Une mère éplorée assiste, inconsciente, à la dérive d’un fils disparu dans la forêt des ombres. Un flic fatigué par la course des étoiles noires noyées dans la lueur des lucioles nocturnes, néons de lumière attrape-mouches, dernière station des éphémères. Il espère sortir son fils perdu dans la nasse des dealers, inconscient de sa chute. C’est ainsi que se placent les pions de cette farce humaine happée par les ténèbres. Solange n’a plus de nouvelles de son fils, disparu un matin sans laisser d’empreinte pour le retrouver. Elle n’a plus que cet enquêteur comme lueur d’espérance dans cette nuit qui approche. Derrière le flic abîmé, se dissimule un fin limier. C’est un chien qui s’accroche à la trace du gamin perdu, reniflant à l’instinct. Il garde dans son âme une cicatrice qui ne cautérise pas. Plus qu’un abandon, une trahison à la mémoire, au passé, aux jours heureux. Le bonheur vole en éclat comme ces histoires noires qu’il côtoie comme flic. Dans sa quête, entre son fils emporté par des mauvaises fréquentations sur la pente du crime et cette mère éplorée, un lien se tisse. Il faudra éviter de franchir la frontière entre la traque et les sentiments pour rester neutre. La vie n’est pas un chemin facile. L’homme s’emporte parfois à la saison des désirs quand la nuit efface le jour.
« Celui qui espère en la condition humaine est un fou » Albert Camus.
Depuis La vie rêvée des anges jusqu’à Julia en passant par Le petit voleur, des vies basculent dans l’errance en recherche d’un paradis, un bonheur inaccessible. Érik Zonca est en quête du chemin qui les ramène de l’ombre vers la lumière, sans savoir s’ils y parviendront. Il n’est donc point étonnant qu’il s’empare du premier roman de Dror Mishani Une disparition inquiétante avec le personnage d’Avraham Avraham devenu François Visconti. Ils sont proches dans leurs thématiques. Plus que le crime, c’est la psychologie des personnages, leur quête existentielle, placée au cœur d’Israël et ses problématiques identitaires qui intéresse le romancier. Il bâtit une œuvre originale, atypique et singulière, aux ambiances souvent oppressantes. C’est le chemin et l’âme des vivants qui conduisent à résoudre l’énigme qui le motivent, plus que le coupable ou la victime. Dans l’univers du polar, comme Parker Bilal, il s’inscrit de façon particulière et peu orthodoxe.
On lira de Dror Mishani La violence en embuscade et Les doutes d’Avraham, de Parker Bilal, la série de Makana Meurtres rituels à Imbaba, Les écailles d’or, Les ombres du désert, tous au Seuil et en Point poche. Dans Fleuve noir, le rapport aux enfants qui nous échappent pour trouver leur place au cœur du monde compose la toile de fond. La figure d’un professeur de français dissimulant des secrets cachés amène à un face-à-face sournois entre le flic et le professeur guide. Cette piste conduit Visconti aux affres du doute, comme l’attirance pour Solange la mère du disparu. Elle complique la traque et l’entraine dans un territoire qu’il ne faudrait pas franchir. « Le flic, ça veut toujours la vérité », « l’écriture est ma prison », lui répond Yann. La littérature et son pouvoir d’investigation de l’univers, la construction de sa maison au sein celui-ci prend une place importante. Les apparences, ce que l’on ne voit pas, ne soupçonne pas, donneront les clefs de l’enquête à qui sait les dénicher.
La réalité de l’enfer est bien plus profonde sur terre. La morale est toujours remise en question chez Dror Mishani et Éric Zonca. Comment on la dépasse pour plonger dans les territoires du bien et du mal. Le flic, au final, se retrouve confronté à ses propres actes et au dépassement de la ligne qui finit par l’emprisonner. On ne peut franchir une frontière sans conséquences. Le crime importe peu, il devient le prétexte à explorer nos âmes noires. Derrière la lumière se cache notre part de ténèbres, les nuits profondes, les grottes sombres où les personnages s’enfoncent. De la même manière, dans le chaos final touchant au plus sale, la mère prend une figure plus lumineuse. Elle dévoile un visage biblique sacrificiel, presque christique, dans son don de soi à l’autre. Érik Zonca, en transformant le texte de départ de Dror Mishani et le transposant dans notre société, trouve son point d’universalité.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Fleuve noir
Réalisation : Érick Zonca
Scénario : Érick Zonca et Lou de Fanget Signolet d'après le roman de Dror Mishani
Producteur : Jacques-Henri Bronckart
Musique : Rémi Boubal
Photographie : Paolo Carnera
Son : Nicolas Cantin
Direction artistique : Christophe Couzon
Décors : Frédéric Delrue
Sociétés de production : Curiosa Films et Versus Production
Société de distribution : Mars Distribution
Pays d'origine : France
Genre : thriller
Date de sortie : 18 juillet 2018
Distribution
Vincent Cassel : François Visconti
Romain Duris : Yann Bellaile
Sandrine Kiberlain : Solange Arnault
Charles Berling : Marc
Élodie Bouchez : Lola Bellaile
Hafsia Herzi : Chérifa
Jérôme Pouly : Raphaël Arnault
Lauréna Thellier : Marie Arnault
Sadek : collègue de Visconti