Fritz Bauer, un héros allemand
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En Bref
Le film s’ouvre sur un homme endormi dans sa baignoire. Grâce à son chauffeur, il échappe à la mort. C’est ainsi que dans la réalité, s’achèvera la vie de Fritz Bauer le 1er juillet 1968. Procureur de la République fédérale allemande (RFA) pour la région de Francfort, il doit composer à l’aube de ces années cinquante avec une institution noyautée par de nombreux nazis. Il rêve de faire le procès des camps en arrêtant une figure des généraux à l’origine du génocide. Quand arrive sur son bureau une information sur Adolph Eichmann, responsable de l’extermination de millions de Juifs pendant la Shoah, il voit là l’occasion d’instituer en Allemagne le procès du système nazi et des camps de l’horreur. Ce militant arrêté en 1933 en raison de ses origines juives et de son adhésion au parti social-démocrate (communiste) s’exile en 1935.
Dans les années cinquante, Adenauer œuvre pour la réconciliation de son pays avec Israël et l’expansion économique en pleine guerre froide. Un procès retentissant exhumant le passé nauséabond de son pays n’aurait pas forcément de bonnes répercussions. Pour le procureur et son jeune assistant, il en est tout autrement. La RFA doit se débarrasser de ses oripeaux, de ce passé trop lourd pour regarder l’avenir en face. Deux conceptions d’une époque entre l’oubli et la capacité à assumer la part de ténèbres pour que la lumière brille sans une ombre. Plus il avance dans sa traque, plus il comprend que la tâche sera rude. Les anciens nazis en place dans ses bureaux ou à des postes plus importants de l’Etat, ne souhaitent pas ressortir un passé devenu gênant. Bauer passe par le Mossad pour faire exfiltrer Eichmann avec, en contrepartie, un jugement à Francfort. Hélas, les relations et la raison d’État lui refuseront celui-ci. Le bourreau est jugé en Israël. Déçu, las d’un combat vain, abandonnera-t- il ?
C’est cette bataille que nous décrit le film avec le portrait d’un jeune procureur, compagnon de lutte de Fritz Bauer. Ce dernier est un mélange de plusieurs figures de l’époque, métaphore de cette jeunesse portant un poids si lourd. Le reste du récit s’appuie sur la réalité et démontre toute la difficulté, peu après la fin de la guerre, d’évacuer pour les Allemands le problème nazi. Fritz Bauer, était juif, homosexuel ce qui n’est pas facile. Comme procureur général de la République fédérale, il est à la base du procès collectif « d’Auschwitz » à Francfort où comparurent des criminels nazis. Cette histoire est relatée dans Le labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli, sorti l’année dernière. Aujourd’hui, l’Allemagne découvre la figure d’un héros qui préféra la trahison à son pays en pactisant avec le Mossad pour faire arrêter un criminel de guerre.
Il part de cette métaphore d’ouverture, la tentative de suicide dans la baignoire, une façon de nous dire qu’au-delà de la mort, tout le travail de Fritz Bauer, ses réformes, et surtout le Procès d’Auschwitz, permirent à l’Allemagne de s’émanciper d’un passé abominable. Tout en inscrivant son film dans la forme du thriller, avec ses rebondissements, ses trahisons et une extraction musclée, Lars Kraume reste sage dans sa mise en scène, comme c’est le cas parfois lorsque l’on touche aux grandes figures de l’histoire. Il aborde cette période délicate avec sensibilité, sans évacuer les parties d’ombre de son personnage, notamment son homosexualité. Cette dernière est évoquée avec tact par le portrait du jeune procureur marié, bientôt père, attiré par un travesti. Il soulève la question des gays à l’époque.
Souvent, sortis des camps de la mort, ils se retrouvaient persécutés par un système qui les niait. De la même façon, il scrute une société où demeurent encore en place, comme chez nous après-guerre avec la collaboration, de nombreux responsables de plus ou moins haut niveau, et même à des postes importants. Dans le jeu des diplomaties d’après-guerre, nous comprenons combien les rouages devaient se contenter de bonnes intentions parfois peu suivies d’effets. Depuis quelques années, le jeune cinéma allemand aborde des sujets délicats sur son passé. A Fritz Bauer, un héros allemand nous préférons le titre original L’Etat allemand contre Fritz Bauer plus juste car il marque un pas dans cette voie. Il participe à la réhabilitation du procureur que le pays reconnaît aujourd’hui comme un de ses grands héros.
Burghart Klaussner incarne avec force et vigueur ce grincheux fumeur de cigares, tenace et obtus. Il dit lui-même du rôle. “Je voulais absolument jouer ce rôle de Fritz Bauer. Absolument, parce que j’ai toujours voulu jouer un héros, un héros brisé. Il n’y a pas beaucoup de personnes de ce genre en Allemagne”. Pour lui donner la réplique, Ronald Zehrfeld compose un jeune procureur fictif, mélange de plusieurs figures de l’époque, tout en finesse. Cette belle leçon d’histoire nous prouve qu’aujourd’hui, nous ne devons plus avoir peur de regarder notre passé pour inventer l’avenir.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
- Scènes coupées
- Bande-annonce
Titre : Fritz Bauer, un héros allemand
• Titre original : Der Staat gegen Fritz Bauer
• Réalisation : Lars Kraume
• Scénario : Lars Kraume et Olivier Guez
• Musique : Julian Maas et Christoph Kaiser
• Montage : Barbara Gies
• Photographie : Jens Harant
• Costumes : Esther Walz
• Décors : Cora Pratz
• Producteur : Thomas Kufus
◦ Coproducteur : Christoph Friedel, Barabra Buhl, Jörg Himstedt et Georg Steinert
• Production : Zero One Film
◦ Coproduction : Westdeutscher Rundfunk, Arte Deutschland TV GmbH, Hessischer Rundfunk et Terz Film
• Distribution : ARP Sélection
• Pays d'origine : Allemagne
• Durée : 106 minutes
• Genre : Drame
• Dates de sortie : 13 avril 2016
Distribution
• Burghart Klaussner : Fritz Bauer
• Ronald Zehrfeld : Karl Angermann
• Lilith Stangenberg : Victoria
• Jorg Schuttauf : Paul Gebhardt
• Sebastian Blomberg : Ulrich Kreidler
• Michael Schenk : Adolf Eichmann
• Rüdiger Klink : Heinz Mahler
• Laura Tonke : Fräulein Schütt
• Götz Schubert : Georg August Zinn
• Paulus Manker : Friedrich Morlach
• Robert Atzorn : le père de Charlotte
• Dani Levy : Chaim Cohn
