Nous sommes à la fin du XIXe siècle, le monde entre dans l’ère de l’industrialisation, le règne de la reine Victoria dans ses dernières années. Dans les fêtes foraines, on exhibe monstres difformes, indigènes et animaux exotiques sans aucune humanité. Bientôt cette société dite victorienne se confrontera à de grands bouleversements et le début de l’ère moderne. Pour l’instant, un pauvre homme né difforme, maltraité, attire les badauds à l’esprit malsain pour quelques pennies. C’est dans ces baraques monstrueuses que le docteur Frederick Treves découvre John Merrick surnommé l’homme éléphant. C’est d’abord un cas médical particulier qu’il expose devant ses confrères, tentant d’en comprendre les raisons. John Merrick explique son cas par la chute de sa mère enceinte causée par un éléphant. Frederick Treves obtient, avec l’appui de la reine Victoria et de l’actrice Mrs Madge Kendal sensible à son sort, une résidence à vie à l’hôpital. Les monstres à l’âme noire n’en ont pas fini avec son cas, la quiétude de l’âme n’est pas encore une terre promise.
Pour sa première production, la société de Mel Brooks fait appel à un jeune réalisateur pour son projet sur la vie de John Merrick, tiré d’une histoire vraie. Auréolé par le succès de son premier long métrage Eraserhead, David Lynch impose le noir et blanc avec succès. Nous retrouverons les thématiques d’Elephant Man dans son œuvre, la part d’ombre et de lumière, la monstruosité, la différence, la folie. Le film est d’abord un chef d’œuvre d’une esthétique et d’une sensibilité extrêmes. Le cœur du sujet en est notre humanité, bien plus contrastée que le noir et blanc. Jusqu’au personnage de John Merrick portant l’innocence martyrisée. La question demeure de la frontière entre le bien et le mal. Chaque personnage semble guidé par des intentions obscures qui nous interrogent.
Les figures du forain et du gardien de nuit apparaissent plus monstrueuses que l’être difforme. Sans cesse nous nous interrogeons sur nos réactions, notre degré de pitié, de sensibilité, de bonté, et l’aspect malsain de nos cœurs noirs. C’est pourquoi le noir et blanc renoue avec les maîtres du genre : Murnau, Abel Gance, Eisenstein, Griffith, Borzage. David Lynch compose une palette exceptionnelle de tons variés s’amusant du gris pour renforcer le récit. La séquence d’ouverture est d’une maestria parfaite avec ce cri semblable au tableau de Munch. Elle annonce une partie onirique riche et symbolique que l’on retrouvera par la suite chez le réalisateur. La peinture semble une source d’inspiration revenant tout au long du film, d’une Leçon clinique à la Salpêtrière à la peinture anglaise en passant par Corot. Elle marque la toile de fond d’une époque en pleine mutation, industrialisation, cheminées crachant le feu, fumée des machines à vapeur, transformation des hôpitaux. Elle annonce peut-être cette société moderne, monstrueuse et sans âme.
En bas, le petit peuple des gens du voyage, des freaks, est rejeté dans les terrains vagues, no man's lands du monde. Néons clinquants des fêtes foraines, baraques à sensations trouvent leurs origines dans la fange de ces derniers. La rencontre de John Merrick avec l’actrice Madge Kendal nous renvoie à l’imaginaire de la Belle et la Bête, King Kong pour certains. Pour ma part, elle semble marquer le point culminant d’une humanité idéalisée. Ils savent que derrière le spectacle se cache une âme humaine. C’est le point essentiel du film, les apparences sont trompeuses, le monstre est bien plus humain que son gardien. La réalisation est servie par le jeu des acteurs au sommet de leur art, d’Anne Bancroft à Anthony Hopkins en passant par la prestation sous le maquillage de John Hurt. Le théâtre, miroir de la société, clôt le récit, nous rappelant le masque que nous portons tous. La dernière séquence ne laisse pas le spectateur indemne d’une émotion forte.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Elephant Man
Titre original : The Elephant Man
Réalisateur : David Lynch
Scénario : Christopher De Vore, Eric Bergen, David Lynch, d'après les livres de Sir Frederick Treves The Elephant Man and Other Reminiscences (témoignage de Frederick Treves traduit et disponible chez Stalker Éditeur - Paris) et d'Ashley Montagu The Elephant Man, a Study in Human Dignity.
Photographie : Freddie Francis
Montage : Anne V. Coates, Melvin G.
Décors : Stuart Craig, Bob Cartwright
Costumes : Patricia Norris
Musique : John Morris (la bande-son comporte également le célèbre Adagio pour cordes de Samuel Barber)
Maquillage spécial : Christopher Tucker appliqué par Wally Schneidermann
Société de production : Brooksfilms (États-Unis)
Société de distribution : Paramount Pictures (États-Unis), Columbia-EMI-Warner (Royaume-Uni)
Tournage : du 13 octobre 1979 au 1er mai 1980
Pays d'origine : Drapeau des États-Unis États-Unis | Drapeau : Royaume-Uni Royaume-Uni
Format : noir et blanc - 35mm - Ratio : 2,35:1 tourné en Dolby stéréo, mais projeté en son mono dans la plupart des salles non encore équipées.
Genre : Film dramatique, Film biographique
Durée : 124 minutes
Dates de sortie :
États-Unis : 10 octobre 1980
France : 8 avril 1981
Budget : 5 millions de USD
Box-office aux États-Unis : 26 millions de USD
Entrées en France : 2 443 507
Classifications :
PG-13 aux États-Unis
Tous publics en France
Distribution
Anthony Hopkins (VF : Dominique Paturel) : Docteur Frederick Treves
John Hurt (VF : Dominique Collignon-Maurin) : John Merrick dit "The Elephant Man"
Anne Bancroft (VF : Nadine Alari) : Mrs. Madge Kendal
John Gielgud (VF : René Bériard) : Carr Gomm
Wendy Hiller (VF : Marie Francey) : Mrs. Mothershed
Freddie Jones (VF : Jean Topart) : Bytes
Michael Elphick (en) (VF : Henry Djanik) : Jim, le portier de nuit
Hannah Gordon (en) (VF : Évelyne Séléna) : Mrs. Treves
Lesley Dunlop : Nora
Phoebe Nicholls : Mary Jane, la mère de John Merrick
Helen Ryan : Princesse Alexandra
John Standing : Dr Fox
Hugh Manning : Broadneck
Dexter Fletcher (VF : Jackie Berger) : le gamin de Bytes
David Ryall (VF : Philippe Dumat) : l'homme qui accompagne les prostituées
William Morgan Sheppard : un homme au pub
Kenny Baker : Le nain