Le vent soulève le sable de la plage dans l’arrière-pays on entend le bruit des canons et de la mitrailles. Sur la plage, les longues files de soldats attendent l’espoir d’un navire se découpant à l’horizon. Sur la mer, les navires de guerre se préparent à l’exode comme Moïse conduisant le peuple vers le retour à patrie promise. C’est le début d’un chaos, d’un champ de mort aux portes de Dunkerque. Ils sont prisonniers dans l’œil de l’ouragan, avant que la folie ne se déchaîne et fracasse le silence dans la fureur des batailles. Il faut tenir bon, survivre, trouver l’opportunité d’embarquer. Il n’existe plus pour certains que la peur et l’égoïsme, pour d’autres l’honneur et le courage. Alex et Gibson ont en commun que la défaite et cette envie de vivre à tout prix qui les poussent à saisir toutes les occasions pour tenir debout.
Sur la jetée, le commandant Bolton organise l’évacuation des blessés sur ce petit bout de plage plein de promesses. Il distingue peut-être au loin les falaises de l’Angleterre. Dans le ciel rugissent les moteurs des quelques avions ennemis - virées mortelles échappées du front arrière où l’on résiste encore. Ils sèment la mort sur ces cibles alignées en quête d’un départ et qui ne trouveront que les rives de l’au-delà. Churchill déploie dans le ciel un semblant d’aviation qui tentera l’impossible pour sauver quelques vies. C’est la mort qui gagne à la roulette du destin, elle tire le meilleur numéro. Elle ignore qu’une nation se lève, que des barcasses de rien, des bouts de tout s’élancent sur l’océan défiant la tempête pour secourir ses enfants perdus. Le ciel, la mer, la plage deviennent l’espace intime d’une petite histoire qui nous en dit long sur la grande.
« Nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons sur les pistes ! Jamais nous ne nous rendrons ! Nous lutterons jusqu’à ce que quand Dieu le jugera bon le Nouveau Monde mobilisera ses forces pour libérer l’ancien. »
Dunkerque n’est pas le remake du film de Leslie Norman de 1958, ni Week-end à Zuydcoot d’Henri Verneuil de 1964. C’est en lisant les témoignages sur l’opération Dynamo qu’Emma Thomas intéresse son mari Christopher Nolan au sujet. Loin du bruit et de la fureur des canons, de la violence du conflit, il propose un nouveau regard plus intimiste sur le genre. Il crée trois espaces à travers ses personnages, la plage, le ciel et la mer. L’ennemi est suggéré, jamais montré. Il semble intéressé par les prémices de ce qui se joue sur ce petit bout de plage. Plus que l’honneur et le courage, montrer comment cette défaite devient une victoire par la force qu’elle soulève. Dans le silence avant la tempête, chacun tente avant tout de survivre. Nous sommes loin de la fureur du débarquement de Spielberg ou de la violence d’un Mel Gibson, voire des réalisateurs de l’âge d’or du cinéma de guerre. Il y a du Malick dans cette tension avant la bataille. D’ailleurs il propose de visionner Le salaire de la peur d’Henri George Clouzot à son équipe. Il explique la mécanique de la survie, de la difficulté mécanique, de la tension permanente.
Dans le même ordre idée pour toucher à l’esprit du film, il revoie Pickpocket et un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson, et bien d’autres. Le maître du suspens aura une influence comme il le dit. « Hitchcock réussissait à vous faire vibrer pour un personnage, quel que soit le jugement moral que vous pouviez lui porter. On s’intéresse au succès ou à l’échec d’une action au moment où elle se produit. (...) C’est la force du cinéma de Hitchcock : vivre l’intensité du moment présent, sans avoir à expliquer ce qu’il s’est produit avant. C’est le principe de Dunkerque, trouver l’intensité immédiate. » Pour la forme, elle est épurée et certaines scènes semblent influencées par la peinture, comme ses soldats poussant une barque. C’est l’âme de l’individu, qui inspire avant tout Christopher Nolan depuis Memento et même avant avec Following. C’est donc dans l’espace restreint de l’intime qu’il rend compte de la pertinence du conflit. Deux fantassins tentent de survivre dans ce chaos à tout prix. Comment il devient l’unique chemin qui les guide, embarqués quand la vie devient essentielle. Le courage, l’honneur, et la lâcheté tiennent à quoi ? C’est récupérer un brancard pour embarquer plus vite.
C’est se planquer dans un chalutier échoué en attendant la marée. Il déroule une piste où les écueils conduisent de la mort qui rôde à la vie. À la fin ils ne sont plus des héros, mais des hommes couverts par la honte. Ils reviennent au pays, accompagnés par la défaite et l’un d’eux n’ose regarder les civils dans les yeux. Il garde ce sentiment de l’échec qui comme une ombre l’accompagnera un temps. Pourtant c’était un autre point qui intéressait le réalisateur, comment la défaite se transforme en victoire : ils sont bien plus que des survivants face à la rage noire qui menace l’horizon. Ils sont le rempart qui protégera la patrie dans les jours sombres qui s‘annoncent. Après Churchill, le dernier vice-roi des indes une autre figure se dessine, celle du Premier ministre de l’époque, plus calculateur, plus retors. Dans le ciel, avec ses pilotes, il aborde de nouveau la survie dans un sens différent. Elle devient sacrifice. Sur la mer se joue toujours la même thématique, la jetée devient le dernier pont où embarquer. Le gardien en est le commandant Bolton où l’on retrouve un Kenneth Branagh exceptionnel. Il représente peut- être une sentinelle perdue à la frontière de l’océan. Il est le gardien de la porte des enfers qui ne tardera pas à s’ouvrir. C’est le choix de la survie menant au sacrifice, condamner pour sauver. Il nous interpelle sur les silhouettes que l’on retrouve souvent comme un leitmotiv, un refrain sur cette solitude face à l’immensité.
C’est cette incapacité face au néant que l’on retrouve dans d’autres films. La mer où se joue des petites perles de bravoure liées à presque rien - se dérouter pour sauver un pilote, quitter le pays pour la terre noire de la guerre. C’est à travers ce père et son fils à bord de leur petit voilier prêt à tout pour sauver des vies humaines, c’est ce marin tétanisé incapable de s’enfoncer à l’intérieur du voilier, ténèbres qui l’engloutiraient à jamais. C’est juste un petit gars qui voulait un jour être courageux et qui mourra de la peur alors qu’il voulait que l’on se souvienne de lui pour sa bravoure. C’est mentir pour ne pas ajouter du poids à la douleur, au déshonneur. Il montre comment la guerre c’est aussi de nombreuses parcelles intimes, infimes, des riens qui forment une toile immense. Derrière l’histoire avec un grand H et les actes de bravoure, les héros, des fragments intimes se jouent chaque jour et deviennent aussi importants. Il montre combien la guerre change chacun de ses hommes anonymes qui ne seront plus jamais les mêmes. Dunkerque n’est pas un film de guerre comme les autres, il propose un autre regard qui renouvelle le film de guerre.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Un entretien inédit de Christopher Nolan à la cinémathèque française (30 minute)
Titre original : Dunkirk
Titre français : Dunkerque
Réalisation et scénario : Christopher Nolan
Direction artistique : Kevin Ishioka
Décors : Nathan Crowley
Costumes : Jeffrey Kurland
Photographie : Hoyte van Hoytema
Montage : Lee Smith
Musique : Hans Zimmer
Production : Christopher Nolan, Emma Thomas, John Bernard ; Greg Silverman (délégué)
Sociétés de production : Syncopy Films ; RatPac-Dune Entertainment, StudioCanal et Warner Bros. (Coproductions)
Société de distribution : Warner Bros.
Budget : 100 millions de dollars
Pays d'origine : États-Unis, Royaume-Uni, France, Pays-Bas
Langues originales : anglais, français, allemand
Format : couleur, 2,20:
Genre : guerre
Durée : 106 minutes
Dates de sortie : 19 juillet 2017
Distribution
Fionn Whitehead (VF : Benjamin Jungers) : Tommy, soldat du CEB
Tom Glynn-Carney (VF : Julien Bouanich) : Peter, fils du capitaine du Moonstone
Jack Lowden (VF : Alexis Victor) : Collins, pilote de la Royal Air Force
Harry Styles (VF : Gauthier Battoue) : Alex, soldat des Argyll & Sutherland Highlanders,
Aneurin Barnard (VF : Charles Pestel) : Gibson
James D'Arcy (VQ : Patrick Chouinard) : le capitaine Winnant du CEB
Barry Keoghan (VF : Gabriel Bismuth-Bienaimé) : George, membre d'équipage du Moonstone
Kenneth Branagh (VF : Jean-Yves Chatelais) : le commandant Bolton de la Royal Navy (rôle librement inspiré de James Campbell Clouston)
Cillian Murphy (VQ : Philippe Martin) : le soldat tremblant, officier du CEB
Mark Rylance (VF : Gabriel Le Doze) : M.Dawson, capitaine du Moonstone
Tom Hardy (VF : Jérémie Covillault ; VQ : Paul Sarrasin) : Farrier, pilote de la Royal Air Force
Brian Vernel: Highlander 1, soldat des Argyll & Sutherland Highlanders, CEB
Elliott Tittensor: Highlander 2, soldat des Argyll & Sutherland Highlanders, CEB
Kevin Guthrie (VF: Sébastien Ossard): Highlander 3, soldat des Argyll & Sutherland Highlanders, CEB
Harry Richardson : le simple soldat des Argyll & Sutherland Highlanders, CEB
Matthew Marsh (VQ : Jean-Luc Montminy) : le contre-amiral de la Royal Navy
Michael C. Fox : l'ingénieur des Royal Engineers, CEB
Jochum ten Haaf : le marin hollandais dans le chalutier
Damien Bonnard : le soldat de l'Armée française
Will Attenborough : le sous-lieutenant de la Royal Navy
James Bloor : le soldat en colère, CEB
Bobby Lockwood : le marin qualifié pont de la Royal Navy
John Nolan : le vieil homme aveugle
Miranda Nolan : l’infirmière sur un destroyer
Tom Nolan : le lieutenant de la Royal Navy
Kim Hartman : l’hôtesse sur le bateau à roues à aubes
Richard Sanderson : le soldat du CEB observant un bombardier allemand Heinkel
Lee Armstrong : le Grenadier, CEB
Luke Thompson : l’adjudant, CEB
Dean Ridge : le soldat du CEB près du trou sur la jetée
Billy Howle : le quartier-maître de la Royal Navy
Bill Milner : le soldat solitaire sur la jetée, CEB
Michel Biel : le soldat de l'Armée française
Constantin Balsan : le soldat de l'Armée française
Michael Caine : l'interlocuteur radio des deux pilotes de chasse britanniques (caméo)