœur. Jérôme vole, le bonheur s’accroche à sa belle gueule. Tout lui sourit, l’impossible semble un mot obsolète pour lui. Pourtant, un autre dieu veille. Face à l’arrogance, il pipe les dés de la chance qui change de camp. L’ascension fut fulgurante et la chute lui ressemble, dans un jeu de miroirs où la « cash machine », comme le surnomment ses collègues, s’enraye, se grippe et explose !

C’est un soir, au cours d’un repas, que Christophe Barratier découvre, derrière la figure d’Épinal, un homme, une vie. Qu’est-ce qui prédestine leur rencontre, le choix de raconter l’emballement de la machine ? Les Choristes, Faubourg 36, La nouvelle guerre des boutons rien ne semble les relier à L’Outsider. Si ce n’est, pour les trois personnages principaux, l’envie de se dépasser et de devenir meilleurs. Le parcours se fera souvent malgré eux, poussés par la chance ou l’ironie du hasard. C’est bien ces figures que le destin convoque pour les porter un temps dans la lumière et les laisser reprendre le chemin de la vie en ayant trouvé leur voie. C’est bien celle de Jérôme Kerviel qui s’égare dans les salles des traders, devient le diable et finit par trouver sa route. Arthur Dupont trouve un personnage à sa mesure qu’il emporte sur les sommets de son art.

C’est comment un jeune garçon sous l’effet du système grimpe les échelons de la compétition féroce pour jouer un jeu de fauve. Il ignore peut-être que la mort est la seule issue, même si elle est symbolique. Très vite, il saisit les rouages du système, en maitrise la complexité et le pousse dans ses retranchements au-delà de la ligne de démarcation. La mise en scène inspirée montre comment, tout à coup, tout échappe à la fois à Jérôme, porté par le jeu qui s’emballe et l’argent qui coule à flots. N’oublions pas, comme le précise le dossier de presse, qu’il fait gagner à sa banque un milliard et demi, chiffres à l’appui. Ironie du sort, c’est sur les pertes et la perversion du système qu’il sera jugé et condamné par ses pairs. Pour le reste, le procès est encore en cours. C’est bien l’argent qui mène la danse, oublie l’homme dans sa sarabande folle et le broie sur l’autel du « toujours plus ».

Jérôme découvre très vite comment gagner plus, devenir une bonne cash machine et réaliser l’impossible. Le petit Breton, à l’inverse d’autres traders du cinéma, ne claque pas son fric dans les filles et les belles bagnoles. Il souhaite juste le sourire d’une belle, une vie où le bonheur n’est pas celui de l’argent. C’est sans doute ce qui plait à Christophe Barratier et son producteur, Jacques Perrin. C’est pourquoi il s’arrête aussi au procès. Ces deux hommes sont avant tout intéressés par l’humain et comment dans cette société où l’argent demande de plus en plus de sacrifices, il se retrouve anéanti. Il existe de fortes chances pour que les cadors du haut se doutent que le petit gars engrangeait un max de bénefs pour la maison.

Tant que le jeu fonctionne, qu’il ne dérape pas, on ferme les yeux. Aujourd’hui, l’essentiel de la société disparait. Nous sommes vaincus non pas par les robots, mais le fric. Il mène la danse, nous faisant croire que ce qui fait un homme c’est son compte en banque. On fait de l’argent pour de l’argent, nous avons oublié qu’il doit permettre à l’homme de s’élever et non l’inverse. La machine, avec la crise, devait gagner une morale, elle nous enfume derrière ses victimes désignées, jetées à la hargne de la foule. Pendant ce temps, le jeu continue. Comme Kerviel, elle explosera un jour. Après la douleur et le chaos, le monde retrouvera peut-être ses esprits. Peut-être, comme le disait Malraux, le troisième millénaire sera spirituel ou ne sera pas.

Patrick Van Langhenhoven