Sandrine rêvait sans doute d’autre chose que de retourner vivre chez sa mère à Roubaix. À trente ans en bout de course, elle n’a pas d’autre choix que le retour au pays de son enfance. C’est une jeune fille à terre, qui n’espère plus rien, qui arrive. Pas question de laisser voir la douleur, elle fait semblant, tout roule. Le destin lui échappe, elle accepte de bosser pour son oncle un grossiste en chiens pour animalerie. Le boulot est bien payé, au début elle se confronte à la réalité d’un métier qui n’est pas si facile. Loin des petits chiots mignons dans la vitrine, il faut laver, brosser, nourrir les animaux dans leurs cages. Il n’est pas question de s’apitoyer, de laisser les sentiments prendre le dessus, c’est du business.
Elle ignore encore qu’elle met les pieds dans un monde qui lui réserve des surprises. Derrière la façade raisonnable se cache tout un trafic qu’elle finit par accepter. Ils sont achetés à bas prix, d’origine incontrôlée, venus de l’est ou d’ailleurs. Trop vieux, ils finiront dans les bras de la faucheuse, jetés dans les détritus de la fosse immonde du monde. Elle ressemble pourtant tellement à ces chiens perdus au cœur d’une société où le sentiment s’est fait la malle. Il existe une limite, un territoire que Sandrine n’est pas près de franchir. Jusqu’où son âme pourra-t-elle tenir le coup, c’est la question qui un jour reviendra comme un mauvais tour du destin.
Laurent Larivière s’inscrit, avec son premier film, dans la lignée de La loi du marché de Stéphane Brizé, Deux jours, une nuit des frères Dardenne, un cinéma social dénonciateur du mal-être. L’héroïne, magnifiquement interprétée par Louise Bourgoin, touche le fond pour remonter dans une quête à la recherche d’elle-même. Comme pour le personnage de La loi du marché, elle se retrouve, devant un choix difficile, celui de savoir jusqu’où elle est capable d’aller. Il existe un instant où l’on doit refuser les compromis en inadéquation avec la morale. Les chiens sont une métaphore. Comme eux, elle tourne en rond dans sa cage. La fin, dans ce sens, est assez parlante. Comme le fauve, elle aboutit au désarroi proche de la folie. De la même façon, la caméra passe par-dessus les chenils pour peu à peu l’enfermer entre les barreaux des cages.
Elle pensait trouver un havre de paix pour rebondir, repartir avec plus de force au pays de l’enfance. Elle découvre une famille confrontée aux difficultés de l’existence, à une vie qui leur échappe. Sa mère, vendeuse en grande surface, subit la pression du système. Sa sœur et son beau-frère, sous des apparences d’un bonheur parfait, une maison en construction et des enfants, se fissurent sous le poids de leur rêve. À la fin, le beau-frère craque sous le poids, les sacrifices plus grands que le rêve. Seul l’oncle semble échapper au mal de vivre, mais à quel prix ? Il trempe dans des combines inavouables, trafics de chiens en particulier.
Peu à peu, elle accepte pour survivre, les faux carnets de santé, les chiens venus souvent des pays de l’Est, mal nourris, sans vaccin, condamnés. Elle ne perd pas son humanité et en sauvera certains de la mort tout en assurant ses finances. Jusqu’où obéir, avancer comme un zombie sans poser de questions d’où le titre, Je suis un soldat. C’est bien pratique pour fermer les yeux sur l’inacceptable. Jusqu’au moment où les limites sont atteintes, où elle se réveille, mais n’est-il pas déjà trop tard ? Elle se relève, trouve un second souffle, mais à quel prix ? La force du film, c’est qu’il nous donne à voir un personnage loin des héros dans le genre social ou romantique, un être qui nous ressemble. Nous n’avons aucun mal à nous identifier à Sandrine.
Nous avons parcouru la même route, mené les mêmes combats, petits soldats de la vie. Le film a été écrit pour Louise Bourgoin qui prouve dans le rôle de cette survivante qui finit par dire non qu’elle possède un grand talent d’actrice, parfois inexploité. Dans ce monde d’hommes où elle doit faire sa place, Laurent Capelluto joue un vétérinaire fragile, amoureux, qui se mettra à nu aux sens propre et figuré. Je suis un soldat est un premier film sensible qui révèle les facettes cachées d’une actrice et d’un réalisateur à suivre.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Je suis un soldat
Titre international : I am a Soldier
Réalisation : Laurent Larivière
Scénario : Laurent Larivière et François Decodts
Image : David Chizallet
Son : Antoine-Basile Mercier
Montage : Marie-Pierre Frappier
Musique originale : Martin Wheeler
Montage son : Benoît Gargonne
Mixage : Nicolas D’Halluin
Etalonnage : Yov Moor
Première assistante : Alexandra Denni
Scripte : Elodie Van Beuren
Décor : Véronique Mélery
Costume : Frédérique Leroy
Maquillage et coiffure : Florence Thonet et Anne Moralis
Régie : Arnaud Aubey
Direction de production : Michel Mintrot
Produit par Michel Feller et Dominique Besnehard
Coproduit par Hubert Toint et Adrian Politowski, Gilles Waterkeyn
Une coproduction : Mon Voisin Productions et Saga Film
Umedia en association avec Ufund
Avec le soutien d’Eurimages
En association avec Manon 5 et Soficinema 11
Avec la participation de Canal+ et de Ciné+
Avec la participation de TV5Monde et du Centre national du cinéma et de l'image animée
Société de distribution : Le Pacte
Format : Couleur - 1,85:1 - Son Dolby Digital
Durée : 97 minutes
Date de sortie : France : mai 2015 (festival de Cannes 2015) 18 novembre 2015
Distribution
Louise Bourgoin : Sandrine
Jean-Hugues Anglade : Henri
Anne Benoit : Martine, la mère de Sandrine
Laurent Capelluto : Pierre, le vétérinaire