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affiche Enfance clandestine

Enfance clandestine

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Un film de Benjamín Avila,
Avec Ernesto Alterio, Natalia Oreiro, César Troncoso,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h50
Argentine

En Bref

Dans les territoires de l’enfance, nos vies d’adultes se bâtissent. Elles puisent au puits des événements qui nous forgent, nous sculptent, pour que demain nous soyons une nouvelle aube. Ernesto, 12 ans, revient en Argentine, à Buenos Aires, avec ses parents. Le retour de l’exil peut prendre bien des visages, mais comment se construire quand vous endossez l’habit de banni dans votre pays ? Pour tous, il ne peut plus être l’enfant d’hier, celui qui courait, insouciant, dans les rues avant la dictature.

Il devient Juan et personne ne connaitra son passé. Comment se construire, en commençant par un mensonge, quand la vérité ressemble à un trésor caché que tous désirent vous voler ? Il ne peut pas non plus vivre dans les caves clandestines, oublié du monde qui mugit au-dessus.

Ses parents et son oncle Beto appartiennent à une organisation révolutionnaire, Montoneros, bien décidés à reprendre la lutte. Sous couvert de confiserie pour les enfants, la maison devient la plaque tournante des actions à mener. Pendant que les parents et l’oncle agissent dans la lumière, dissimulés sous des postiches hurlant leur « non », leur violente révolte ou la mort prend sa part.

Juan se rend à l’école, s’occupe de sa petite sœur et commence à devenir un homme. Il succombe au regard de la douce Maria, mais peut-il lui avouer la vérité ? Lui dire qu’il aimerait l’emporter loin, au Brésil. Il ne leur reste que cette vieille carcasse de voiture, leur nouvel Eldorado pour que s’envole leur rêve. La violence et la haine auront-elles raison de leurs sentiments qui se cherchent, se construisent, posent les bases de leur devenir ?

Quand tout se brisera sur les récifs de la vérité, quand les fractures s’agrandiront, à quoi un enfant de douze ans qui voulait juste bâtir sa vie peut-il se raccrocher ?  Peut-être à ce monde dont rêvaient ses parents, libre et souriant où la haine n’aurait pas sa place.


Dans les territoires de l’enfance, nos vies d’adultes se bâtissent. Elles puisent au puits des événements qui nous forgent, nous sculptent, pour que demain nous soyons une nouvelle aube. Ernesto, 12 ans, revient en Argentine, à Buenos Aires, avec ses parents. Le retour de l’exil peut prendre bien des visages, mais comment se construire quand vous endossez l’habit de banni dans votre pays ? Pour tous, il ne peut plus être l’enfant d’hier, celui qui courait, insouciant, dans les rues avant la dictature.

Il devient Juan et personne ne connaitra son passé. Comment se construire, en commençant par un mensonge, quand la vérité ressemble à un trésor caché que tous désirent vous voler ? Il ne peut pas non plus vivre dans les caves clandestines, oublié du monde qui mugit au-dessus.

Ses parents et son oncle Beto appartiennent à une organisation révolutionnaire, Montoneros, bien décidés à reprendre la lutte. Sous couvert de confiserie pour les enfants, la maison devient la plaque tournante des actions à mener. Pendant que les parents et l’oncle agissent dans la lumière, dissimulés sous des postiches hurlant leur « non », leur violente révolte ou la mort prend sa part.

Juan se rend à l’école, s’occupe de sa petite sœur et commence à devenir un homme. Il succombe au regard de la douce Maria, mais peut-il lui avouer la vérité ? Lui dire qu’il aimerait l’emporter loin, au Brésil. Il ne leur reste que cette vieille carcasse de voiture, leur nouvel Eldorado pour que s’envole leur rêve. La violence et la haine auront-elles raison de leurs sentiments qui se cherchent, se construisent, posent les bases de leur devenir ?

Quand tout se brisera sur les récifs de la vérité, quand les fractures s’agrandiront, à quoi un enfant de douze ans qui voulait juste bâtir sa vie peut-il se raccrocher ?  Peut-être à ce monde dont rêvaient ses parents, libre et souriant où la haine n’aurait pas sa place.

 Film social et politique, Enfance clandestine joue sur deux axes pour emmener le spectateur au cœur de son sujet. À travers le personnage d’Ernesto-Juan, le réalisateur évoque une part de son histoire, et de celle de bien d’autres qui ne s’en sortiront pas forcément aussi bien. Toute la difficulté pour Ernesto est de continuer à cheminer sur le sentier de la vie et d’avancer sans s’y perdre. Nous n’imaginons pas ce qu’il réconcilie en secret quand s’ébauchent les premières amours. Elles se construisent loin des mensonges, dans la clarté de la vérité. Parfois elles blessent mais nous donnent les armes, après les larmes, pour demain.

  Il ressemble à l’enfant sage, ordinaire dans un monde qui depuis longtemps ne l’est plus. Avancer chaque jour comme un fantôme, l’ombre de son âme. C’est toute cette fragilité que montre Benjamin Avila. La route est amère, ardue, surtout quand vous avez douze ans. L’âge où vous quittez l’enfance pour l’adolescence, les premières amours, les premiers rêves, les premiers espoirs et leurs contraires, ces fragiles briques qui élèvent l’homme pour son futur.

Des échos, des parallèles s’interpellent tout au long du film, par exemple, le bandeau. Il peut être le gardien du secret, de l’identité, du lieu. Il peut être aussi celui de la dernière route vers les ténèbres, les prisons, la mort. Pour Juan il devient l’espérance, le refuge, quand il bande les yeux de Maria pour la conduire à son paradis caché. Les rêves construisent un rempart entre cette vérité que l’on ne peut avouer et celle qu’il invente. Dans ce territoire de l’imaginaire, tout devient possible. Ils deviennent, avec son amour naissant, la planche de salut, la bouée où s’accrocher pour ne pas sombrer. Habilement, le réalisateur, en choisissant le point de vue d’un enfant, entre la réalité et l’imaginaire, offre une autre dimension au récit dans ce contexte où les parents sont occupés à la lutte plus grande que leur vie ou que leur famille.

De ce point de vue, la scène excessive avec  la grand-mère, vue par Juan, démontre tout l’excès de ses parents, aveugles. Ils en oublient les désaccords, les faiblesses ou les parties sombres de la lutte. Certains d’ailleurs reprochent ce manque au réalisateur, mais je leur répondrai que c’est un autre film.  C’est l’oncle Beto qui joue le guide, l’adulte référent à la naissance de l’Ernesto futur. Des scènes plus sensibles émaillent le discours et la violence de la narration. D’ailleurs dans l’idée d’imaginaire, de représenter autrement les scènes d’action, Benjamin Avila utilise l’animation. Elles prennent plus de force jouant justement dans notre imaginaire sur une réalité réinventée. Il oppose un cadrage vif, proche du clip dans l’action, la révolte, et plus ramassé, plus simple dans les scènes avec Maria la petite amie de Juan.

Aujourd’hui l’Argentine, à travers le cinéma et la BD, affronte ses vieux fantômes, ses démons du passé, que ce soit la collaboration, la trahison, les disparus, les tortures. Il questionne sur comment vivre normalement dans un monde anormal. Il confirme, comme le disent si bien Les Inrocks : « Deux choses. D’une part, la richesse, la densité et la bonne santé artistique du cinéma argentin, d’autre part, le trauma historique que furent les années de la dictature de Videla en Argentine, équivalent de ce que fut chez nous le régime de Vichy. » Enfance clandestine est un de ces films forts qui vous marquent et vous interrogent sur la société elle-même et ses utopies de l’idéal du bonheur.

Patrick Van Langhenhoven

Support vidéo : 16/9 compatible 4/3, Format cinéma respecté 2.35, Format DVD-9
Langues Audio : Espagnol Dolby Digital 2.0, 5.1
Sous-titres : Français
Edition : Pyramide

Bonus:

Entretien avec le réalisateur Benjamin Avila (26')
Bandes-annonces

Benjamin Avila : L’histoire est basée sur mon enfance et sur celle de mes frères. Les faits se sont déroulés, mais pas comme ça. Ce n’est pas strictement autobiographique. Avec Marcelo Müller [coscénariste du film avec Benjamin Avila, ndlr], qui est un ami brésilien, nous avons pris les évènements de ma vie, nous les avons scénarisés avec une structure narrative. Nous avons pris beaucoup d’éléments que nous avons un peu modifiés. A savoir, par exemple, que nous sommes arrivés clandestinement en Argentine, mais non pas en bateau comme dans le film mais en avion. L’anniversaire également est parti d’un fait réel puisque j’ai en effet célébré mon anniversaire, mais pas à une fausse date comme dans le film, c’était à la vraie date ; et comme nous venions d’arriver dans le quartier, ce que nous avons fait c’est que l’on a ouvert la maison au voisinage pour blanchir un peu notre maison et lever tout soupçon possible sur nous. Le drapeau est une autre scène qui est arrivée pour de vrai, c’est-à-dire que j’ai piqué une crise, j’ai vraiment pété un câble, mais je ne me suis pas bagarré avec un petit copain, c’est juste moi qui suis parti dans des cris et ma mère a dû venir me chercher à l’école et elle a dû inventer je ne sais quoi. Mais effectivement il y a eu une crise, la scène du drapeau est réelle même si elle est adaptée. Après nous avons, pour des besoins narratifs, inventé des choses, nous avons créé des personnages, l’histoire d’amour avec la petite fille n’existait pas , dans la réalité, le personnage de l’oncle Beto n’existait pas non plus. J’avais sept ans et un frère de huit ; dans le film Juan a douze ans. C’est aussi une adaptation pour des raisons de vraisemblance d’action, d’agissements, de pensées et le bébé n’est pas une petite fille puisque nous avions un petit frère ; le bébé existait mais dans le film c’est une petite fille.

Ciné Région : Est-ce que les cacahuètes enrobées de chocolat étaient réelles ?

BA : En réalité notre couverture était la fabrication de petits gâteaux. Olasio faisait de la répartition de biscuits. Par contre concernant les cacahuètes au chocolat, qui sont en Argentine une friandise absolument incontournables, comme des M&M’s locaux, cela je l’ai vu dans une autre maison, donc c’est inspiré de quelque chose de vrai.

CR : D’après ce que vous venez de nous dire, les modifications sont naturellement importantes mais il semble qu’elles sont secondaires, alors que les éléments que vous avez ajoutés sont eux essentiels. La petite fille et l’oncle sont des éléments qui transforment le récit en vrai récit d’enfance, c’est-à-dire l’initiation amoureuse et puis le grand frère en quelque sorte, celui qui apprend la vie.

BA : il était très clair pour moi dès le début que je ne voulais pas être le protagoniste de l’histoire. Le film devait représenter les enfants des disparus, c’était sa vocation, et non pas raconter ma propre autobiographie. Le film aurait été différent si cela avait été le cas. Ce qui apparaissait clairement c’est qu’il était question d’avoir une opinion et un positionnement par rapport à un contexte. Si cela avait été strictement autobiographique, le sujet aurait été différent.

CR : Pourquoi ce film maintenant? Était-ce une impossibilité de le monter avant ? Est-ce qu’il y a une urgence à le montrer maintenant ?

BA : il n’y a pas d’urgence spéciale maintenant, mais j’ai commencé à poser les choses sur papier en 2002 et tout cela a pris pas mal de temps. Nous sommes arrivés à une première version du scénario en janvier 2007, et après il y a eu une question de financement qui a pris du temps, qui a été difficile. Nous nous sommes mis à l’œuvre dès que nous avons eu l’argent nécessaire, aussi tôt que possible. Au cinéma on fait souvent comme on peut et non pas comme on veut.

CR : Les difficultés financières étaient liées au sujet ?

BA : En Argentine ça n’a pas été si difficile, mais à l’international oui. Nous allions chercher de l’argent à l’étranger et à chaque fois sous étions confrontés à la réponse « Ah ! Encore un film sur la dictature en Argentine ! ». J’avais beau argumenter que c’était d’un autre point de vue, personne ne voulait s’engager même si le scénario plaisait. Heureusement le film a rencontré un grand succès, public et critique ainsi qu’une reconnaissance professionnelle. Le film est sélectionné pour le prix Goya en Espagne, pour les Oscars, pour le prix Ariel au Mexique. C’est la profession qui a porté un regard positif sur le film et qui l’a en sorte poussé en avant.

CR : Le film a reçu l’équivalent des Césars argentins, dix en tout cette année, c’est-à-dire qu’il a tout eu.

BA : Le film est sorti en septembre dernier en Argentine avec un énorme succès. A Cannes, à la suite de la projection l’année dernière, il y a eu des producteurs qui avait d’abord refusé le projet et qui sont revenus vers nous, ils étaient un peu déçus ne pas s’être engagés avec nous à l’époque.

CR : Est-ce que vous pouvez nous parler du choix de l’animation et des graphismes ?

BA : Dans le film ce sont les scènes d’action physiques pour lesquelles nous avons choisi l’animation. Tout le film est construit sur le point de vue de Juan et ce que nous avons recherché avec Marcelo Müller, ce sont de éléments narratifs qui permettraient au mieux d’entrer dans la tête de ce personnage. Nous l’avons fait à travers les rêves, lorsqu’il tombe amoureux de la petite fille, et les dessins avec le Che, et par le biais de l’animation. C’est par l’animation que l’on se rapproche le plus de cette identification. C’est le moyen le plus fort car on est au plus profond dans la tête de Juan. Nous y entrons pour la simple raison que l’image véhicule une réalité pour laquelle le spectateur doit faire l’effort d’aller puiser dans son propre monde, personnel et inconscient. Donc ça l’engage dans la création de l’image et de ce fait il adopte le point de vue du personnage plus facilement. En faisant appel aux images plus personnelles et inconscientes  on aide à mieux comprendre Juan. A la fin, lorsque l’on a un regard caméra devant la porte de chez la grand-mère et qu’il dit « Je suis Juan » ce que nous voulions atteindre c’est les spectateurs soient tous à ce moment-là Juan.

CR : Il y a fait bouleversant dans le film, c’est que les gens engagés contre la dictature fasciste en Argentine placent leur combat au-dessus de leurs enfants. C’est terrible humainement mais c’est prioritaire. Comment, en tant que fils de disparu, vivez-vous avec ça ? Est-ce que vous le comprenez ?

[Long silence de Benjamin Avila]

BA : En fait il faut comprendre qu’ils ne nous impliquaient pas dans leur combat. Nous vivions avec eux, nous partagions leurs vies. Il faut préciser que la décision de garder les enfants avec soi ne relevait pas de la décision du Parti pour lequel ils militaient mais était laissé à la discrétion de chaque famille. Ma mère était tout à fait convaincue qu’il fallait rester ensemble, nous étions une famille, nous devions vivre ensemble. C’était sa décision et il elle y tenait pour deux raisons. D’une part parce qu’ils entreprenaient une œuvre dont ils pensaient qu’elle serait victorieuse. Nous, enfants, participions à la construction d’un monde que l’on aurait poursuivi, c’est-à-dire participer à un mode de vie que l’on allait prolonger, nous vivions l’Histoire que nous poursuivrions par la suite. Et deuxièmement, surtout parce que jamais ils n’imaginaient ce qu’il pourrait advenir des enfants. Ils étaient conscients qu’eux pouvaient être poursuivis, arrêtés, torturés, mais ils n’ont jamais réalisé que les enfants seraient considérés comme des butins de guerre par les autorités. Les plus grands étaient rendus à leurs familles car eux avaient une mémoire, c’est un peu le problème de la mémoire. Mais un enfant de moins de deux ans était kidnappé, gardé, et cela ils étaient vraiment loin de le soupçonner. Les militaires ont été plus créatifs et leurs actions ont dépassé ce que les opposants avaient pu imaginer.  Aujourd’hui nous ne pouvons pas comprendre car à l’époque on avait une conception du monde qui était complètement différente. De nos jours et de nos points de vue actuels, il est difficile de comprendre ce choix de rester et de garder ses enfants dans une telle prise de risque. Cela dit, ça soulève la question de l’enseignement que l’on transmet à son enfant si on l’abandonne. D’accord, si on l’abandonne c’est pour le protéger, mais certains enfants qui ont été laissés de côté par leurs parents ont vertement critiqué ce comportement par la suite, parce que finalement ils ont grandi et se sont construits loin de leurs parents et pas selon leurs critères. Est-ce qu’on est plus exposé au danger ou à l’abandon, c’est un questionnement qui reste ouvert.

CR : Pour prolonger le sujet, il y a dans le film une opposition entre les deux frères, à savoir le père, qui a une vision idéologique très dure, doctrinaire et absolue du combat, et l’oncle qui présente un aspect plus humain, qui donne sa  place à la famille, qui a le sens de l’humour. Avez-vous construit le personnage de l’oncle pour contrebalancer le côté doctrinaire et rigide du père ?

BA : Les deux positions des frères ont réellement existé. Ce sont des positions qui ont été débattues, discutées. A la décharge du père, reconnaissons qu’il est plus facile d’être oncle, en règle générale, et particulièrement dans ce contexte, d’autant plus que le père est chef, donc responsable. Donc l’oncle a le beau rôle. Sa philosophie est plus intéressante et se rapproche plus de celle du neveu. L’oncle est au courant, il sait les choses, il a des émotions, il est intuitif, il comprend tout de suite l’histoire d’amour, ce dont les parents ne se rendent même pas compte. Mais c’est comme ça dans toutes les familles, au-delà de toute considération politique. Ce que la dichotomie de ces deux personnages permet d’amplifier c’est justement le spectre de ce qu’est le militantisme. Pour Juan bien sûr, son oncle est quelqu’un vers lequel il se rapproche de cœur mais son père reste la personne importante et prépondérante. Une  référence.

CR : Vous avez un petit frère, qui est  la petite sœur dans le film ; qu’est-il devenu ?

BA : Nous avons retrouvé mon petit frère en 1984, c’est-à-dire cinq ans plus tard. Il n’a pas grandi avec moi, c’est une tout autre histoire et c’est un peu long. J’ai voulu dans le film en faire une fille, pour deux raisons : d’abord pour ne pas stigmatiser mon frère, et deuxièmement pour que l’on se pose la question. Qu’est-il advenu de Vicki ? C’est la grande question, qui est aujourd’hui représentée par ce qu’on appelle les « Nietos », les « petits-enfants ». Il y a les « enfants », et il y a les « petits- enfants ».  Moi je suis un  enfant  de disparu ; mon frère est un enfant de disparu et un petit-enfant, par rapport aux grand-mères qui font les recherches identitaires. Il faut comprendre qu’il y a plusieurs appellations et que tout part des grand-mères qui sont elles-mêmes des mères de disparus. Mon frère ayant perdu son identité, c’est un « petit-enfant ».  La question du film est : qu’est devenue Vicky ? Parce que, à part les cent huit enfants qui ont été retrouves et ré identifiés par les grand-mères du mouvement de la Place de Mai, il y a encore trois cent cinquante jeunes adultes qui restent portés disparus. C’est le point qu’il faut garder à l’esprit à la sortie du film puisqu’ils n’ont jamais été retrouvés ni identifiés. Cela donne au sujet son caractère actuel, ce n’est pas un simple regard sur le passé car le sujet  reste malheureusement complètement d’actualité.

CR : Les enfants qui jouent dans le film, quelles connaissances avaient-ils de cette période, et comment les avez-vous préparés ? Comment avez-vous abordé le sujet avec eux ?

BA : Teo [Teo Gutiérrez Romero interprète le rôle de Juan, ndlr] est un enfant qui a une personnalité très forte et une extrême sensibilité. Il peint, il joue de la guitare, de la batterie il est très prolifique et il vient d’une famille militante. Il a déjà manifesté et il connaissait un peu l’histoire du pays. Je lui ai raconté l’histoire, parce qu’il posait des questions. Les enfants n’ont pas lu le scénario, tout a été transmis à l’oral. Et en ce qui concerne les autres enfants, ils n’avaient pas du tout besoin de connaitre l’histoire du pays ni le contexte. Car après tout eux ne sont pas les amis de Juan, ce sont les copains d’Ernesto, donc il leur fallait une inconscience, il n’était pas nécessaire qu’ils en connaissent davantage. Teo quant à lui connaissait le contexte mais je ne lui ai pas pour autant tenu des discours politiques, ce n’était pas du tout le propos. J’ai souvent travaillé avec des enfants, j’ai même animé des émissions de  télévision avec et pour eux, en déambulant en province, et j’ai rencontré énormément d’enfants. J’ai toujours aimé travailler avec eux et au cours des nombreux  castings d’alors je prenais parfois des notes en me disant que le moment venu, lorsque je procéderais au casting d’Enfance clandestine « celui-ci je pourrais le rappeler ». C’est ce qui est arrivé avec Teo car il est l’un de ces enfants que j’avais rencontrés auparavant et que j’ai rappelé. Au-delà de ça, nous avons casté plus de sept cents enfants. Plus tard ça a été un travail de peaufinage avec María Laura Berch la directrice de casting. Il fallait décanter pour être sûrs, certains à propos du rôle de Juan. Pour deux raisons : car il fallait qu’il puisse assumer l’interprétation du personnage avec des qualités d’acteurs, mais au-delà de ça il faillait qu’il puisse traverser le tournage en tant qu’individu, sans  abîmer sa personnalité d’enfant. De fait à travers ce tournage il a énormément grandi. Tous les jours il devenait meilleur en tant qu’acteur et il s’est développé tout le long du tournage.

CR : le générique indique que votre mère a disparu en 1979, mais qu’est-il  arrivé à votre père ?

BA : Dans la réalité mon père biologique n’est pas Horacio. Horacio était le compagnon de ma mère. Il lui est arrivé ce qui est arrivé dans le film, il a été tué. Et ma mère est portée disparue.

CR : Vous attendiez-vous à un tel succès, particulièrement en Argentine, et comment l’expliquez-vous ?

BA : Ce succès, personne ne s’y attendait. Ce dont je rêvais, c’était tout simplement de finir ce film. Parce que le tournage a été difficile, surtout au niveau de la production. Il a fallu qu’on l’interrompe et le danger d’interrompre un tournage avec des enfants c’est qu’ils grandissent, et il faut pouvoir être raccord au montage. Donc ce qui comptait c’était d’arriver au bout. Après, ça s’est emballé, avec Cinéma en Construction à San Sebastian, avec la présentation à Cannes, la sortie en Argentine qui en effet a été un boom total, surtout pour un film avec cette teneur politique. Le bouche à oreille a été croissant, le nombre de copies a augmenté, les salles étaient pleines cinq semaines durant. Et aujourd’hui encore il y a des copies en salles. C’est surtout que socialement il a suscité beaucoup de débats, il a été très plébiscité, c’est incroyable. Lors de l’anniversaire du coup d’Etat  des mairies et des organisations des Droits de l’Homme ont demandé des copies afin de le projeter  au cours de différents évènements public pour l’occasion.

CR : On sait qu’il y a eu des cas d’ « adoption » de ces enfants disparus par des militaires. Sait-on si certains de ces enfants ont fait des démarches, se sont posés des questions en se disant « je ne suis peut-être pas le fils de qui je crois » ?

BA : Oui il y a de nombreux cas d’enfants qui se sont découverts adoptés avec des actes de naissance falsifiés, et ils se sont d’eux-mêmes rapprochés du mouvement des grand-mères de la Place de Mai. Il y en a beaucoup qui le feront  une fois que leurs parents adoptifs seront morts. Le long métrage qui a remporté l’Oscar du meilleur film étranger en 1986 [La historia oficial, ndlr] raconte la véritable histoire de Luis Puenzo, qui est le producteur d’Enfance clandestine et nous avons trouvés beaucoup de coïncidences entre les deux films à commencer par les Alterios. Hector Alterio est l’acteur qui interprète le personnage principal de La historia official, et son fils, Ernesto Alterio, joue ici l’oncle Beto. Enfance clandestine se situe en 1979, et le personnage de Vicky, le bébé qui disparait, aurait quatre ans en 1984 au moment du tournage de La historia Oficial dans lequel Gaby, la petite fille a effectivement quatre ans aussi. Nous nous sommes mis à fantasmer sur le fait que Gaby est Vicky…Dans l’animation du générique de fin, il y a la représentation d’Hector Alterio, le père d’Ernesto dans la vie, et qui est l’acteur de La historia oficial. C’est un clin d’œil cinéphilique.