Roger, la petite dent de travers de Rachel lui écrit « Je déteste le monde entier ». Et pourtant derrière ce slogan se cache la plume (le clavier, devrait-on dire) de Theodore Twombly, écrivain de « belles lettres manuscrites ». « Belles lettres manuscrites », cela résonne comme le souvenir d’une époque révolue qu’ils n’ont surement pas connu. Ces mots, s’il les écrits pour un autre, qu’il n’en pense pas moins.
Cet homme, incarné par Joaquin Phoenix, fait au travail ce qu’il n’est pas capable d’appliquer à sa propre vie. Il écrit des lettres d’amour et souffre terriblement de sa rupture. Il ne veut pas divorcer, ne peut plus aimer... Et pourtant.
L’action se déroule dans un futur proche, où Spike Jonze, pour son quatrième film, a eu l’intelligence de ne pas vouloir trop en faire à coup de gros effets spéciaux. Il s’est contenté de donner un côté un peu rétro à ses personnages, avec cet alliage moustache/chemise dans le pantalon, et de retirer l’utilisation de différents objets, tels les voitures ou les livres. Et lorsque ses lettres vont être publiées, par exemple, Samantha se doit de rajouter que c’est sur du véritable papier. Tout cela n’existe plus, tout est remplacé par la technologie. Et c’est dans ce sens que pour palier une maladie sentimentale récurrente chez l’Homme, Theodore s’achète l’OS 1. Bijou de l’avancée technologique, cette voix, façon Sirie chez Apple, s’adapte à la personnalité de l’acquéreur et l’accompagne dans ces besoins.
Pensant avoir vécu tous les sentiments et craignant que ce qu’il ne ressente dorénavant ne soit qu’une « version fade » de ce qu’il a connu, Theodore plonge dans une quête de l’amour, où les rencontres ne sont que déceptions. Dès lors il va tomber amoureux d’une personne non incarnée à l’écran : la voix de l’OS 1, Samantha (celle sensuelle de Scarlett Johansson). Mais est-ce véritablement pareil que de tomber amoureux d’une personne qui possède un corps ? Cette question il se la posera à de multiples reprises. Samantha également.
C’est la maladie moderne, déjà présente de nos jours : la solitude. Tout le monde est relié mais il n’y a aucun contact. On est toujours beaucoup mais souvent seul. Pour se remettre d’une rupture, Theodore ne va pas se tourner vers une véritable personne, c’est l’illustration de ce mal être sociétale. Et le réalisateur surement justement affirme que cela ira de mal en pis. Ici, on rêve avec la technologie, on fait l’amour avec la technologie, on vit avec la technologie. Disparition peu à peu de tout rapport... Et du coup tout est accéléré. Il n’a d’ailleurs que deux amis : Amy, amie d’enfance et Paul, son collègue. Scruter les inconnus, leur imaginer une vie devient un hobby, à défaut de leur parler. C’est ça le problème il y a une vie en parallèle de la vie humaine. Et la question est de savoir si dans cette vie il y a une place pour les sentiments humains.
Samantha l’aime, ils font ensemble l’amour à distance, vivent comme un véritable couple. Elle est présente, partout, lui dit ce qu’il veut entendre. « Le passé, c’est une histoire que l’on se raconte ». Jamais on ne doute de cet OS, très réaliste. Et comme toute nouveauté, les personnes qui l’utilisent n’assument pas vraiment, puis peu à peu tout le monde l’a, se l’arrache, et bientôt ne pas avoir d’OS sera montrer du doigt. C’est le phénomène de mode.
Mais cela reste un logiciel. Tout est changé, tout peut aussi échapper plus facilement. Comment retenir quelqu’un que l’on ne voit pas ? Car oui l’Homme est constamment dans le progrès, mais est-il prêt à en subir et assumer les conséquences ? Samantha, elle, recherche constamment si elle a des vraies émotions ou si tout cela n’est pas programmé. Car cela pourrait n’être qu’un simple programme, un antidépresseur. Elle en a l’effet en tous cas. Elle tente même de prendre place dans un corps et on se demande qui est véritablement qui. Samantha prend l’apparence d’un humain quand Théodore semble n’être qu’un robot. Il refuse la réalité et d’affronter les véritables sentiments, selon son ancienne femme.
N’ait-ce pas cela l’utilité de ces OS, se rendre compte de l’importance des rapports humains. Et que leur intelligence pourrait dépasser celle de l’Homme. Finalement on n’aura que l’OS pour tenter de recréer un lien avec une véritable personne. Décryptage méticuleux de ce que pourrait être l’amour, bientôt, mais aussi l’amitié. C’est dans le futur mais déjà dans le présent.
Au cours d’une conversation dans le chalet de montagne enneigé, elle lui avoue qu’elle converse avec l’OS reconstitué d’Alan Watts. Ecrivain américain, il est l’un des fondateurs de la contre-culture. Il s’inspira beaucoup des philosophies et religions du bouddhisme au christianisme et traita de sujets comme l’identité individuelle ou encore la recherche du bonheur. Référence dès lors non anodine pour ce personnage... Le nom du personnage vient, lui, du peintre Cy Twombly qui accordait une importance aux enjeux de l’art.
Des couleurs chaudes, retentissantes, d’un avenir pas si terrifiant qu’annoncé, sont présentes, le rouge notamment (la chemise ou veste de Theodore). Il y a une alternance entre cette pollution, ce brouillard et les rayons du soleil qui titille la moustache de Theodore. L’image est belle, et le côté romantique et mélancolique est renforcé.
Au milieu de cela la musique joue un grand rôle. Avoir comme ami les membres du groupe Arcade Fire n’est qu’un avantage. Spike Jonze a réalisé pour eux diverses prestations. Les sept montréalais lui rend la pareil et signe une B.O. très soigné avec l’aide de leur célèbre violoniste Owen Palett. Quand elle n’est pas là pour illustrer l’image, elle est demandée à l’OS par Theodore ou même jouée par Samantha. Cette dernière livre une version très belle de Moon Song de Karen O. Le réalisateur a tourné de nombreux clips et c’est d’ailleurs fait connaitre pour cela. Un côté « clip » justement revient à certains moments, comme dans les souvenirs de Theodore. Mais la beauté mélancolique de ces images compense. Pour autant un Joaquin Phoenix, en gros plan conversant avec son OS seul sur son lit touche plus. On ressent tous ses sentiments. Aujourd’hui tout ce que touche cet acteur devient bon, au minimum. Il a atteint le niveau des plus grands, dans la veine d’un Brando.
Intelligent, touchant voire bouleversant dans le final et s’appuyant sur un scénario en béton, justement oscarisé cette année, Spike Jonze n’attaque pas les nouvelles technologies dans son œuvre. Mais plutôt l’usage aveugle que les hommes en font. Même si le développement de cet OS semble une avancée utile, tout cela effraye... Derrière ce film qui plait autant qu’il interroge, un portrait sociologique de l’Homme et de la société tombant dans une spirale dont les limites sont inconnues pour tout le monde, est dressé sans concession. C’est un monde fantastique mais est-il si fantastique que cela ?
Clément SIMON