L’auteur nous projette lors de la séquence d’ouverture dans une caravane où des maquilleuses s’activent pendant que les personnes sous leurs pinceaux échangent des propos amers. Nous sommes dans le Donbass, région d’Ukraine qui sort peu à peu de nos mires occidentales mais où la violence continue, et pas seulement à bas bruit. Dans l’Ukraine orientale, les checks points tracent les contours de la porte de l’enfer, les mines truffent les champs, les soldats ont tous les droits dès lors qu’ils sont du bon côté de la force, les civils ne sont pas à l’abri et la vie quotidienne a pris des allures d’absurdité, comme toujours en temps de guerre.
Sergueï Loznitsa revient sur un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, l’Ukraine, qui avait fait l’objet de son documentaire Maïdan en 2014. Le temps de l’espoir est révolu et cette fois, il opte pour une fiction documentée en treize séquences qu’il prend le temps de développer et qui montrent chacune un aspect différent de ce qu’est la vie dans ce pays déchiré. Le film est à charge. Les partisans de la Russie sont omnipotents. Ils se pavanent en seigneurs de guerre, intimident, sévissent, outrepassant souvent ce que quiconque peut supporter. De l’autre côté, les Ukrainiens rebelles se terrent comme des rats dans des abris où la promiscuité, l’humidité, le froid et l’absence d’électricité rendent l’existence insupportable. Et pendant ce temps, le quotidien s’impose. Le réalisateur prend franchement parti, et filme comme on hurle, rendant les personnages au mieux frustes, au pire, bestiaux.
Chaque scène, longue, révulse nos estomacs de nantis dans nos cocons douillets. La barbarie infuse et nul ne semble être surpris de voir un prisonnier attaché à un arbre pour lequel on encourage la foule à défouler sa haine. Un vent de vulgarité parait toucher tout le monde ou presque. Même le mariage devient une espèce de beuverie proche du karaoké des petites heures du matin. De temps à autre on voit passer ceux ou celles qui possèdent des richesses. On se doute bien de quel côté vont leurs sympathies. Le contraste est saisissant.
Un personnage résume à lui seul l’absurdité, en tant que parti pris de l’auteur. Il se fait réquisitionner son véhicule, ou plus exactement, les puissants l’ayant pris en jouant des muscles, le menacent de prison et le forcent à le leur céder. Et l’homme dit « mais je ne fais pas de politique moi, je fais juste du business. »
Donbass est un film fort, à charge, et par sa structure ne facilite pas toujours la compréhension des enjeux pour le spectateur. Mais finalement, Loznitsa le met au même niveau de confusion que les habitants. Bien sûr, on peut trouver le tout excessif, mais on peut aussi le voir comme un cri rauque qui dirait : « S’il vous plait, ne nous oubliez pas ».
Françoise Poul
Bonus:
Masterclass de Sergei Loznitsa, "La Fabrique des sons" sur le travail sonore de ses films (2019, 34')
Titre original : Донбас
Titre français : Donbass
Réalisation : Sergei Loznitsa
Scénario : Sergei Loznitsa
Photographie : Oleg Mutu
Montage : Danielius Kokanauskis
Pays d'origine : Ukraine
Format : Couleurs - 35 mm - 2,35:1
Genre : drame
Durée : 110 minutes
Dates de sortie : 9 mai 2018 (Festival de Cannes 2018), 26 septembre 2018
Distribution
Valeriu Andriutã : habitant du Donbass
Evgeny Chistyakov : habitant du Donbass
Georgiy Deliev : habitant du Donbass
Vadim Dubovsky : habitant du Donbass
Konstantin Itunin : habitant du Donbass
Boris Kamorzin : habitant du Donbass
Sergey Kolesov : habitant du Donbass
Svetlana Kolesova : habitant du Donbasst
Thorsten Merten : Michael Walter, le journaliste allemand
Irina Plesnyayeva : habitant du Donbass
Sergey Russkin : habitant du Donbass
Alexander Zamuraev : habitant du Donbass