C’est l’histoire d’un couple, Marie et Boris, sur la dernière marche de la séparation. La petite maison dans la prairie, l’espace du bonheur, est devenue un enjeu d’une bataille qui en oublie l’essentiel du couple. Il ne reste que la maison, sa valeur, l’argent, son partage, les travaux, les courses et les jours de garde, pour solde de tout compte d’un couple. C’est l’heure de fermer la porte sur les années passées, de faire sa valise, claquer la porte et partir. C’est la vie à deux qui fout le camp, les années heureuses prennent du plomb dans l’aile.
On soupire quand on riait aux éclats. On meurt quand on vivait. On ne s’offre plus des fleurs mais des mots de douleur. La haine remplace le temps des sourires et des désirs. Qui est coupable, responsable du temps qui effrite la maison des beaux jours ? La tempête de la vie éclate et emporte tout sur son passage. Quand les sentiments foutent le camp, s’en vont faire un tour de l’autre côté d’une vie où il n’y a plus rien à faire. Alors on compte, on étale la longue liste des chiffres. C’est ce qui arrive à ce couple. L’économie lui enlève sa dernière grâce, sa dernière trace d’humanité.
Après le brillant Les chevaliers blancs, Joachim Delafosse revient au couple et à la famille. Pour ce huitième film, il joue la partition du huis clos où chacun des protagonistes possède sa vérité. Ce n’est peut-être qu’un mensonge pour nous… Comme à son habitude, il se place au-dessus du couple, en observateur, ne jugeant pas. Il réduit le couple à une facture, oubliant la fracture de l’âme. Les dialogues sont percutants, sans une once de trop, comme cette petite fille parlant de la richesse. C’est quoi être riche ? Un compte bien fourni ou ce que nous avons glané pour enrichir la vie à deux ? Une séparation ne peut pas se réduire à l’aspect financier. Quand là aussi, l’humain n’existe plus, il est peut-être temps de s’inquiéter de l’avenir de la société. « Je l’ai aimé. Je l’ai vraiment aimé » dira Marie, comme pour s’en convaincre.
Elle s’interroge « Comment j’ai pu en arriver là ? » Comment plomber une réunion de soirée, tout détruire. Boris sait bien le faire. Il nous interpelle sur la façon de gérer la séparation d’un couple. On ne trace pas une ligne blanche pour séparer l’espace et s’entredéchirer à la frontière. C’est plus pervers, le cœur ne bat plus. Les souvenirs s’étiolent et meurent comme les fleurs du vase. Tout est froid, mort. Au mur, dans le décor, est accroché un Mandala tibétain. C’est peut-être ce panthéon de divinité nous rappelant l’essentiel, que la vie à deux ne se compte pas. Elle se mesure à l’aune des désirs. Un couple n’est pas une facture au marché de la vie. On s’exaspère, on vitupère, on s’insulte, on se déchire et une chanson sur le bord du vide rappelle qu’il existe des horizons bien plus forts que la peine d’une vie jetée à l’oubli.
Alors, entre les comptes d’apothicaire et le bonheur à préserver, il faudra choisir. Tous ces hier n’auront pas servi à préserver ces demain. « Autrefois on savait réparer, aujourd’hui on jette » dira la mère. C’est aussi une lutte de classe, la bourgeoisie contre le monde ouvrier, et des enfants secoués, ballotés, jetés dans la tempête jusqu’au drame, aux larmes. Bérénice Bejo et Cédric Kahn, lui aussi réalisateur, sont magnifiques avec les deux petites filles en fond. Les dialogues évitent le pathos, l’hystérie, jouant un concerto épuré, minimaliste. La caméra ne cherche pas à capter la réalité comme chez d’autres. Elle prend la fiction en otage pour toucher la réalité. Tout ça pour des bons comptes et ne pas chercher à réparer quand il existe peut-être une lueur d’espoir. À la fin, leur vie se résume à des articles du Code pénal. C’est ça toute une vie ? Est-ce que dans ce dernier bastion de l’humanité l’argent aurait aussi pris le pouvoir, effaçant l’humain ?
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Entretien avec Joachim Lafosse (15')
Titre français : L'Économie du couple
Réalisation : Joachim Lafosse
Scénario : Joachim Lafosse, Fanny Burdino, Mazarine Pingeot et Thomas van Zuylen
Directeur de la Photographie : Jean-François Hensgens
Monteur : Yann Dedet
Musique : Prélude en si mineur, extrait du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach ; Maître Gims
Décors : Olivier Radot
Costumes : Pascaline Chavanne
Production : Jacques-Henri Brockart et Olivier Brockart
Pays d'origine : France - Belgique
Durée : 1h40
Genre : drame
Date de sortie : 10 août 2016
Distribution
Bérénice Bejo : Marie
Cédric Kahn : Boris
Jade Soentjens et Margaux Soentjens : Jade et Margaux, les enfants de Marie et Boris
Marthe Keller : Christine, la maman de Marie
Pascal Rogard : Un ami du père de Marie
Catherine Salée, Ariane Rousseau, Philippe Jeusette et Francesco Italiano : Les amis du couple lors d'un dîner
Annick Johnson : L'agent immobilier
Tibo Vandenborre : L’infirmier de l'hôpital