Marty, un beau matou au poil luisant regarde avec une certaine curiosité sa maîtresse se faire frapper et violer dans un fracas assourdissant de vaisselle brisée. Si l’on ignore l’identité du violeur, qui a pris soin d’enfiler une cagoule de ski avant de commettre son crime, sa victime, elle, Michèle, est à moitié nue... son corps est visible, souillé.
Ce corps ensanglanté sera pourtant la seule chose que nous arriverons à percer de cette étrange et puissante femme. Michèle décide de ne pas appeler la police et gère, à sa manière, l’après...
Plus mystérieuse que jamais, Isabelle Huppert incarne cette héroïne ambivalente aux réactions surprenantes, toujours à l’encontre d’une certaine idée de la morale.
Une chose est certaine, dès ses premières images le dernier long métrage de Paul Verhoeven interpelle, questionne et refuse de sombrer dans la facilité, tant dans son écriture que dans sa mise en scène.
A mi-chemin entre le thriller et la satire sociale, Elle signe le retour de Paul Verhoeven, 24 ans après Basic Instinct et du haut de ses 77 ans, le réalisateur revient en compétition au Festival de Cannes et s’il est possible de tirer une conclusion sur son premier film produit dans l’Hexagone, c’est qu’il est à l’image de son réalisateur : surprenant.
Plutôt que d’emmener dans une enquête policière classique, le film nous transporte dans un labyrinthe moral où se débat une galerie de personnages tour à tour touchants et ridicules.
A l’inverse de Michèle, ses proches sont en plein déni sur ce qu’ils sont, à l’image de son fils Vincent (Jonas Bloquet) incapable d’admettre que son fils n’est pas le sien, d’Irène (Judith Magre), sa mère qui refuse de se voir vieillir et accumule les clichés ou encore de sa très catholique voisine Rebecca (Virginie Efira) qui se voile la face sur son couple... Tous reflètent les travers d’une société hypocrite, refusant d’affronter ses démons.
L’absurdité des personnages prend corps à travers des dialogues toujours teintés de second degré, d’ironie et d’humour noir qui correspondent totalement à la grande Isabelle Huppert qui prend ici toute sa place. Présente sur chaque plan, elle reste pourtant le plus grand mystère de cette histoire, même lorsqu’elle tente de se dévoiler...
Contrairement au roman de Philippe Djian qui en faisait la narratrice, Paul Verhoeven la rend presque impénétrable et pose ici les délicates questions de l’intériorité, de ce qui est conscient et inconscient chez l’être humain. La monstruosité est-elle héréditaire ?
La perversité baigne le film, oscillant entre peur et désir, Michèle décide d’appréhender ce viol comme une opportunité de reconstruction, elle qui a subie des années de soumission au passé trouble de sa famille (pris d’une folie soudaine, son père, fervent catholique a assassiné les familles du quartier alors que Michèle n’était qu’une enfant).
Elle est un film noir, dont la violence est stagnante, souterraine. Pourtant, le réalisateur manie l’humour avec subtilité et c’est avec surprise que l’on se prend à rire au détour d’une séquence qui trouvera son apogée lors du dernier échange entre la catholique Rebecca et la cynique Michèle.
A travers une mise en scène léchée, Elle apporte au cinéma français le second degré qui lui manque cruellement. Non content de faire d’Isabelle Huppert une héroïne peu sympathique, qui rappellera à certains La Pianiste de Michael Haneke, une autre belle partition de l’actrice, Michèle, cette femme d’affaire redoutable sert à Paul Verhoeven de figure emblématique de cette fable sur le contrôle de soi et le contrôle que l’on veut obtenir de l’autre.
Les bourgeois, les médias en prennent pour leur grade, quant à la religion présentée comme complice du Mal, elle n’a plus qu’à rester éloignée de Michèle qui elle a décidé de vivre malgré ses traumatismes.
Sarah Lehu
Titre original : Elle
Réalisation : Paul Verhoeven
Scénario : David Birke, d'après le roman « Oh... » de Philippe Djian adapté par Harold Manning
Direction artistique : Laurent Ott
Décors : Laurent Ott
Costumes : Nathalie Raoul
Photographie : Stéphane Fontaine
Son : Katia Boutin, Jean-Paul Mugel et Alexis Place
Montage : Job ter Burg
Musique : Anne Dudley
Production : Saïd Ben Saïd et Michel Merkt
Sociétés de production : SBS Productions ; SBS Films, France 2 Cinéma, Entre Chien et Loup, Twenty Twenty Vision1,2 (coproductions)3
Société de distribution : SBS Distribution (France)
Pays d'origine : Drapeau de la France France / Drapeau de l'Allemagne Allemagne4
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : thriller
Durée : 130 minutes
Dates de sortie : 25 mai 2016
Classification : Interdit aux moins de 12 ans
Distribution :
Isabelle Huppert : Michelle
Laurent Lafitte : Patrick
Virginie Efira : Rebecca
Anne Consigny : Anna
Charles Berling : Richard
Alice Isaaz : Josie
Judith Magre : Irène
Vimala Pons : Hélène
Jonas Bloquet : Vincent
Christian Berkel : Robert
Olivia Gotanegre : L'infirmière
Raphaël Lenglet : Ralph
Lucas Prisor : Kurt
Stéphane Bak : Omar
Arthur Mazet : Kevin
Hugo Conzelmann : Philipp Kwan