Alice se tient face au vent avec une canette de bière à la main, la mer dansant dans son dos entraine dans son sillage le Fidelio. Le capitaine de bord se dresse face à elle, leurs regards se croisent dans un plan contre plan. Dans cette très belle image, la liberté s’exprime, comme une danse immobile de deux corps attirés par un désir réciproque. Un amour, quel amour ? L’immersion dans cette ode maritime oscillant entre la douceur des vagues et les vrombissements de la mécanique est parfaitement exprimée dans cette séquence.
Lorsqu’Alice (Ariane Labed) repart en mer et doit laisser son bel amour norvégien à quai (Felix joué par Anders Danielsen Lie, remémorant le doux souvenir du sublime Oslo, 31 août), elle se sait embarquée sur le chemin de son passé. Elle remplace le second mécanicien mort sur le bateau, celui de son premier amour, le Fidelio... Dans un brouhaha dû aux machines, évitant habilement le dialogue, Melvil Poupaud, alias Gaël, apparaît soudainement.
Son amour de jeunesse n’est pas que représenté par le bateau, c’est cet homme devant elle, perdu de vue depuis une dizaine d’années. « Tu as fait quoi durant toutes ces années ? » C’est alors la houle de la mer contre la stabilité de la terre ferme. Ce face-à-face décrit à merveille cette tentation, ce désir ardent de ce premier film, plongée réussie dans ce milieu clos des marins. C’est une balade dans une odyssée inversée des genres, dans ce questionnement sur la liberté, et l’amour.
La mer sert une première cause. Elle est d’abord le cadre à ce récit, dans cette description d’un milieu particulier. Intelligemment, la jeune réalisatrice Lucie Borleteau va placer son héroïne dans un domaine plutôt masculin. « L’attraction » du bateau devient-elle, comme le décrit sa sœur, la description naturaliste alliée à une relative tension de la mécanique du bateau. Elle n’est pas sans rappeler Grand Central. Une montée en puissance va avoir lieu dans l’intrigue que l’on peut qualifier de technique pour laisser place à celle du cœur. Le côté toxique de la matière qu’elle touche rappelle rapidement l’académisme du début s’effaçant pour laisser s’exprimer un vent de poésie.
En effet la mer est vue également comme une métaphore, les sentiments d’Alice et ses pulsions allant au gré des marées. C’est dans une seconde partie, plus contemplative, où les plaisirs frivoles laissent place à des choix tentant d’être rationnels. Fidelio, l’odyssée d’Alice ou comment unir Beethoven et Homère. C’est une odyssée inversée ou la quête d’un retour à la stabilité, à l’amour véritable. Alice se retrouve face à de nombreuses épreuves, cette fois-ci masculines. C’est l’Ulysse des temps modernes, avec les escales en terre étrangère du récit du poète grec. Le compositeur allemand d’opéra donne son nom au bateau, mettant en exergue dans son œuvre ce vent de liberté. Comme il l’indique, cette fidélité amoureuse anime malgré tout le contraste du cœur d’Alice, le dilemme du film.
Le ressenti a une place très importante. La caméra filme constamment la mer et les vagues formées par la masse de ferraille. D’un déjà-vu dans certains plans de la nature s’extrait l’évocation de la mer et le goût du voyage amoureux, couplé à la solitude du marin. C’est ce que l’on entend dans la voix off : le journal secret de son triste prédécesseur, qu’il lit d’outre-tombe comme un manuel à Alice. On est porté par ses sentiments, ceux des marins. Qu’est-ce que cela procure d’être enfermé sur un bateau si longtemps ? Des besoins naturels à la libération des escales, on s’y croirait. Cette solitude dans le collectif, accentuée par le fait d’être la seule femme à bord. Cela donne des moments de solidarité, dans ce premier film volontaire, animé de bons sentiments. Néanmoins, les quelques maladresses comme dans les scènes de groupe où les dialogues tombent rapidement, sont contrebalancées par de beaux moments d’effusion collective.
Alice trouve dans le tiroir de la chambre occupée auparavant par le défunt, son carnet cité auparavant. Et dans les mémoires d’un mort, elle puise sa vie. L’amour est au centre, « c’est ça pour moi l’amour, c’est tout », l’amour total. Mais qu’est-ce que le grand amour ? Est-ce celui qui dure ou celui pour lequel on ressent quelque chose en plus ? C’est la société actuelle qui peut aussi être représentée ici, avec le sexe comme objet de consommation, relativement présent dans le film. Elle désire l’amour total et deux hommes à la fois. Elle veut vivre pleinement cette vie qui ne lui offre pas les meilleures conditions à une existence normale.
Cela fait du bien de voir un film écrit pour le personnage principal. Ariane Labed avec un charme fou lui rend si bien. Les autres gravitant autour d’elle, ne sont pas dénués de poids et aident Lucie Borleteau à livrer une première œuvre surprenante. De Tonnerre aux Combattants, elle prouve dans cette lignée que le jeune cinéma français se porte bien en cette année 2014.
Clément SIMON
• Titre : Fidelio, l'odyssée d'Alice
• Réalisation : Lucie Borleteau
• Scénario : Lucie Borleteau, Clara Bourreau et Mathilde Boisseleau
• Montage : Guy Lecorne
• Photographie : Simon Beaufils
• Musique : Thomas de Pourquery
• Producteur : Pascal Caucheteux et Marine Arrighi de Casanova
◦ Coproducteur : Olivier Père
◦ Producteur exécutif : Isabelle Tillou
• Production : Why Not Productions et Aspara Films
◦ Coproduction : Arte France Cinéma
• Distribution : Pyramide Distribution
• Pays d’origine : France
• Genre : Comédie dramatique
• Durée : 95 minutes
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• Distribution
• Ariane Labed : Alice
• Melvil Poupaud : Gaël
• Anders Danielsen Lie : Felix
• Pascal Tagnati : Antoine
• Corneliu Dragomirescu : Constantin
• Jean-Louis Coulloc'h : Barbereau
• Bogdan Zamfir : Vali
• Nathanaël Maïni : Frédéric
• Laure Calamy : Nadine Legall
• Jan Privat : Patrick Legall
• Vimala Pons : la sœur de Sarah
• Moussa Coulibaly : l'agent maritime sénégalais