Une fois la dernière page blanche maculée, des mots jaillit de l’âme de l’écrivain. L’œuvre ne trouve pas son achèvement, mais son commencement. L’œuvre est faite pour trouver sa voix, son chant face au public qui l’accueille avec passion ou la rejette dans l’eau du caniveau. Un jeune écrivain, cœur à vif, rejeté de bon nombre d’éditeurs, frappe à une dernière porte. Thomas Wolfe en poussant celle du bureau de Maxwell Perkins, ne doute pas un instant qu’il va une fois de plus essuyer un refus d’être publié. Il vient juste entendre de sa bouche, le « non » fatidique de l’homme qui a découvert Ernest Hemingway et F. Scott Fitzgerald. Or ce dernier s’apprête à dire « Je vous publie chez Scribner » à un nouveau géant de la littérature américaine. C’est le choc, le fracas des cœurs dans le silence des mots.
Ils se reconnaissent, Pygmalion et le marbre à façonner pour que brille à la face du monde la force du récit qui nous change. Ce « oui » est le début d’un long travail dans lequel Thomas Wolfe et Maxwell Perkins œuvrent de concert pour épurer le texte, lui donner toute sa splendeur pour l’immortaliser. C’est la longue métamorphose du premier jet qui, peu à peu, trouve sous la plume de l’écrivain et de son éditeur le chemin du succès. Ainsi nait L’ange exilé premier opus de l’auteur. Il reste maintenant, dans la masse des pages entassées dans des caisses de bois, chapitre par chapitre, à enfanter le second chef-d’œuvre, Le temps et le fleuve. C’est presque une bataille qui s’engage entre Thomas Wolfe et Maxwell Perkins, entre l’homme exubérant lancé à pleine vitesse dans la vie, et l’autre, plus intérieur, dont le silence semble être la mesure.
« Chacun de nous est la somme de ce qu'il n'a pas calculé : qu'on nous rende à la nudité et à la nuit et l'on verra naître en Crète, il y a quatre mille ans, l'amour qui mourut hier au Texas. » L’ange exilé Thomas Wolfe
Michael Grandage, homme de théâtre, nous propose une mise en scène classique dans sa forme et bouillonnante dans son âme. Elle n’est pas une pièce, mais pourrait le devenir. Le film se situe le plus souvent en intérieur ou dans des ambiances de nuit. Il est balisé par des chemins de lumière conduisant à la demeure de Maxwell Perkins, au quai de gare où jaillit la vapeur des locomotives. C’est encore cette maison délabrée où vécut à son arrivée Thomas Wolfe, les quais où accostent les navires. À la fin, il rejoint le jour et l’hôpital où se finit le chemin d’une vie. Cette image renvoie à la création intérieure, au sombre mugissement du cœur qui enfante dans l’encre, traçant les mots d’une œuvre immortelle. Genius aborde le voyage qui mène de la fin de la première page au premier volume en librairie. Il interroge sur la création artistique, la longue plainte d’une douleur qui ne peut se taire.
Il parle de la difficulté d’écrire ou de sa facilité à couvrir la page blanche, mais plus que cela, retranscrire le fond de l’âme, le tiraillement des entrailles de l’esprit. Thomas Wolfe le dit, il est poussé vers là poésie par la douleur et l'exclusion. « Mon œuvre est de la sublimer pour le public » lui répond Maxwell Perkins. Genius raconte comment on renonce à tout pour l'écriture, elle seule compte et emporte tout sur son passage, comme un ouragan. C’est ce qui travaille Thomas Wolfe, noyé dans le « trop » au début. Dans une magnifique scène, Maxwell Perkins lui démontre qu’aller à l’essentiel, au mot juste, épuré, donne plus de force au récit. Il s’interroge sur la place de l’éditeur dans le travail de création et l’accompagnement de l’auteur. Maxwell Perkins se questionne sans cesse sur le bienfait de ses coupes, de ses directives. Est-ce qu’il aide à enfanter un roman meilleur ou au contraire ne le tue-t-il pas ? C’est la force du film de mener ce débat jusque dans ses retranchements les plus profonds, de survoler toutes ces interrogations sans en oublier aucune.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Génius
Réalisation : Michael Grandage
Scénariste : John Logan D'après l'oeuvre d’ Andrew Scott Berg
Compositeur : Adam Cork
Producteur : Michael Grandage, John Logan
Coproducteur : Tracey Seaward
Producteur délégué : Deepak Nayar, Tim Bevan, Nik Bower
Equipe technique
Directeur de la photographie : Ben Davis
Monteur : Chris Dickens
Directeur artistique : Alex Baily, Gareth Cousins
Directrice du casting : Jina Jay
1er assistant réalisateur : Deborah Saban
2ème assistant réalisateur : Olivia Lloyd
Superviseur artistique : Patrick Rolfe
Concepteur de production : Mark Digby
Sociétés : Distributeur France (Sortie en salle) Mars Films
Dates de sortie : 27 juillet 2016
Distribution
• Nicole Kidman : Aline Bernstein
• Colin Firth : Max Perkins
• Jude Law : Thomas Wolfe
• Dominic West : Ernest Hemingway
• Laura Linney : Louise Saunders
• Guy Pearce : F. Scott Fitzgerald
• Vanessa Kirby : Zelda Fitzgerald
• Mark Arnold : le capitaine du bateau
• Shonn Gregory : New Yorker
• Jane Perry : Principle Nurse
• Demetri Goritsas : John Wheelock
• Andrew Byron : Grand Central Conductor
• Kumud Pant : Train Commuter