Einar et Gerda Wegener peignent des sujets différents, le pinceau trace pour Einar l’éternel même paysage qui a fait son succès. Gerda cherche encore, au cœur des visages, à saisir l’âme de ses personnages. Il lui manque une muse pour exprimer tout son savoir-faire. Pour l’instant les paysages du mari suffisent à faire vivre le couple. Pourtant, un jour, leur univers commence cette danse du changement qui les conduira au bout de l’ultime. Un portrait de danseuse à finir et Einar devient modèle, endosse les habits de la ballerine, la soie qui court sous la main fine. C’est ce jour-là que quelque chose se réveille dans l’âme d’Einar.
C’est un frémissement, un jeu d’abord, une provocation dans cette société de la fin des années vingt. Il devient Lili, une jeune femme qui affole le cœur des hommes dans les salons où les artistes s’exposent. Elle se transforme en modèle, la muse tant attendue par Gerda. Les portraits de Lili font les beaux jours des galeries qui hier refusaient ses tableaux. Einar devient Lili. Ce corps féminin emprisonné dans l’âme d’un garçon pousse un cri silencieux ne demandant qu’à accoucher. Peu à peu la métamorphose exécute le retour à la vraie nature profonde.
Comment vivre dans un milieu qui considère l’homosexualité comme une maladie, vous passe la camisole de force et vous renvoie dans les cellules des asiles de fous. Comment faire quand vous êtes un transgenre, en pleine mutation intérieure. Lili trouve un médecin allemand qui accepte enfin de l’opérer et de lui redonner sa vraie nature. Le chemin est long et pénible, semé d’embuches, mais Gerda est toujours fidèle à côté de celui qu’elle aime et qu’elle perd un peu plus chaque jour.
Il ne manque pas grand-chose à The Danish Girl pour nous emporter, nous saisir au cœur s’il était seulement un peu moins académique. Trop sage, le film ne déborde jamais de son cadre, suit un savoir-faire maitrisé que l’on doit au réalisateur du Discours d’un roi. Le film reste malgré tout remarquable par son sujet et sa photographie, proche des peintures que réalise le couple. Il aborde la place de la femme dans la société de l’époque et de l’homosexualité à travers ce personnage trop à l’étroit dans sa peau d’homme.
Dans l’entre-deux-guerres, homosexualité et transgenre constituaient deux réalités sociales largement dénoncées par l’éthique et les mœurs de l’époque. Ils étaient marginalisés, fustigés, porteurs de tous les crimes et de toutes les corruptions. L’époque est bien reconstituée et ne manque pas de nous plonger en arrière dans le temps, dans un monde aujourd’hui heureusement plus évolué. La transformation d’Einar passe par les vêtements, les doigts caressant la soie, la dentelle, les sous-vêtements féminins qui accrochent le regard de Lili. Elle passe aussi par les arts, l’opéra et la peinture où tout est aussi transformation. Peindre c’est endosser, saisir l’âme d’un autre pour la retranscrire sur la toile. Peu à peu, Lili ne devient plus un fantasme, une fiction, une illusion.
Elle devient réelle, l’homme disparaît pour que naisse celle qui sommeillait en lui depuis si longtemps. La chenille rentre dans son cocon, abandonne les artifices pour tenter l’opération et se métamorphoser en papillon. Il y a de bonnes idées comme les cabines des clandés, obscurs voyageurs voyeurs où Lili apprend les gestes du féminin. C’est une belle histoire d’amour transcendante, tout comme Roméo et Juliette, Tristan et Yseult. C’est un de ces amours qui brise les barrières, les conventions, plus grand que tout, il engloutit tout. Gerda n’abandonne pas Einar devenu Lili, elle l’accompagne jusqu’au dernier acte de la pièce. Dommage que le réalisateur ne s’empare pas de ce battement, de cette âme pour transcender son film, en faire autre chose qui dépasse la belle histoire.
Il lui manque des envolées, des dépassements de son sujet, de la poésie peut-être, pour l’emporter plus loin. Il montre bien la difficulté d’être homosexuel ou transgenre à cette époque, entre folie et dérèglement chimique, tout le monde refuse l’évidence. On peut naitre dans un corps qui n’est pas le sien. Il n’en reste pas moins une histoire édifiante sur la volonté d’être soi, portée par un acteur inspiré, Eddie Redmayne, magnifique.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Making of
Titre original : The Danish Girl
Réalisation : Tom Hooper1
Scénario : Lucinda Coxon2 d'après The Danish Girl de David Ebershoff
Direction artistique : Grant Armstrong
Décors : Eve Stewart
Costumes : Paco Delgado
Photographie : Danny Cohen
Montage : Melanie Oliver
Musique : Alexandre Desplat
Production : Tim Bevan et Eric Fellner, Anne Harrison, Tom Hooper, Gail Mutrux et Linda Reisman
Sociétés de production : ELBE, Harrison Productions, MMC Independent, Pretty Pictures, Senator Film Produktion et Working Title Films
Sociétés de distribution : Focus Features
Budget : 25 millions de dollars
Pays d’origine :États-Unis, Royaume-Uni et Allemagne
Langue : Anglais
Format : Couleurs - 35 mm - 2,35:1 - Son Dolby numérique
Genre : Film biographique
Durée : 120 minutes
Dates de sortie :(Mostra de Venise 2015) 20 janvier 2016
Distribution
Eddie Redmayne (V. F. : Théo Frilet) : Einar Wegener / Lili Elbe
Alicia Vikander (V. F. : Anna Sigalevitch) : Gerda Wegener
Matthias Schoenaerts (V. F. : Julien Lucas) : Hans Axgil
Ben Whishaw (V. F. : Jean-Christophe Dollé) : Henrik
Amber Heard (V. F. : Laetitia Coryn) : Oola Paulson
Sebastian Koch (V. F. : Bernard Gabay) : Docteur Warnekros
Adrian Schiller (V. F. : Frédéric Cerdal) : Rasmussen
Emerald Fennell : Elsa
Rebecca Root (V. F. : Carole Franck) : Nurse de Lili