« Il y a deux personnes indispensables en ce bas monde : la sage-femme et le fossoyeur. L’une accueille, l’autre raccompagne. Entre les deux, les gens se débrouillent. » Edmond Zweck.
Notre histoire commence au bord de nulle part, dans une petite ville oubliée ressemblant aux cités fantômes du Far West. Au centre trône Chinatown, le restaurant chinois. On oublie le temps qui passe dans des verres de saké dévoilant de jolies pépées en petite tenue. En face, le croquemort pompes funèbres, c’est la dernière station avant l’au-delà. Ces derniers temps, il ressemble plus à un cabinet de confidences perdues. Une vieille femme, compagne du dernier défunt, cherche le réconfort et une coupe de cheveux à bas coût. Edmond Zweck, le patron, désespère. Les morts ne se bousculent plus au cercueil. Il faudra bien se résoudre à placer la clef sous la porte d’ici peu. Eddy et Georges philosophent sur le temps qui défile à l’horloge et sur une barrette à cheveux découverte dans le corbillard. Heureusement, la Faucheuse joue la providence avec un dernier mort à accompagner dans son ultime voyage. Pour Zweck c’est une aubaine, les affaires reprennent. Les deux employés maison vont devoir être à la hauteur de la réputation. C’est ainsi que la famille du défunt, précédée d’Eddy et Georges ouvrant la route, part pour un cimetière oublié du monde, en haut de la colline. C’est pendant ce voyage que tout dérape et que l’Ankou rit encore de cette mauvaise blague jouée aux vivants.
« Est-ce que tu crois qu’on est plus longtemps pas né, ou plus longtemps mort ? » Eddy.
C’est le premier film de Gérard Pautonnier, après un court métrage où déjà la mort jouait l’incruste. L’aspect décalé de l’histoire rappelle le cinéma belge surréaliste où l’improbable devient réalité. C’est d’abord une galerie de figures décalées, telle la mamie abandonnée par son mari, mort, et prenant les Pompes Funèbres pour un salon de thé. C’est le patron du dernier clandé avant le passage du Styx, Edmond Zweck. Olivier Gourmet lui donne cette nature improbable, entre le savoir-faire et une certaine cupidité. Nous découvrons deux zozos de service, figures surréalistes échappées d’une bande dessinée. Eddy, le petit nouveau à la figure d’ange d’Arthur Dupont et Georges, Jean Pierre Bacri, en quête d’une épitaphe pour sa future pierre tombale. C’est le patron et le client d’un restaurant chinois en plein milieu d’une rue, d’une ville de nulle part.
Cette dernière nous fait penser aux villes de l’ouest, dans ces immensités perdues ou à celle du Bazaar de l’épouvante, porte d’entrée intemporelle et indéfinissable avant le grand passage. La mort hante le récit en forme de fable sur l’existence. Chacun semble chercher un sens à donner à celle-ci et le manque de clients bouscule un ordre bien établi. Cette routine brisée par les événements ne fait qu’empirer, comme une pierre dévalant la montagne des certitudes. Tout part de travers et prend une autre voie, comme si l’univers refusait l’ordre des choses pour en offrir un autre aux vivants. C’est le parcours initiatique de deux âmes, Eddy le petit nouveau et Georges bientôt à la retraite. Ils sont tous les deux en quête d’un sens à donner à la vie avec deux visions sur la mort bien différentes, mais qui ne s’opposent peut-être pas tant que cela. C’est une réflexion sur la mort et le dernier grand voyage.
Qu’est-ce qui reste derrière nous sinon une vieille femme perdue ? Une fois la porte du cercueil fermée, les vivants tournent dans une valse du temps n’ayant plus aucun sens. Mourir c’est partir pour le grand pays de lumière avec des fragments jetés en terre qui retourneront au cosmos. Les morts auront la réponse et nous, les vivants, que le temps qui reste pour la trouver et ne pas les oublier. Je vous invite à découvrir le roman de Joël Egloff, Edmond Ganglion & fils aux éditions du Rocher, prix Alain Fournier en 1999 dont est tiré le film. Vous retrouverez cet univers de paumés du petit matin, comme le chantait Brel, entre onirisme et réalité d’une vie en braille.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Scénes coupées 15mn
Making of des effets spéciaux 4mn
L'étourdissement court métrage de Gérard Pautonnier 23mn
Making Of 16 mn
Titre original : Grand Froid
Réalisation : Gérard Pautonnier
Scénario : Gérard Pautonnier et Joël Egloff
Décors : Katarzyna Filimoniuk
Costumes : Frédérique Leroy et Claudine Tychon
Photographie : Philippe Guilbert et Zoé Vink
Montage : Nassim Gordji Tehrani
Musique : Christophe Julien
Production : Denis Carot
Coproduction : Gaetan David, André Logie, Edyta Janczak-Hiriart et Karolina Mroz-Couchard
Production associée : Marie Masmonteil
Société de production : Elzévir Films
Société de coproduction : La Compagnie Cinématographique, Panache Productions, Lava Films et Bactery Films
Société de distribution : Diaphana Distribution
Pays d’origine : France, Belgique et Pologne
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : comédie dramatique
Durée : 86 minutes
Dates de sortie : 28 juin 2017
Distribution
Jean-Pierre Bacri : Georges
Arthur Dupont : Eddy
Olivier Gourmet : Edmond Zweck
Féodor Atkine : Simon Bartolo
Marie Berto : la veuve
Philippe Duquesne : le frère du mort
Sam Karmann : le prêtre
Alix Bekaert : Pierre
Clara Bekaert: Paul
Françoise Oriane : Mme Cisca
Wim Willaert : le patron du restaurant chinois